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Ralph Hababou a fait de la qualité de service sa spécialité. Il en est devenu l’un des meilleurs experts en Europe. Paru en février 2007, son dernier livre « Service gagnant. Les services des entreprises qui créent la différence » est le fruit d’un travail de longue haleine. Il a rencontré une centaine de responsables d’entreprises pour «évaluer ce qui a changé dans le domaine de la satisfaction client et voir comment les entreprises se sont adaptées à un client dont les exigences sont en parfaite évolution ». Son constat est sans appel: Internet a bouleversé le monde et l’amélioration de la qualité de service est devenue une question de survie. 

Monsieur Hababou, vous aviez écrit ‘Service Compris’ en 1986. En 2007, vous avez récidivé avec ‘Service Gagnant’ Qu’est-ce qui a changé en un peu plus de 20 ans?

«Tout. Un siècle s’est écoulé en 20 ans. Le phénomène high-tech a bouleversé le monde de l’entreprise et la relation-client. Grâce à Internet, le client a aujourd’hui accès à l’information. Avant d’acheter un produit, il va sur les blogs, prend connaissance des rumeurs. Il en sait autant, voire plus que le vendeur ou l’agent de voyage, qui auparavant était le seul à connaître l’offre disponible entre Paris et New York. Une enquête a montré qu’une visite sur deux dans les magasins Carrefour était précédée d’une visite sur le web. Le client pénètre aujourd’hui à l’intérieur du nerf de la guerre, c’est-à-dire du système d’information de l’entreprise. Il s’agit d’une révolution dans les relations commerciales, d’un tsunami. Personne n’avait prévu l’ampleur de ce phénomène de redistribution des cartes. Les années qui viennent ne vont pas être forcément faciles, mais elles vont être totalement passionnantes.

Internet, en facilitant la comparaison des prix, laisse-t-il une place à la qualité de service?

«C’est vrai qu’Internet facilite la vie de ceux qui veulent payer moins cher. Mais Internet, c’est aussi l’embarras du choix et l’embarras tout court. Le client a aussi besoin de quelqu’un qui le conseille. Les gens qui vieillissent, par exemple, sont prêts à payer un peu plus cher pour avoir accès à un véritable service. Darty, qui offre une véritable qualité de service, ne s’est par exemple jamais aussi bien porté. De même, Air France s’est redressé et a reconquis sa clientèle, non pas en misant sur les prix, mais bien sur le service.

Copier un prix, c’est la chose la plus simple au monde et ça prend quelques secondes. Alors que copier l’image de telle ou telle entreprise en termes de qualité ou de service, cela prend des années. Un avantage qualité est beaucoup plus difficile à rattraper qu’un avantage prix. Carlos Ghosn, le patron de Renault, a été ridicule quand il a annoncé qu’il allait fabriquer une voiture à 5.000 dollars. Car le lendemain en Inde, Monsieur Tata annonçait qu’il en ferait une à 2.500. La fermeture éclair du jean fabriqué en France vaut plus cher que le jean entier fabriqué en Chine. La bataille à mener, c’est celle du talent, de la créativité, de l’innovation. C’est tout ce qui nous reste aujourd’hui.

La bataille de l’innovation passe-t-elle par des investissements lourds? Ou bien simplement par du bon sens et quelques astuces...?

«Cela dépend du secteur dont on parle. Les chefs d’entreprise avec qui je travaille aujourd’hui me disent investir dans deux domaines. D’abord, dans la technologie pour s’assurer qu’ils en exploitent tout le potentiel. Ensuite, dans les hommes et les femmes de leur entreprise. Le facteur humain est un élément essentiel. On a besoin d’avoir des champions du monde, les meilleurs des meilleurs, quelle que soit leur nationalité. On ne peut plus se permettre d’avoir des tocards, des mauvais, des incompétents.

Les talents dont vous parlez sont rares et chers...

