Brexit – Pour cet Irlandais qui passe une journée par semaine à Londres, la sécession britannique est une «catastrophe». (Photo: Edouard Olszewski)

Brexit – Pour cet Irlandais qui passe une journée par semaine à Londres, la sécession britannique est une «catastrophe». (Photo: Edouard Olszewski)

Atoz fêtera bientôt ses 15 ans d’existence. Une success-story «made in Luxembourg» bâtie sur le pari d’une poignée de spécialistes: concurrencer les Big Four dans le domaine de la fiscalité. Managing partner, Keith O’Donnell revient sur les grandes étapes du cabinet et sur les événements de la vie politique et économique du pays qui l’ont influencé.

Atoz fête ses 15 ans. Vous vous souvenez encore des premiers moments?

. – «Oui, très bien. La société a été fondée le 14 juin 2004, après une réflexion de six mois. Nous nous sommes donc retrouvés à cinq avec quelques cartons et quelques chaises, et rien d’autre. Nous avions dès le départ décidé de servir un marché assez haut de gamme, en visant les multinationales et les grands investisseurs.

Nous devions donc atteindre rapidement la masse critique et nous avons très vite recruté. À la fin de la première semaine, nous étions déjà 25 personnes. Beaucoup de nos anciens collaborateurs nous ont aussi rapidement rejoints après avoir observé la situation.

L’investis­sement initial des fondateurs aux niveaux financier et personnel était significatif. Au démarrage, les associés étaient payés au Smic, jusqu’à ce que le cabinet devienne bénéficiaire. Il y avait une prise de risque entrepreneuriale, mais nous n’avons pas hésité, étant convaincus du projet.

C’était un concept assez novateur pour le Luxembourg...

«À l’époque, nous avions constaté un vrai besoin pour un conseil fiscal indépendant. Or, sur le marché luxembourgeois, personne n’opérait dans cette voie. Les Big Four et certains cabinets d’avocats le faisaient, mais plutôt en tant que métier secondaire.

Nous avons donc décidé de remplir cet espace dans le marché et cela a très bien fonctionné. Nous avions estimé que la moitié des réseaux des clients nous suivrait. Mais à la fin de la première année, 80% nous avaient suivis. Ils étaient convaincus de l’intérêt du conseil indépendant et voulaient poursuivre avec les équipes qui nous avaient rejoints.

Nous n’avons pas peur d’investir si nous repérons des projets intéressants, et nous restons à l’écoute du marché.
Keith O’Donnell

Keith O’Donnellmanaging partnerAtoz

Mais quatre ans plus tard arrivait déjà la grande crise financière...

«Cela a été une période charnière, le vrai test du modèle. Nous avons fait le choix de ne pratiquer aucun licenciement économique. Nous avons plutôt conseillé aux gens de prendre des congés sabbatiques. Certains en ont profité pour faire le tour du monde ou pour réaliser d’autres projets personnels.

Une fois le creux de la crise passé, la croissance a repris jusqu’à aujourd’hui, et nous sommes désormais plus de 200 personnes dans l’entreprise. On peut donc parler d’une success-story basée sur un projet entrepreneurial. Nous avons préservé cette fibre d’entrepreneurs, nous n’avons pas peur d’investir si nous repérons des projets intéressants, et nous restons à l’écoute du marché.

Dans quels types de projets pourriez-vous investir?

«Nous avons par exemple investi dans Fideos, un cabinet que nous avions monté et qui assurait des activités de corporate trust ou de domiciliation et de fiduciaire.

Il était assez spécialisé sur le marché de l’investissement. Il a compté une centaine de personnes mais nous avons fait le choix à un moment de le céder à Alter Domus, nos clients souhaitant que le cabinet puisse agir sur cinq à dix juridictions.

