Bernhard Quendt, CTO de Siemens Digital Factory, est convaincu que la digitalisation entraînera une complexité accrue des produits industriels afin de correspondre au mieux aux attentes des clients. (Photo: Jessica Theis )

Bernhard Quendt, CTO de Siemens Digital Factory, est convaincu que la digitalisation entraînera une complexité accrue des produits industriels afin de correspondre au mieux aux attentes des clients. (Photo: Jessica Theis )

La digitalisation s'emploie à révolutionner tous les secteurs de l'économie. Mais si les biotech ou les fintech se déploient aisément sous forme de start-up, les poids lourds de l'industrie ont été les premiers à travailler sur leur passage au numérique. À l'instar de Siemens. «Digital Factory est l'une des plus grandes divisions de Siemens avec six localisations dans le monde dont une à Los Angeles», explique Bernhard Quendt. «Siemens investit depuis plus de 10 ans» sur cette digitalisation qui dessinera l'avenir de l'industrie.

Comment digitaliser une procédure de fabrication a priori bien concrète lorsqu'on parle de machines, de tuyaux ou encore de meubles? «Tous les aspects de la chaîne de valeur de la production sont concernés», assure Bernhard Quendt. Design du produit, planification de production, production peuvent être assistés par digitalisation pour une efficacité supérieure.

«Il existe des solutions aujourd'hui, on n'a pas besoin d'attendre que l'industrie 4.0 soit prête pour améliorer la digitalisation des entreprises», insiste l'ingénieur. «L'un des principaux atouts est un temps plus court avant la mise sur le marché (time to market). Grâce à la simulation, on peut tester et valider les machines avant de les installer à l'aide d'un 'jumeau digital'. Siemens applique cela pour 90% de ses robots et c'est fantastique car cela anticipe les mauvais mouvements ou les mouvements qui pourraient blesser des gens ou endommager le matériel.» Siemens a ainsi écourté de 30% son time to market.

Un volume amélioré de 30%

Deuxième avantage: la flexibilité. «Il y a 20 ans, on avait une vingtaine de variables pour les voitures alors qu'on tourne à des milliers aujourd'hui, idem pour l'électronique et les smartphones», souligne Bernhard Quendt. L'impression 3D permet aujourd'hui des produits aux exigences des consommateurs. Siemens a ainsi développé avec DMG Mori, un des leaders mondiaux des machines-outils, une machine combinant les techniques traditionnelles de fraisage et l'impression 3D. «C'est une machine qui fabrique en une seule étape, qui peut produire un prototype et aussi des pièces détachées rares. Nous pouvons fabriquer une turbine avec une seule machine», s'enthousiasme l'ingénieur.

Dernier avantage: la constitution d'une structure commune de base de données (data blackbone) du design au service clients.

Au final, l'industrie 4.0 a de quoi séduire. Bernahrd Quendt évoque un niveau de qualité de 99,998%, une augmentation du volume de production de 30% et un ratio minime de défauts (11 pour 1 million). «La production est hautement flexible car le logiciel de production change instantanément quand la pièce entre dans la machine. Ainsi on peut changer de planification de travail 5.000 fois par an et la fiabilité de livraison en moins de 24h est respectée à 99%.» Des constatations relevées dans l'usine bavaroise d'Amberg qui a été digitalisée par Siemens pour «vendre ce qu'il utilise» - puisque Siemens fournit des solutions de digitalisation.

Notre challenge et notre responsabilité sont d'investir dans l'éducation.

Bernhard Quendt

Cette vision de l'avenir, plusieurs régions du monde l'entrevoient et des initiatives fleurissent comme Industrial Internet Consortium aux États-Unis et Manufacturing 2025 en Chine. «Les pays émergents prennent la digitalisation très au sérieux, c'est pourquoi nous devons d'autant plus nous lancer maintenant si nous ne voulons pas être dépassés.» Ce n'est donc pas un hasard si le gouvernement allemand - en l'occurrence le ministère fédéral de l'Éducation et de la Recherche - est partie prenante des efforts industriels en faveur de la digitalisation des entreprises à travers la plateforme industrie 4.0.

Bernahrd Quendt a lancé lundi soir, devant le Premier ministre et les grands patrons du Luxembourg, un «appel aux personnes qui ont des responsabilités à commencer à réfléchir à la mutation de leurs entreprises en entreprises digitales». Tout en délivrant un chapelet de recommandations: se lancer dès maintenant mais étape par étape, mobiliser les plus hauts niveaux de direction, clarifier chaque procédure - sinon aucune modélisation ne sera possible, s'assurer de disposer d'un réseau de communications adéquat pour accueillir la base de données commune et enfin s'appuyer sur les salariés. «Il faut les impliquer dans le processus car ils étaient habitués à travailler sur certains outils et peuvent apporter des idées d'amélioration», insiste Bernhard Quendt.

Il est toutefois certain que les emplois eux-mêmes seront amenés à changer. «Il ne faut pas en avoir peur. Les jeunes d'aujourd'hui grandissent avec la digitalisation, ils utilisent les smartphones et les ordinateurs. Notre challenge et notre responsabilité sont d'investir dans l'éducation pour que cette 'génération digitale' (digital natives) puisse maîtriser les nouvelles méthodologies.»

La révolution digitale va donc bouleverser notre façon de travailler - comme les précédentes révolutions industrielles, glisse Bernhard Quendt. «Je suis convaincu que les produits vont aussi changer et devenir de plus en plus complexes pour s'adapter aux exigences des consommateurs. Il faudra encore des emplois pour faire face à cette demande de produits plus individualisés et plus complexes.»

Les entreprises de l'industrie n'auront certainement pas d'autre choix que d'embrasser cette nouvelle révolution - autant le faire tôt que tard. En matière de progrès, ne pas s'adapter aux nouvelles technologies expose au déclin - «out of technology means out of business» -, rappelle Bernhard Quendt.