Nannette Hechler-Fayd’herbe, chief investment officer chez Credit Suisse. (Photo: Credit Suisse)

Nannette Hechler-Fayd’herbe, chief investment officer chez Credit Suisse. (Photo: Credit Suisse)

De passage au Luxembourg cette semaine, Nannette Hechler-Fayd’herbe, chief investment officer International Wealth Management chez Credit Suisse, décrypte pour Paperjam.lu les événements qui ont fait l’actualité économique ces derniers jours.

Que faut-il craindre le plus pour la croissance mondiale? La guerre commerciale Chine/États-Unis, la menace sur les prix du pétrole ou l’injection de liquidités par la Fed sur le marché interbancaire...?

Nannette Hechler-Fayd’herbe. – «Pour l’économie internationale, ce sont de loin les tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis, et les incertitudes qui en découlent, qui représentent le facteur dominant. Ces tensions sont particulièrement douloureuses pour un secteur et une région.

Le secteur manufacturier a été le plus impacté et, en termes géographiques, c’est l’Europe qui a payé le prix fort. Mais cette fois, c’est l’Allemagne, généralement considérée comme le moteur économique de l’Europe, qui est le plus négativement impactée. La France, moins dépendante du secteur manufacturier et des importations, est moins menacée, et les pays de la périphérie comme l’Espagne et le Portugal encore moins.

Les conséquences de ces tensions sont déjà très marquées?

«Oui, les effets sont déjà visibles dans les données. Mais de là à envisager une récession, il y a encore un long chemin. En Europe, les consommateurs bénéficient toujours d’un marché du travail dynamique, ils en tirent un revenu qui fait que leur propension à consommer est restée très solide.

Aux États-Unis, l’économie continue de tourner à plein régime. Une récession ne pourrait donc survenir que si le marché du travail commençait à se détériorer à la suite de ces incertitudes. Le sentiment du consommateur se dégraderait et toute la chaîne du ralentissement finirait par se mettre en route.

Au lendemain des attaques, les prix du baril ont augmenté de 20%, mais les marchés financiers n’ont pas eu une réaction très forte.
Nannette Hechler-Fayd’herbe, chief investment officer chez Credit Suisse

Nannette Hechler-Fayd’herbe, chief investment officer chez Credit Suisse

Les attaques contre la production pétrolière de l’Arabie saoudite ont provoqué une certaine inquiétude. Une hausse des prix du pétrole menace-t-elle encore l’économie mondiale?

«Ces événements ont en fait montré que la sensibilité des marchés financiers et de l’économie aux prix du pétrole a sensiblement diminué. Au lendemain des attaques, les prix du baril ont augmenté de 20%, mais les marchés financiers n’ont pas eu une réaction très forte. Il y a dix ans à peine, on aurait perçu des effets importants au niveau des actions.

Une des explications vient de la production de pétrole de schiste aux États-Unis, qui peut rapidement s’adapter à la hausse et à la baisse. Cette industrie est désormais devenue la variable d’ajustement du marché, elle réduit les craintes d’une éventuelle pénurie. Le monde n’est pas moins dépendant du pétrole, mais les sources se sont diversifiées.

Mais en cas de conflit régional dans la zone du Golfe persique?

«Les marchés réagiraient, cela semble clair. Généralement, en cas de conflit, on observe à chaque fois une réaction sur le moment. Mais six à douze mois plus tard, si aucune variable économique n’a été impactée durablement, l’effet disparaît des données économiques et des marchés financiers. Le Moyen-Orient n’a plus le même poids qu’auparavant sur le secteur pétrolier.

Pour qu’une récession survienne, il faut un catalyseur. Et cela, pour l’instant, on ne le voit pas clairement, si ce n’est peut-être au niveau de l’endettement des entreprises.
Nannette Hechler-Fayd’herbe, chief investment officer chez Credit Suisse

Nannette Hechler-Fayd’herbe, chief investment officer chez Credit Suisse

Les dernières prévisions de l’OCDE ne sont pas très réjouissantes pour la croissance mondiale. Est-ce juste un trou d’air ou s’oriente-t-on lentement vers la fin d’un cycle?

«Je pense surtout qu’on s’oriente vers des mini cycles de croissance. On pourrait imaginer un nouveau dynamisme au cours des six à neuf prochains mois, avant une nouvelle baisse au cours de la seconde partie de l’année 2020. Au final, avec ces mini cycles, on obtient une croissance très modérée. Pour qu’une récession survienne, il faut un catalyseur. Et cela, pour l’instant, on ne le voit pas clairement, si ce n’est peut-être au niveau de l’endettement des entreprises.

Les injections récentes de liquidités par la Fed au cours de la dernière semaine ne vous inquiètent pas particulièrement?

«Pas particulièrement. La montée des taux interbancaires, qui a été à la source de ce besoin d’injection de liquidités par la Fed, n’a rien à voir avec l’épisode de la grande crise financière. À cette époque, les banques refusaient de se prêter de l’argent par peur de l’inconnu au cœur de la crise des subprimes. Dans le cas présent, le problème vient du calendrier trimestriel des paiements fiscaux des entreprises aux États-Unis.

On constate des pointes qui amènent les entreprises à retirer beaucoup de liquidités certains mois de l’année. Les banques disposent donc de moins de réserves auprès de la banque centrale, d’où l’émergence d’un phénomène de hausse des taux interbancaires. La Fed elle-même a été surprise par l’étendue du besoin de liquidités, mais c’est clairement un problème technique de gestion de la liquidité.

Le programme d’achat illimité d’obligations – ‘quantitative easing’ – fait que l’on continuera à avoir des spreads de crédit relativement bas et donc une demande pour d’autres actifs.
Nannette Hechler-Fayd’herbe, chief investment officer chez Credit Suisse

Nannette Hechler-Fayd’herbe, chief investment officer chez Credit Suisse

Les nouvelles mesures décidées par la Banque centrale européenne (baisse du taux de dépôt) sont-elles une bonne ou une mauvaise nouvelle pour les banques?

«À la marge, je les regarde de manière positive. C’est vrai que les taux d’intérêt ont encore été abaissés de manière négative, mais de manière modérée. Et le système de ‘tearing’ qui accompagne cette décision vient mitiger le coût de ces intérêts négatifs sur les avoirs en réserve des banques. En plus, le système de provision de liquidités (TLTRO, prêts à long terme accordés aux banques, ndlr) a aussi été assez généreux en termes de durée.

Enfin, le programme d’achat illimité d’obligations – ‘quantitative easing’ – fait que l’on continuera à avoir des spreads de crédit relativement bas et donc une demande pour d’autres actifs. Toutes ces mesures devraient donc vraiment stimuler l’augmentation du crédit en Europe, qui reste toujours un peu à la traîne. L’économie, de manière générale, devrait en ressortir stimulée.»