Keith O’Donnell: «Nous avons investi dans le financement de l’aéronautique. Cela peut paraître étonnant, mais il existe une certaine expertise au Luxem­bourg, notamment grâce à la présence de Cargolux ou de Luxaviation. (Photo: Edouard Olszewski)

Keith O’Donnell: «Nous avons investi dans le financement de l’aéronautique. Cela peut paraître étonnant, mais il existe une certaine expertise au Luxem­bourg, notamment grâce à la présence de Cargolux ou de Luxaviation. (Photo: Edouard Olszewski)

Mais après trois ou quatre ans, nos clients ont à nouveau insisté pour que nous assurions ces métiers, ce qui nous a amenés à lancer Atoz Services début 2018, avec l’objectif de pouvoir élargir les services pour comprendre la conception, la mise en place et l’opération de structures d’investissement complexes.

À partir de ce modèle, nous pouvons conseiller nos clients sur la manière de monter un fonds et de réaliser l’opération. Avec Atoz Services, nous assurons aussi des opérations de domiciliation, reporting, compliance, etc.

Enfin, récemment, nous avons investi dans le financement de l’aéronautique. Cela peut paraître étonnant, mais il existe une certaine expertise au Luxem­bourg, notamment grâce à la présence de Cargolux ou de Luxaviation.

Quels genres de services pouvez-vous apporter dans ce secteur?

«Nous offrons une activité de conseil sur le financement. Une compagnie aérienne qui achète une série d’avions programme un budget énorme. Nous pouvons mettre en place une série de solutions techniques comme le leasing ou des joint-ventures.

Ce métier collait finalement assez bien avec notre activité existante. Ce sont des structures de financement qui ressemblent à des structures d’investissement de fonds. De manière générale, notre démarche philosophique est de regarder les activités auxquelles nous pouvons apporter une solution, celles où des synergies avec notre activité existent.

À ce moment, nous sommes prêts à les soutenir et nous encourageons toujours nos associés à nous faire part des possibilités qu’ils imaginent.

Le premier métier reste le conseil fiscal.
Keith O’Donnell

Keith O’Donnellmanaging partnerAtoz

Comment résumer les différentes activités développées par Atoz en 15 ans?

«Le premier métier reste le conseil fiscal. Le second, c’est l’exécution, la documentation des structures que nous avons conçues. Ensuite, au niveau des opérations, on entre dans le rôle d’Atoz Services qui gère la comptabilité et assure le secrétariat social des différentes structures.

Nous avons aussi un métier de corporate finan­ce pour conseiller les entreprises sur la valorisation, l’acquisition ou la cession d’entreprises. Enfin, le dernier métier est donc celui lié à l’aviation, sans oublier des sous-spécialisations comme le conseil réglementaire en asset management ou le conseil en prix de transfert.

Et si on voulait définir les clients que vous servez?

«La palette est très large mais les grandes catégories reprennent des gestionnaires de fonds et des investisseurs dans ces fonds, tels que des fonds de pension, des sociétés d’assurances, des fonds souverains voire, parfois, des familles très fortunées.

Nous servons aussi des entreprises, surtout des multinationales et des particuliers qui peuvent être des entrepreneurs ou des grandes familles disposant d’actifs importants et qui raisonnent un peu comme un investisseur institutionnel dans leur organisation et leur gouvernance.

C’est d’ailleurs un marché en croissance. À la suite des grands changements réglementaires et fiscaux, les familles s’organisent de façon plus professionnelle et plus transparente.

Est-ce qu’en 15 ans, des métiers ont disparu?

«Nous avons eu une activité de real estate, qui ressemblait à du conseil en gestion de projets immobiliers. Nous avons aussi eu une activité de consulting qui visait le secteur gouvernemental. Nous ne les avons pas conservées, par manque de synergies, et les équipes concernées ont opéré des managements buy-out. Nous étions plutôt un frein par rapport à leur développement.

Le périmètre de compétences d’Atoz se limite-t-il à la fiscalité luxembourgeoise?

«C’est le cœur du système, mais notre expertise et notre réputation est aussi basée sur l’international. L’objectif est de voir comment le Luxembourg interagit avec des systèmes fiscaux étrangers.

