Taux d’intérêt au plancher, rendements dérisoires des emprunts d’État, cherté des obligations dans leur ensemble. Depuis plusieurs mois, les médias et la presse spécialisée dressent un constat plutôt alarmant de cette classe d’actifs. Faut-il pour autant la négliger?
Une politique monétaire ultra-accommodante depuis près de 3 ans
Les causes qui ont mené à cet environnement sont bien connues. La Banque centrale européenne (BCE) s’est lancée depuis maintenant près de trois ans dans une politique d’assouplissement monétaire ultra-accommodante fondée sur deux principaux piliers. Premièrement, des taux directeurs nuls, voire négatifs, qui ont favorisé la chute des rendements sur la partie courte de la courbe des taux. Deuxièmement, un programme d’achat mensuel de 60 milliards de dettes souveraines, augmenté en juin 2016 à 80 milliards avec l’ouverture du programme aux obligations d’entreprises. Celui-ci a été réduit en avril 2017 à 60 milliards puis à 30 milliards depuis janvier 2018. Plus connu sous l’anglicisme «quantitative easing», le programme a permis la baisse des rendements sur l’ensemble de la courbe de taux aussi bien sur les dettes étatiques que sur les emprunts d’entreprises. Il restera en place au moins jusqu’en septembre 2018, selon les derniers discours du président de la BCE, Mario Draghi.
Une remontée des taux importante en ce début d’année
Depuis le début de l’année, il n’a échappé à aucun investisseur que les taux d’intérêt en Europe remontent de manière plutôt significative, notamment sur les emprunts étatiques «core» comme l’Allemagne. Cela entraîne les indices obligataires européens dans le rouge (-0,62% pour un indice EUR global, -0,55% pour un indice de dette d’entreprise et -0,46% pour un indice de dette souveraine[1]).
On peut trouver un premier élément d’explication dans les différentes interventions médiatiques de certains membres de la BCE comme Jens Weidmann, qui souhaite l’annonce d’une date de fin au programme d’achat d’actifs, ou encore Ewald Nowotny, qui n’exclut pas une fin du programme cette année en raison des bons chiffres de croissance en zone euro. Un deuxième élément, et non des moindres, réside dans une contagion de la forte remontée des taux américains. La situation monétaire outre-Atlantique est pourtant bien différente, avec une Fed, qui a déjà rehaussé ses taux directeurs à cinq reprises depuis décembre 2015. De plus, les derniers chiffres économiques, et notamment l’accélération notable des salaires aux États-Unis, font craindre aux investisseurs une remontée des taux plus rapide que prévu. Enfin, les rumeurs (démenties depuis) d’un arrêt possible des achats de dettes américaines par la banque centrale chinoise n’ont rien arrangé.
Ne pas précéder la BCE
Ces récents épisodes ont donc remis en question l’intérêt du marché obligataire sur les niveaux actuels et ont même fait planer la menace d’un «krach» obligataire.
Il nous semble donc opportun de rappeler que le mandat de la BCE consiste à maintenir l’inflation à un niveau inférieur mais proche de 2% comme aime le rappeler Mario Draghi. Or, le dernier indice des prix européens de décembre est ressorti à 1,4%. Et les prévisions de la BCE pour 2018 et 2019 tablent sur respectivement 1,4% et 1,5%. Cette absence de risque immédiat de surchauffe en zone euro n’oblige donc pas la banque centrale à être trop rapide dans le retrait de sa politique monétaire accommodante. La récente appréciation de la monnaie unique devrait en outre peser sur les prochaines lectures d’inflation.
Par ailleurs, les dernières données publiées par la BCE, relatives au recalibrage du programme d’achat, nous montrent que la proportion d’achat de dette d’entreprise a augmenté (19% actuellement contre 12% précédemment). Cela devrait permettre de maintenir les «spreads» de crédit sur ces niveaux historiquement bas pour encore quelques temps.
Enfin, toutes les obligations achetées depuis mars 2015 et arrivant à échéance seront réinvesties bien après la fin du programme d’achat. La BCE restera donc toujours un important acheteur sur le marché obligataire.
Last but not least, les premières remontées des taux directeurs interviendront «bien après la fin du programme d’achat», comme l’a souligné Mario Draghi.
Tous ces éléments combinés poussent à penser qu’un «krach» obligataire n’est pas d’actualité en zone euro, mais qu’une normalisation très progressive va certainement se mettre en place.
Adopter une approche de gestion différente
Dans cet environnement, nous recommandons de ne pas mettre cette classe d’actifs de côté, mais plutôt de changer d’approche. Le simple et classique «Buy and Hold», pratiqué en phase de baisse de taux par la plupart des acteurs de marché depuis 30 ans, n’est plus adéquat aujourd’hui. Il faut privilégier une gestion active, être de plus en plus sélectif dans ces choix d’investissement et chercher des obligations ou segments de marché obligataire qui permettent de bien diversifier son portefeuille.