«Je dis souvent que si vous trouvez que la compétence est chère, il vous faut essayer l’incompétence. Les Anglais disent: ‘if you pay peanuts, you’ve got monkeys’ (si vous payez des cacahuètes, vous aurez des singes). Je dirai aussi que les collaborateurs doivent devenir de véritables clients. Il faut les fidéliser, les chouchouter, faire en sorte qu’ils n’aient pas envie d’aller ailleurs, grâce à un marketing interne. Car si les clients ont le choix, les collaborateurs l’ont également. Des entreprises mettent en place des conciergeries, où les collaborateurs bénéficient de services de pressing, de garde d’enfants, de prêts de voiture... Tout est fait pour que le collaborateur consacre tout son temps et toute son énergie à l’entreprise.

En fait, la manière dont ça se passe avec le client à l’extérieur, n’est que le reflet de la manière dont ça se passe avec le collaborateur à l’intérieur de l’entreprise. Exemple, un restaurant où l’on passe son temps à engueuler le personnel, où la cuisine méprise les serveurs, risque de ne pas satisfaire le client. Le client sentira en revanche très bien s’il a affaire à une entreprise où tout le monde se respecte, où tout le monde travaille bien ensemble. Il suffit bien souvent de passer un simple coup de fil dans une entreprise pour en comprendre le fonctionnement, pour voir si les collaborateurs sont au courant du travail des uns et des autres.

Vous insistez aussi sur les dangers d’une externalisation de son service de relation client...

«Si le seul objectif de votre service de relation client, c’est de faire en sorte que ça vous coûte le moins cher, votre objectif n’est donc pas la qualité. C’est vraiment dommage de confier cette mission à quelqu’un d’extérieur car les contacts directs avec le client sont une précieuse source d’information. Aujourd’hui, la tendance est à la ré-internalisation du service client.  Il n’y a rien de pire que le tapez1, tapez2.... Je travaille par exemple actuellement avec une grande marque de montres suisses, qui souhaite former ses collaborateurs à l’accueil du client au téléphone. Aujourd’hui, les clients téléphonent de plus en plus. Pour un oui ou pour un non. Et l’accueil téléphonique doit être à la hauteur de ce qui est offert dans les boutiques de cette marque. Vous avez beau avoir le meilleur produit du monde, il s’effondrera à terme s’il n’est pas accompagné d’un service à la hauteur.

Le problème, c’est que c’est l’actionnaire qui fait pression pour tout externaliser, réduire les coûts. Est-il possible de satisfaire à la fois le client et l’actionnaire ?

«Sur le long terme, un client satisfait est rentable pour l’actionnaire. C’est  le court terme qui mène à la catastrophe.

La notion d’accueil est-elle différente de celle de service?

«Je dirai qu’aujourd’hui, la notion d’accueil, le fait de dire bonjour, merci et au revoir, est acquis à 98%. Aujourd’hui, le vrai service c’est de donner le sentiment au client, qu’il a bien fait de faire des efforts pour se déplacer chez vous, lui offrir la compétence, le conseil. Il faut comprendre que quelqu’un qui se déplace chez vous, vous fait déjà un énorme cadeau. La crise du pétrole va changer nos habitudes et nos comportements.

Comment obtenir l’adhésion de ses employés sur l’objectif de la qualité de service?

«Aux Etats-Unis, on ne parle plus de vendeurs, mais d’associates. Il faut en effet faire en sorte que les collaborateurs se sentent partie prenante de l’entreprise, mais pas seulement un élément interchangeable.

Oui, mais comment faire?

«En impliquant ses collaborateurs et en leur donnant le plus d’informations possible. En leur expliquant comment évoluent les choses, en leur faisant bien comprendre que défendre le service, c’est protéger son emploi. Il faut offrir un meilleur service qu’Internet, sinon pourquoi le client se déplacerait-il ? Etre compétent et bien faire son métier, c’est la seule manière de défendre son emploi. Aux Etats-Unis, on ne parle plus de customer service, mais de customer care. Ça veut dire prendre soin du client. Ce qui se passe en ce moment avec Internet et les nouvelles technologies, c’est la plus grande tempête économique que nous ayons jamais eue. Nous n’en avons pas encore pris la mesure. Nous allons assister à la disparition de ce que j’appelle les maillons sans valeur ajoutée.

Comment on sensibilise ses collaborateurs à cette révolution?