Keith O’Donnell: «Lors de la création d’Atoz, nous étions conscients que nous devions assurer du conseil fiscal au niveau international.» (Photo: Edouard Olszewski)

Keith O’Donnell: «Lors de la création d’Atoz, nous étions conscients que nous devions assurer du conseil fiscal au niveau international.» (Photo: Edouard Olszewski)

Donc, même si nous ne nous considérons pas comme des experts en fiscalité chinoise, nous bénéficions d’un réseau international qui nous permet de disposer de ces compétences pour conseiller quelqu’un au sujet d’un investissement à partir de l’Europe vers la Chine.

La majorité de nos clients sont d’ailleurs basés majoritairement hors du Luxembourg, mais ils ont des activités et des employés au Luxembourg.

Ce réseau, c’est Taxand?

«Oui, il s’agit d’un réseau de cabinets de fiscalistes comme le nôtre. Son objectif est de fournir aux clients un conseil fiscal coordonné et harmonisé sur une cinquantaine de pays. Lors de la création d’Atoz, nous étions conscients que nous devions assurer du conseil fiscal au niveau international.

Nous sommes entrés en discussion avec des cabinets qui avaient une histoire similaire à la nôtre. Nous sommes arrivés à la conclusion qu’il manquait, dans le marché, un réseau de conseil en fiscalité internationale. Taxand a donc été créé en 2005 et est basé dans nos bureaux.

Est-ce qu’aujourd’hui, alors que l’environnement a fortement changé, une success-story comme Atoz pourrait encore voir le jour?

«Je pense que cela reste possible si des personnes sont assez motivées pour y parvenir. Mais il est aussi vrai que, dans nos métiers, les barrières à l’entrée sont assez importantes.

Lorsque nous avons fondé le cabinet, nous avions estimé que, pour couvrir l’ensemble de la palette de conseils en matière fiscale, il fallait une équipe de 20 à 30 personnes. Aujourd’hui, il en faudrait au minimum le double. Mais foncièrement, je pense qu’il y a toujours une appétence pour ce marché.

Je consacre encore au moins la moitié de mon temps à travailler avec des clients.
Keith O’Donnell

Keith O’Donnellmanaging partnerAtoz

Qu’est-ce qui différencie Atoz d’un Big Four?

«Nous nous différencions par plusieurs aspects. Le premier, c’est notre indépendance. Nous avons fait du conseil en fiscalité un métier à part entière sans être influencés par d’autres éléments. Ce que nos clients semblent aussi apprécier, c’est que nous avons maintenu une structure relativement simple qui permet à nos associés de continuer à travailler en direct avec leurs clients.

Personnellement, je consacre encore au moins la moitié de mon temps à travailler avec des clients. L’écho que j’ai des grands cabinets est que les associés passent plus de temps à gérer la complexité du cabinet que celle des dossiers de leurs clients.

Ensuite, c’est un métier d’hommes et, là encore, j’entends de nos clients que nous sommes un peu plus disponibles, flexibles et créatifs. C’est l’avantage d’avoir une équipe à taille humaine et un modèle relativement simple.

Par contre, sur les 17 associés d’Atoz, on ne compte qu’une seule femme. À quoi cela est-il dû?

«C’est lié au métier mais franchement, c’est une situation que nous trouvons lamentable. Nous constatons le déficit, mais ce n’est pas voulu. Au contraire, nous préférerions compter 50% de femmes parmi les associés. Ce constat, qui n’est pas propre à notre société, est d’autant plus étonnant qu’aux étages en dessous, la situation est relativement équilibrée.

Et dans les facultés de droit et d’économie, là où nous recrutons principalement, plus de la moitié des diplômé(e)s sont des femmes. Nous avons donc fait en sorte d’assurer plus de flexibilité au niveau des associés pour que certains n’aient pas à envisager un choix entre vies professionnelle et personnelle.

J’espère donc qu’avec le temps, nous allons commencer à entrevoir un rééquilibrage. Mais nous devrons aussi convaincre nos clients de l’intérêt d’une certaine flexibilité qui rend les associés un peu moins disponibles sur certaines plages horaires. Mais de manière très limitée.»

Retrouvez la suite de ce grand entretien .