Keith O’Donnell: «Nous étions depuis longtemps convaincus que le secret fiscal ne pouvait plus tenir très longtemps.» (Photo: Edouard Olszewski)

Keith O’Donnell: «Nous étions depuis longtemps convaincus que le secret fiscal ne pouvait plus tenir très longtemps.» (Photo: Edouard Olszewski)

Atoz fêtera bientôt ses 15 ans d’existence. Une success-story «made in Luxembourg» bâtie sur le pari d’une poignée de spécialistes: concurrencer les Big Four dans le domaine de la fiscalité. Managing partner, Keith O’Donnell revient sur les grandes étapes du cabinet et sur les événements de la vie politique et économique du pays qui l’ont influencé.

Retrouvez la première partie de ce grand entretien .

Avez-vous perçu des changements dans les profils que vous recherchez?

. – «Oui mais cela s’opère de manière relativement naturelle. Nous recrutons encore majoritairement des juristes, des économistes et des comptables.

Nous recherchons désormais une certaine compétence technologique mais en général les gens que nous recrutons, en tant que digital natives, en disposent déjà. Parfois au point que nous devons les former à se plonger dans les textes de loi plutôt que de vouloir tout chercher sur internet.

Le Brexit a-t-il consommé beaucoup de votre temps ces dernières années?

«Sur le plan humain et politique, c’est une catastrophe. Mais nous devons désormais gérer cette situation au niveau de nos clients. Certains ont dû se restructurer au cours des deux dernières années en déplaçant des équipes et des structures.

Nous devons donc gérer ces déplacements avec toute l’incertitude qui a régné autour de cet événement. Maintenant, si nos clients de l’industrie des fonds sont impactés, leur situation n’a toutefois rien à voir avec des entreprises qui doivent déplacer physiquement des matières premières ou des pièces entre l’Europe et le Royaume-Uni.

La gestion d’un tel événement vous a-t-elle demandé des compétences spéciales?

«Nous avons dû nous investir pour comprendre toutes les problématiques liées au Brexit, mais nous avons pu le gérer avec notre équipe constituée de juristes, de fiscalistes et d’experts réglementaires.

Les grands enjeux du moment sont plutôt l’environnement et les inégalités financières.
Keith O’Donnell

Keith O’Donnellmanaging partnerAtoz

On s’est un peu trop acharné au niveau international sur la fiscalité luxembourgeoise?

«Tout à fait! Mais cela cache aussi un autre phénomène qui est l’acharnement sur la fiscalité des sociétés. Pendant cinq ans, la fiscalité des entreprises a été une réelle obsession.

Si je dis que c’est exagéré, c’est parce qu’au niveau international, une énergie très importante a été dépensée sur les questions de fiscalité des sociétés. Or, si l’on regarde à l’échelle de l’OCDE, l’impôt des sociétés ne représente que 8% en moyenne de l’impôt total.

Les grands enjeux du moment sont plutôt l’environnement et les inégalités financières pour lesquels la fiscalité peut avoir un impact positif. Mais en misant sur l’impôt des sociétés, on a à peine déplacé le curseur pour disposer de plus de moyens.

Keith O’Donnell: «La disparition du secret fiscal a impacté les banques qui étaient nos clientes.» (Photo: Edouard Olszewski)

Keith O’Donnell: «La disparition du secret fiscal a impacté les banques qui étaient nos clientes.» (Photo: Edouard Olszewski)

Luxem­bourg a donc été dans l’œil du cyclone. C’était malsain, mais tout cela était lié à un courant politique général, les gens jugeant injuste que de grandes sociétés paient peu d’impôts.

À côté de cela, personne ne s’est concentré sur la solution pour gérer les inégalités croissantes. Et si l’on regarde tous les étudiants qui sont dans la rue pour protester contre l’inaction au niveau climatique, je ne pense pas que la fiscalité des entreprises soit leur première préoccupation.

Le changement dans le secret bancaire luxembourgeois vous a-t-il beaucoup impacté?

«Non, pour la simple raison que nous pouvions le voir comme de la concurrence déloyale. Si la stratégie de certaines personnes est de cacher quelque chose, elles n’ont pas spécialement besoin d’un conseiller fiscal. Notre rôle est justement d’ap­porter du conseil dans des montages transparents.

La disparition du secret fiscal a impacté les banques qui étaient nos clientes. Mais le fait que la clientèle de la banque privée ait dû se réorganiser n’était pas mauvais pour nous. Elle a compris l’intérêt du conseil fiscal plutôt que de se cacher.

Cette harmonisation fiscale risque de nous tirer vers le bas en termes de gestion budgétaire.
Keith O’Donnell

Keith O’Donnellmanaging partnerAtoz

Cela a donc créé de l’activité pour nous, même si la pression a été plus forte sur le bilan de certaines banques. De notre côté, nous étions depuis longtemps convaincus que le secret fiscal ne pouvait plus tenir très longtemps.

Or, on s’oriente vers une harmo­nisation de l’impôt des sociétés au niveau européen...

«C’est la tendance et ce n’est pas toujours pour de bonnes raisons. Avec la directive Atad, on voit une volonté d’harmoniser la base fiscale.

Mais on entend aussi des voix s’élever pour une harmonisation des taux. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée au niveau européen, et ce n’est en tout cas pas positif pour le Luxembourg qui a su créer un pays très prospère, bien organisé et bénéficiant d’un budget, en général, équilibré. Mais cela, il a pu le réaliser en profitant de son indépendance.

