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Paul Ensch, Chambre des Métiers (Photo: Luc Deflorenne)  

L’artisanat constitue sans conteste un des piliers de l’économie au Luxembourg. Répertorié en six groupes, il comprend les métiers de la construction et de l’habitat (51%), de la mode, santé et hygiène (21%), de la mécanique (16%), de l’alimentation (6%), de la communication, du multimédia et du spectacle (5%), et enfin, les métiers de l’art et métiers divers (1%). Cette pluralité se retrouve au travers de 162 métiers.

Ainsi, l'artisanat intervient dans la production de biens de consommation et dans la prestation de services pour le consommateur final. Il agit en tant que sous-traitant de l’industrie (sidérurgique, automobile…) et exerce une fonction complémentaire à celle de l’industrie en assurant le montage, la maintenance et la réparation de produits industriels. Enfin, il constitue un acteur important du domaine culturel.

Sa taille macroéconomique parle d’elle- même: l’artisanat représente 16% du nombre total d’entreprises du pays, 20% de l’emploi total, 10% de la valeur ajoutée et 2% des investissements.

La bonne gestion d’un secteur aussi diversifié nécessite un encadrement institutionnalisé: au Luxembourg, la Chambre des Métiers (CDM) est responsable de tout ce qui a directement trait à l’artisanat. Sa mission principale est de rendre son avis sur tous les projets de lois et de règlements que le gouvernement lui soumet, et ainsi, de collaborer à la création d'un cadre politique économique et social propice au développement de l'entreprise.

Toutefois, elle n’est pas seulement l’interlocutrice directe du gouvernement. Elle propose également une large gamme de services: le département «‘contact-entreprise»’ offre un conseil personnalisé aux créateurs et repreneurs d’entreprises, ainsi qu’aux personnes qui souhaitent céder leur société.

D’autre part, la CDM offre un «service formation» complet, permettant aux intéressés d'accéder tant aux métiers principaux (menuisier, boulanger, coiffeur...) qu'aux métiers secondaires de l'artisanat (cordonnier, maréchal- ferrant…).

Attirer la jeunesse

En 2007, on recensait 4.544 entreprises artisanales au Luxembourg. La majorité d’entre elles (70%, contre 57% en 2000) dispose d’un statut juridique de société, les autres étant des entreprises individuelles. Cet écart grandissant se justifie simplement: «Een s’établissant en société, l’entrepreneur protège la part privée, et par làa même, élimine des risques», explique Paul Ensch, directeur de la Chambre des Métiers. Un changement de statut logique, puisque le nombre d’employés par entreprises augmente: la moyenne se situe à 14 personnes, mais on observe toujours plus d’entreprises comptant de 10 à 49 salariés.

Voici pointé du doigt un des défis majeurs du secteur de l’artisanat pour 2008: trouver une solution à la pénurie de sites d’implantation mis à disposition par l’Etat. Il faut en effet libérer des terrains afin de permettre aux entreprises de se délocaliser des zones urbaines et soulager les habitants des nuisances sonores. A ce manque d’espace s’ajoute le coût des emplacements. La CDM ne se lasse pas de critiquer cette situation et fait des pieds et des mains pour que l’Etat et les communes créent des zones adaptées aux PME de l’artisanat. «L’artisanat est à l’origine de la création de 150 à 200 entreprises par an, insiste M. Ensch. Il est donc légitime que des terrains soient disponibles pour accueillir ce type de personnel».

Concernant la diversité des nationalités en entreprise, notons une baisse constante du nombre de Luxembourgeois au profit des travailleurs frontaliers. Ainsi, si en 2000, les nationaux étaient 21%, en 2007, ils ne sont plus que 15,2%. Parmi les étrangers recensés, on trouve une majorité d’Italiens, suivis des frontaliers: Français, Allemands et Belges (par ordre décroissant).

