Paperjam.lu

 

Le «family business» pèse au Luxembourg. Mais il a ses défis, entre freins à la croissance, envie de grandir et besoin de préparer les successions.

C"est manifestement une première du genre: une toute récente étude de PricewaterhouseCoopers examine les problèmes et les défis spécifiques du "family business" à la luxembourgeoise, tels que ces entreprises et leurs dirigeants les perçoivent. Pourquoi cet intérêt? "On a l'impression que ce secteur est parfois un peu oublié ou pas considéré à sa juste mesure", explique Romain Hilger, directeur chez PwC Luxembourg. Pour réaliser l'étude, un nombre représentatif d'entreprises familiales a été sélectionné et a adhéré à la démarche. "L'idée nous a d'abord surpris, confirme Viviane Welter (Transports Arthur Welter). En général, on s"intéresse plutôt aux grands groupes multinationaux. L'initiative de PwC envers les entreprises familiales était donc intéressante et c'est pourquoi nous avons choisi d'y participer".

Omettre le "family business" serait, de fait, une erreur. Il est très clair que les entreprises familiales, appuie Romain Hilgers, "ont un poids significatif dans l'économie luxembourgeoise". Quelques chiffres le démontrent à l'envi: sur 26.550 entreprises, on estime que 20.000 sont des entreprises familiales employant au moins 40% du nombre d'actifs au Grand-Duché. Au Luxembourg, les entreprises familiales sont majoritairement des PME, positionnées sur des secteurs traditionnels (commerce de détail, construction, artisanat, entre autres), financièrement saines (90% estiment avoir des ressources nécessaires au financement de leurs projets à trois ans) et créatrices d'emploi. Ainsi, selon le Statec (qui prend en compte les données pour les entreprises d'au moins 90 salariés), les effectifs ont augmenté de 12% entre 2001 et 2005.

Le petit Luxembourg marque ses différences

Les résultats obtenus sont globalement assez similaires aux tendances relevées par une étude européenne menée par ailleurs via PricewaterhouseCoopers. à quelques notables différences près qui soulignent parfois une vision très différente des Luxembourgeois sur certaines questions. "Les résultats sont parfois surprenants, admet Viviane Welter. Les Luxembourgeois n'ont certainement pas la même philosophie d'entreprise. C"est peut-être dû à la taille de notre pays. Cela dit, nous nous retrouvons dans ce portrait-robot, tant sur le point de vue des soucis que des défis auxquels il faut faire face".

Ainsi, parmi les défis auxquels les entreprises familiales se disent confrontées, on trouve la gestion des coûts, qui semble davantage préoccuper les luxembourgeoises (82%) que les européennes (51%). Les prix de l'immobilier et les coûts salariaux sont des facteurs manifestement aggravants dans cette perception grand-ducale. Cependant, le développement d'une stratégie de croissance reste une préoccupation majeure pour 76% des entreprises luxembourgeoises, contre 49% au niveau européen.

Encore faut-il vaincre les obstacles. Et, parmi les freins à la croissance, identifiés par les répondants, l'intensité concurrentielle et la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée sont pointées du doigt par la moitié des entreprises luxembourgeoises. Le manque de disponibilité de surfaces (ce qui rejoint le prix de l'immobilier), les lourdeurs administratives, la difficulté d'accès aux nouveaux marchés, sont aussi clairement identifiés comme autant d'entraves à la croissance.

Qu'en pense-t-on chez Arthur Welter? "Pour éviter un souci de frein à la croissance à long terme, nous avons créé une société en Slovaquie, que nous allons développer peu à peu. Sur le plan immobilier, notre site actuel est suffisamment important par rapport à nos besoins. Lorsque nous l'avons acquis, il y a plus de dix ans, les prix étaient encore abordables. Vu leur flambée, il est clair que si nous devions acheter pour développer nos activités, le site de Leudelange ne serait certainement plus la bonne solution! Pour une entreprise de transport se pose un autre problème: dans la plupart des zonings, les transporteurs, réputés pollueurs, bruyants, etc., ne sont pas les bienvenus". Et les lourdeurs administratives? "Oui, souvent les délais de réponse sont très longs de la part des administrations...".

Globalement, les défis, mis en relief par l'étude PwC, ne manquent pas. Cela commence en interne. Les risques de conflits semblent être plus présents dans les entreprises familiales luxembourgeoises que dans les entreprises européennes. Les trois principales sources de tensions? Les différences de priorité entre les membres actifs et les non-actifs de la famille actionnaire, l'évaluation des performances des membres actifs de la famille et l'arbitrage entre le paiement de dividendes ou le réinvestissement des profits dans l'entreprise.

Les solutions existent. PwC évoque une sorte de charte mettant clairement les choses à plat dès le départ ou à chaque gros changement. Mais 80% des entreprises familiales n'en disposent pas. On peut aussi avoir recours à un "sage", un conseiller extérieur à l'entreprise et à la famille (ce qui semble bien fonctionner dans la tradition italienne, par exemple), mais 85% des sondés avouent ne pas faire appel à ce conseiller extérieur pour tenter de résoudre les conflits ou d'en réduire les sources. "Il est également essentiel pour une entreprise qui veut limiter ses conflits de développer une culture familiale basée sur le dialogue et d'impliquer l'ensemble des membres actifs et non-actifs en définissant un rôle à chacun', commente M. Hilger.

La menace silencieuse: le vide après le chef

Le plus préoccupant des soucis identifiés est sans doute dû... à l'environnement fiscal luxembourgeois plus favorable. La succession patrimoniale semble moins préoccuper le chef d'entreprise luxembourgeois patriarcal que son homologue européen. D"où le risque, pour les entrepreneurs, de négliger également la succession managériale de leur entreprise. L'étude l'atteste: 71% des entrepreneurs luxembourgeois ont indiqué ne pas avoir prévu de plan de succession, contre 55% au niveau européen.

Selon Romain Hilger, c'est là "une erreur importante car beaucoup d'entre eux vont devoir transmettre leur affaire à moyen terme. La succession n'est pas un événement mais un processus qu'il faut prévoir. Sur 100 entreprises, seules 5 à 15 restent dans le giron familial à la troisième génération. La succession est souvent mal préparée, le nouveau management ne dispose parfois pas des compétences requises ou est mal accepté. Cela peut expliquer le taux de disparition important des entreprises familiales".

82% des participants à l'étude connaissent une forte concentration du pouvoir de décision et sont dirigés par un ou deux membres de la famille. "Cette situation augmente la flexibilité de l'entreprise et la rapidité dans les prises de décision. Cela lui permet de saisir rapidement des opportunités de marché mais fragilise également l'entreprise si le dirigeant est amené à s"absenter pour des raisons personnelles".

Luc Henzig, associé chez PwC, avance: "Nous estimons que ce secteur pèse vraiment dans l'économie luxembourgeoise. Les entreprises familiales créent de l'emploi, sont pérennes et en bonne santé financière mais les risques qui pèsent sur leur avenir sont importants et méritent d'être pris en considération au plus haut niveau". Ainsi, les attentes et les problématiques des entreprises familiales luxembourgeoises sont identifiées et significatives. Leurs défis aussi. "Un des objectifs de cette étude est sans doute de sensibiliser les entrepreneurs eux-mêmes, conclut Romain Hilger. Et les décideurs, au sens large".

Le monde politique aussi pourra y capter un message et se pencher avec un autre regard sur la gestion en bon père de famille.