«Il faut les informer, les former. Il faut leur confier des responsabilités. Il faut aussi savoir leur dire merci et bravo. Je ne suis pas sûr qu’on y arrivera en les engueulant et en les menaçant de chômage. Il n’y a rien de mieux qu’un service qui est fourni de manière saine, naturelle et authentique. L’être humain n’est pas une machine. On dit qu’aujourd’hui, le client est de plus en plus exigeant et de moins en moins reconnaissant. Un ouvrier éprouve la satisfaction personnelle du travail bien fait et du produit fini. Ce n’est pas le cas dans le secteur des services, où le client remercie de moins en moins. Le rôle du manager est donc de féliciter ses collaborateurs pour apporter cette reconnaissance. C’est toute la différence entre la culture produit et la culture service. On se moque toujours des McDonalds, mais ce n’est pas un hasard si ce sont eux qui ont inventé l’employé du mois, le manager du mois... C’est l’entreprise elle-même qui apporte la reconnaissance.

Y a-t-il un danger à se lancer dans une guerre des prix?

«Oui, car ceux qui gagnent la guerre des prix ne sont jamais les plus intelligents ou les plus malins. Ce sont simplement les plus riches et les plus solides. Il faut se demander si on est le plus fort lorsqu’on se lance dans une guerre des prix. Est-ce bien notre carte à jouer quand on voit ce qui passe en Chine, en Inde ou dans les autres pays émergents ? Nombre de clients avec lesquels je travaille me confient qu’ils veulent se battre sur le service, y compris si cela passe par une perte de certains clients. En tous les cas, quand on a choisi son terrain, il faut être cohérent.

Faut-il choisir entre le prix et le service ?

«Oui, clairement. Aujourd’hui, les marchés s’effondrent par le milieu. Le milieu de gamme est en train de disparaître au profit du meilleur (avec la meilleure valeur ajoutée) et du moins cher. Regardez dans la mode, par exemple. Vous avez H&M, d’une part, et les marques Dior, Abercrombie, etc., d’autre part. Tout le milieu de gamme basse qualité a du mal et aura de plus en plus de mal à l’avenir. Vous pouvez faire ce constat dans tous les domaines, dans tous les métiers. Dans la restauration, les segments qui se développent sont les segments à moins de dix euros, en quelque sorte la restauration rapide, ou bien le ticket à 25 euros et plus. Dans ce dernier cas, vous avez une vraie cuisine, un vrai service, un vrai accueil... Le segment intermédiaire, entre 10 et 25 euros, souffre énormément. Aujourd’hui, c’est devenu difficile de faire sortir le client de chez lui. Autre exemple, le tourisme. Vous pouvez commander des séjours à Djerba sur internet pour 300 euros la semaine ou alors de l’autre côté, vous avez le Club Med qui remonte en gamme et vous offre la même semaine mais en formule all inclusive et avec une sélection de la clientèle. Au milieu, nous avez Nouvelles Frontières qui a du mal à se positionner. Cette bipolarisation se généralise.

Le ralentissement économique ne va-t-il pas obliger les entreprises à tout miser sur le prix au détriment du service?

«Certains réussiront peut-être dans le low-cost et le hard-discount, qui sont des phénomènes durables. Mais, dans nos pays développés, avec les conditions sociales que personne ne songe à remettre en cause, je ne suis pas sûr que nous ayons une chance de nous développer dans cette direction. Il vaut mieux se demander quel est notre talent et se spécialiser pour ne pas gaspiller notre énergie.

Le succès du low-cost et du hard-discount tient-il uniquement aux prix bas?

«Non. Il y a en effet des choses à décoder dans le low-cost. Il faut d’ailleurs aussi s’en inspirer en matière de qualité de service. Par exemple, aujourd’hui, les journaux payants s’inspirent des techniques de distribution de la presse gratuite, afin de rendre leurs titres plus disponibles, de les tendre aux passants, de se mettre sur le chemin du client. De même, dans les magasins hard-discount, il y a très peu de choix de produits, ce qui permet de faire ses courses plus vite, en plus de payer moins cher.

Vous parlez aussi de back to basics. Qu’est-ce que ça veut dire?