Invasion des allogènes ou désertion des Luxembourgeois? Il semblerait qu’il s’agit davantage de la seconde option, la jeunesse luxembourgeoise étant très attirée par le secteur public, qui assure une bonne rémunération et la sécurité de l’emploi. «La concurrence déloyale, provoquée par l’Etat, au niveau de la fonction publique, mais aussi par les banques, nous rend la tâche difficile», assure M. Ensch. Ainsi, la CDM souhaite-t-elle inverser la tendance: au lieu de puiser dans le réservoir de main-d’œuvre traditionnel de la Grande Région, elle compte bien, en 2008, renforcer sa politique de recrutement auprès des résidents et relever le niveau de qualification minimum au Certificat d’Aptitude Technique Professionnelle. Dans ce but, une politique de promotion ciblée s’avère indispensable. «Nous continuons notre campagne d’information, de sensibilisation et de motivation des jeunes, parents et enseignants, insiste M. Ensch. Notre objectif est de pousser la jeunesse à choisir un métier de l’artisanat, de façon volontariste».

L’artisanat recrute, donc, et cible ses actions dans les sous-secteurs qui affichent un déficit de dynamisme. Si les métiers de la mode, santé et hygiène, ainsi que ceux de la mécanique, se portent bien au niveau du développement de l’emploi et de leur chiffre d’affaires, il n’en va pas de même pour l’alimentation et le bâtiment.

En effet, le secteur de l’alimentaire, en pleine restructuration, se heurte au phénomène de la filialisation et par conséquent, d’une baisse du nombre d’entreprises. Ce à quoi s’ajoute «l’effet grande surface», considéré comme l’arrêt de mort du commerce de proximité. Pour pallier ce phénomène, la CDM mise tout sur le recrutement des jeunes. «Il faut être auprès des jeunes pour leur prouver les intérêts d’une prestation de services la plus rapprochée possible», affirme M. Ensch.

Des bâtons dans les roues

Outre la nécessité d’obtenir des terrains pour les plus grandes entreprises de l’artisanat, ainsi qu’un besoin criant de nouvelles recrues, le secteur de l’artisanat va devoir, en 2008, composer avec une certaine politique de l’Etat envers lui. Ainsi, l’allègement des charges administratives figure en tête des priorités pour l’année à venir. La CDM a d’ailleurs mené, dans ce cadre, deux études, pour stigmatiser le phénomène.

Le gouvernement a engagé une démarche de réduction de ce poids fiscal, mais les résultats se font attendre. Pour la CDM, il est hors de question d’abandonner en si bon chemin: dans le courant de l’année, elle procéèdera à un troisième bilan, partant du principe que le principe du «thinking small first» est inconnu des décideurs politiques.

En effet, l’ensemble du secteur se trouve confronté au spectre du statut unique et son cortège de problèmes, devant prendre pleinement effet au 1er janvier 2009. Au-delà du secteur artisanal, ce sont toutes les branches d’activité à forte prédominance d’ouvriers qui regardent cette législation d’un mauvais œil. Le fait de mettre sous le même chapeau les ouvriers et les employés, pour ne plus parler que de salariés, touche ainsi directement à la spécificité manuelle qui caractérise l’artisanat. Une spécificité que la CDM compte valoriser en redynamisant le sous-secteur le plus important de l’artisanat au Luxembourg: celui de la construction et de l’habitat, qui représentait 2.200 entreprises recensées en 2007. Mais si les entreprises de terrassement et de génie civil disposent de grandes capacités, elles restent néanmoins confrontées à la stagnation des chantiers, au niveau des travaux d’urbanisation.

«Trop de dossiers restent dans les tiroirs, prêts à être exécutés, déplore M. Ensch. Tout dépend de la politique d’investissement de l’Etat, et si le gouvernement ne débloque pas ces chantiers, on pourrait déboucher sur une crise dans ce sous-secteur».

La situation n’est cependant pas totalement désespérée: la Fédération des Entrepreneurs, sous-section de la Fédération des Artisans, a pris contact à ce sujet avec Claude Wiseler, le ministre des Travaux Publics, afin de réfléchir à une solution viable.

Une action marquante qui, après des années de torpeur, pourrait redonner une impulsion à ce pilier quelque peu délaissé de l’économie luxembourgeoise.