Keith O’Donnell: «La question est de savoir si l’on veut favoriser les entrepreneurs ou les personnes qui ont déjà le plus profité de la richesse du pays.» (Photo: Edouard Olszewski)

Keith O’Donnell: «La question est de savoir si l’on veut favoriser les entrepreneurs ou les personnes qui ont déjà le plus profité de la richesse du pays.» (Photo: Edouard Olszewski)

Si on nous enlève cette indépendance en fixant la base et le taux, la capacité à attirer des entreprises et des talents au Luxembourg sera fortement réduite. Or, il est moins évident d’attirer quelqu’un à Luxembourg qu’à Paris. Nous devons donc pouvoir jouer de nos atouts.

Selon moi, cette harmonisation fiscale risque de nous tirer vers le bas en termes de gestion budgétaire. Ce serait pénaliser certains pays qui ont eu une gestion saine pendant des années et les ramener au niveau des mauvais élèves qui jugent plus facile d’augmenter les impôts que de réduire les dépenses.

Le Luxembourg a-t-il raison de freiner la course au moins-disant fiscal?

Il y a un équilibre assez fin à trouver. L’idée n’est pas que le Luxembourg devienne directement le régime fiscal le plus favorable en Europe, mais entre un taux de 10% et un de 25%, il y a de la marge. Le Luxembourg n’est pas très attractif actuellement, même avec une réduction de 1% du taux facial.

Au niveau du cabinet, nous pensons que l’on pourrait encore réduire l’impôt des sociétés pour attirer des entreprises, ce qui crée de la richesse, en relevant l’impôt foncier qui est à des niveaux ridiculement bas. La question est de savoir si l’on veut favoriser les entrepreneurs ou les personnes qui ont déjà le plus profité de la richesse du pays.

Les grands investisseurs tels que les fonds de pension ou les fonds souverains montrent une grande confiance dès qu’un projet est en lien avec le Luxembourg.
Keith O’Donnell

Keith O’Donnellmanaging partnerAtoz

Quelles ont été les conséquences de LuxLeaks sur la politique fiscale du pays?

«Je vois trois aspects. Premièrement, au niveau de l’échange d’informations que l’Union européenne a mis en place en partie en réaction à LuxLeaks, la transparence est devenue le 'new normal'. Nous avons un pro­gramme d’échange de rulings et un échange d’informations sur des structures transfrontalières.

Sur ce plan, LuxLeaks a foncièrement transformé le Luxembourg – nous avons assisté à un changement de paradigme, comme pour le secret bancaire.

Deuxièmement, sur le plan strictement national, la mise en place d’une structure formelle pour la demande de rescrits a créé un cadre beaucoup plus clair et lisible pour des acteurs locaux mais aussi pour les institutions internationales qui nous regardent de près.

Troisièmement, aspect moins positif, LuxLeaks a eu pour effet d’affaiblir la position du Luxembourg dans des débats fiscaux européens et internationaux et de lui enlever une partie de sa légitimité.

Le Luxembourg attire toujours le soupçon au niveau international. Comment analysez-vous ce phénomène?

«Il s’est beaucoup atténué. Le pays a été enlevé de toutes les listes noires ou grises, ce qui montre sa volonté de s’aligner sur les principes internationaux. On traîne toujours cette réputation, effectivement: certaines personnes reviennent sur LuxLeaks, et d’autres, toujours sur le secret bancaire.

Il faudra donc encore quelques années pour que la trace ait totalement disparu. Par contre, sur le plan institutionnel, la réputation est très bonne.

J’estime qu’on ne devrait pas critiquer une entreprise qui a respecté toutes les lois et qui ne paie pas beaucoup d’impôts.
Keith O’Donnell

Keith O’Donnellmanaging partnerAtoz

Les grands investisseurs tels que les fonds de pension ou les fonds souverains montrent une grande confiance dès qu’un projet est en lien avec le Luxembourg. Son environnement réglementaire et sa stabilité sont vus comme de réels atouts.

Voyez-vous des limites à l’optimisation fiscale ou pensez-vous que tout est permis tant que c’est légal?

«C’est une question difficile. Il y a effectivement des limites, mais c’est un terrain glissant, car très subjectif. Comment juger de ce qui est éthique et de ce qui ne l’est pas? Sur le plan de la philosophie politique, on trouve des positions idéologiques diamétralement opposées.

Dès lors, parler d’une norme éthique objective en fiscalité relève de la naïveté ou du dogmatisme. Moi, personnellement, je préfère m’en tenir à la loi. J’estime qu’on ne devrait pas critiquer une entreprise qui a respecté toutes les lois et qui ne paie pas beaucoup d’impôts.

Cela revient à lui demander de pratiquer des contributions volontaires. Dans la pratique, certaines limites ont été fixées de nos jours par des contraintes de relations publiques. Nous devons être sensibles au fait que certaines pratiques, parfaitement légales, peuvent avoir des conséquences réputationnelles, et nous conseillons nos clients en conséquence.

Je perçois d’ailleurs un brin d’hypocrisie chez certains gouvernements qui sont les premiers à critiquer les entreprises, alors que ce sont les gouvernements eux-mêmes, qui ont rédigé les lois que suivent les entreprises.»