Ce généticien allemand a créé le Luxembourg Centre for Systems Biomedicine il y a 10 ans. Légende (Photo: Fondateur)

Ce généticien allemand a créé le Luxembourg Centre for Systems Biomedicine il y a 10 ans. Légende (Photo: Fondateur)

Pour le directeur du Luxembourg Centre for Systems Biomedicine (LCSB), Dr Rudi Balling, la pandémie est amenée à s’installer dans la durée. D’où la nécessité de faire coopérer au mieux chercheurs et médecins, au niveau local comme international.

Le coronavirus représente-t-il une part importante de votre travail, en ce moment?

. – «Je dirais 110%.

Pouvez-vous expliquer comment votre expérience dans la cartographie de la maladie de Parkinson s’applique à l’étude du Covid-19?

«Nous sommes un centre international de stockage de séquences d’ADN du génome de la maladie de Parkinson. Et nous avons construit ce que nous appelons la carte de la maladie, qui est en fait un circuit. C’est comme lorsque vous regardez un circuit électronique: vous voyez toutes les connexions. Le corps humain est organisé de manière assez similaire. Il y a des connexions entre les gènes, les protéines et les sucres. C’est régulé et contre-régulé, et il y a un équilibre – sauf dans la maladie, où cela s’effondre.

Nous utilisons cette carte pour recueillir des informations du monde entier et les intégrer à cette même carte. C’est ce que nous appelons l’analyse des circuits. Nous pouvons ainsi guider nos collègues par l’analyse informatique en concentrant leur attention sur les mécanismes, et peut-être en identifiant des cibles, ou des cibles vaccinales, ces personnes vulnérables qui devraient être particulièrement protégées, pour donner des signaux d’alerte précoces.

Comment obtenez-vous les données nécessaires à la conception de cette carte?

«Nous effectuons un suivi à partir de toutes les informations que nous pouvons obtenir. C’est un peu comme la base de données du Johns Hopkins Resource Centre. Pour cela, nous devons récolter des informations sur le taux d’infection, le taux de létalité, le nombre de personnes qui meurent, le nombre de personnes qui ont été officiellement diagnostiquées, le nombre de personnes que nous pensons réellement infectées. Et nous partageons ces informations avec nos collègues.

Vous savez, la peste a anéanti une grande partie de l’Europe. Elle a soudainement changé toute la structure de la science. Je pense que nous allons vivre quelque chose de ce genre.
Dr Rudi Balling

Dr Rudi Ballingdirecteur du LCSB

Comment pensez-vous que vos chercheurs peuvent vous aider?

«Nous sommes un centre de recherche, et non pas un centre de développement clinique. Nous ne sommes pas mandatés pour traiter les patients, mais nous sommes en quelque sorte un centre de connaissances pour fournir une aide à la décision clinique. Par exemple, la majorité des patients qui meurent ont plus de 70 ans, voire 80 ans.

Beaucoup d’entre eux présentent des maladies, comme du diabète, de l’hypertension, des maladies cardiovasculaires ou un cancer, ou suivent actuellement un traitement pour lutter contre un cancer. Ils prennent des médicaments.

Ces traitements ont-ils un effet positif ou négatif sur le virus? Pour l’instant, nous ne le savons pas. Mais nous pouvons désormais commencer à observer, à récolter les dossiers médicaux et à enregistrer les données pour partager ensuite nos analyses avec les médecins sur le terrain.

Vous attendez-vous à ce que davantage de budget soit consacré à la recherche dans ce domaine? Et quel sera l’impact sur les autres domaines de recherche?

«Le premier jour, j’ai mis à disposition toutes les réserves du LCSB, et j’ai dit: 'Quiconque a une idée de ce que nous pourrons faire durant les quatre prochaines semaines aura tout l’argent que nous avions en réserve pour l’année.' Nous gardons toujours une certaine réserve au cas où de gros instruments venaient à tomber en panne, ou si des découvertes majeures étaient faites et que nous devions y accorder plus d’attention. Et puis, le Fonds national de la recherche a fait un travail formidable pour faire en sorte que les chercheurs ne s’attardent pas sur les délais et apportent de bonnes idées.

Nous pouvons donc nous attendre à ce que des projets intéressants voient le jour au cours du mois prochain?

«Une quantité de travail incroyable, oui! Je pense que c’est probablement l’une des phases qui entreront dans l’Histoire, peut-être comme une 'Renaissance'. Je ne suis pas historien, mais je suis très intéressé par ce qui s’est passé avant et après la Renaissance.

Vous savez, la peste a anéanti une grande partie de l’Europe. Elle a soudainement changé toute la structure de la science. Je pense que nous allons vivre quelque chose de ce genre. Nous le vivons déjà – cette créativité pour résoudre les problèmes maintenant, en quatre semaines, et non pas en quatre ans...

C’est stupéfiant! La coopération internationale, dans cette période, a pris un essor considérable.

Le plus grand défi maintenant est ce que l’on appelle aplatir la courbe, pour répartir le nombre de personnes malades dans la durée.
Dr Rudi Balling

Dr Rudi Ballingdirecteur du LCSB

Sur base de vos observations, comment qualifieriez-vous la propagation du coronavirus au Luxembourg jusqu’à présent?

«Vous savez à quoi ressemble une crosse de hockey sur glace – c’est comme une courbe: d’abord elle est plate, puis elle monte. Je pense que nous sommes au tournant de la courbe de la crosse. Cela ne veut pas dire que tout le monde se retrouvera à l’hôpital, mais cela signifie que le pourcentage de personnes infectées dans le pays augmentera de manière exponentielle. Nous pouvons donner des signaux d’alerte précoces – c’est une chance que nous avons, mais cela constitue aussi un défi. L’Italie n’avait pas émis de signal d’alerte précoce.

Selon vous, quelle est la probabilité que des pandémies comme celle-ci se produisent à nouveau, à l’avenir?

«Nous connaîtrons des pandémies tant que nous voyagerons autant que nous le faisons. C’est une question de mobilité qui affecte la fréquence de transmission, mais cela vient aussi en grande partie de la façon dont nous vivons, ou encore de la densité de la population. Il y a donc de forts risques que le Covid-19 réapparaisse, même si nous ne le savons pas encore. Le confinement précoce, l’isolement et le traçage sont des solutions prometteuses. Si vous détectez l’infection très tôt et que vous l’éradiquez complètement, vous avez de bonnes chances de la voir disparaître. Mais une fois que le génie est sorti de sa lampe, comme c’est le cas maintenant, je ne pense pas qu’il puisse être contenu.

Le virus risque-t-il de revenir chaque année?

«Je pense qu’il reviendra à plusieurs reprises, dans une certaine mesure. Nous ne savons pas si ce sera tous les ans, deux fois par an ou tous les deux, trois ou quatre ans. Je ne m’inquiète pas tellement des récidives car, d’ici là, nous trouverons probablement un vaccin. Et nous aurons probablement acquis une certaine immunité, même si on ne sait pas encore très bien combien de temps cette immunité durera. Des semaines, quelques mois, quelques années? Ce sera probablement différent chez chaque personne. Mais à ce stade, je n’ai pas tellement peur. Le plus grand défi maintenant est ce que l’on appelle aplatir la courbe, pour répartir le nombre de personnes malades dans la durée.

Je pense que le plus grand défi, à l’heure actuelle, est l’intégration de l’information. Contrôler la qualité des informations, s’appuyer sur les experts et sur les sources fiables, et puis avoir quelques personnes qui sont capables de communiquer cela au public.
Dr Rudi Balling

Dr Rudi Ballingdirecteur du LCSB

Le confinement doit-il durer trois mois, comme l’indiquent certains médecins? Pensez-vous qu’il pourrait être prolongé au-delà de cette période?

«C’est une question très difficile. Je pense que la crise va durer. Le confinement sera certainement beaucoup plus long que deux semaines. Je pense que nous allons devoir traiter cette crise en urgence, au moins jusqu’à la fin de l’année.

Jusqu’à la fin de l’année avec les mesures actuelles?

«Cela ne veut pas dire que nous devons nécessairement maintenir cette forte distance sociale. Je ne peux pas vous dire combien de temps cela sera nécessaire. En ce moment, c’est extrêmement important, et c’est une tragédie que les gens n’obéissent pas à la distanciation sociale.

Nous n’avons pas parlé des leçons personnelles que vous avez apprises.

«La principale leçon que j’ai apprise est d’être préparé, de penser à l’avenir. Si vous regardez la situation actuelle, vous ne comptabilisez pas beaucoup de morts à l’hôpital. Mais nous savons que dans 10 jours, la situation sera différente.

Je pense que le plus grand défi, à l’heure actuelle, est l’intégration de l’information. Contrôler la qualité des informations, s’appuyer sur les experts et sur les sources fiables, et puis avoir quelques personnes qui sont capables de communiquer cela au public. Veiller à les protéger et à ne pas les pointer du doigt quand ils vous disent: 'Je vous l’ai dit hier, mais de nouvelles données nous sont parvenues. Je pense que je vous ai peut-être donné un mauvais conseil. Voilà la situation actuelle.' Il faut leur faire confiance.»