«C’est très bien d’offrir un service de pointe 24 heures sur 24. Encore faut-il s’assurer au préalable que votre service de base, à destination de tous les clients, est bien au point. C’est bien aussi d’offrir 3.000 nouveaux produits, mais si l’attente est trop longue à la caisse, la promesse de base est rompue. On n’utilise que 10%  à 15% des possibilités de nos téléphones portables, comme tous les produits que nous avons. La sophistication de l’offre peut devenir trop complexe pour le client. Alors, oui, revenons aux fondamentaux.

Qu’est-ce qui caractérise le client aujourd’hui?

«Il a un comportement paradoxal. Il veut tout tout de suite et en plus il en veut pour son argent. Autre exemple, il en veut toujours plus, et il veut sauver la planète. Il est pressé, mais il aime bien aussi perdre du temps. Il aime bien Internet et les nouvelles technologies, mais il aime bien aussi aller dans les magasins, faire ses achats.

Comment le satisfaire dans ces conditions ?

«C’est tout le talent de l’entreprise.

Quelle est l’entreprise modèle selon vous en termes de qualité de service?

« Nespresso. Cette entreprise apporte de la valeur ajoutée, une prise en charge. On est membre d’un club. Ses clients ne sont pas forcément des gens riches, mais des bons vivants qui attendent un vrai suivi, une vraie qualité de service.

Quels conseils vous donneriez à un candidat à la création d’entreprise? Quelles sont les clés de la réussite aujourd’hui?

«Je suggère d’exercer dans un domaine dans lequel on est capable d’apporter une véritable valeur ajoutée, un domaine dans lequel les clients sont prêts à payer pour avoir tel produit ou tel service. Je ne suis pas un acharné des formules ‘créer votre entreprise’, ‘créer le Microsoft de demain’, etc. C’est tellement difficile et épuisant de créer quelque chose qu’on risque de manquer d’énergie au moment où il faudrait passer au développement. Je peux en témoigner car j’ai créé la chaîne Colombus Café. En revanche, quand vous reprenez quelque chose qui existe, il y a déjà des clients, une histoire, une marque. Les entreprises qu’il faut reprendre, remettre dans la modernité, ne manquent pas.  Il y a beaucoup de choses à faire en ce domaine.

Quels conseils donneriez-vous alors à un chef d’entreprise en difficulté?

«Il faut d’abord mesurer la satisfaction des clients, se demander s’il y a un problème de produit ou de service, si le produit correspond toujours à une demande et si l’on est le mieux positionné en termes de rapport qualité/prix, service, efficacité, etc. Aujourd’hui, on parle beaucoup de guerre des prix. Mais, mon sentiment, c’est qu’on parle de prix quand on n’a plus rien à dire. Les gens parlent du prix parce qu’ils n’ont pas bien perçu tout ce qu’il est possible d’apporter comme service, comme information, comme conseil. Je dis souvent qu’un mauvais service coûte trop cher alors qu’il y a des gens qui sont prêts à payer pour un bon service. Ces gens-là, il faut les identifier. Prenons un vol Air France, qui fait Paris-New York, les tarifs s’échelonnent de 400 à 6.000 euros pour le même produit, dans le même avion. Chacun a payé le prix qui correspondait à son besoin (standing, place...). Aujourd’hui, l’entreprise doit donner au client de bonnes raisons de payer un peu plus cher en fonction de son besoin ou de sa demande. Cela dit, si l’entreprise ne marche pas, si elle ne gagne pas d’argent, il faut aussi savoir arrêter avant qu’il ne soit trop tard ».

 

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Carrière - 1.200 conférences en Europe

Ralph Hababou est diplômé de l’ESSEC (promotion 1982). Après ses études, il passe deux ans en Italie, au titre de la coopération, en tant qu’attaché commercial auprès de l’Ambassade de France à Milan. A son retour en France, il démarre sa vie professionnelle chez IBM et occupe des fonctions d’ingénieur commercial pendant trois ans. En février 1986, la sortie de ‘Service Compris’, qu’il signe avec son camarade de promotion Philippe Bloch, est couronnée de succès. Il s’en est vendu à ce jour plus de 500.000 exemplaires, ce qui correspond à 60 tirages successifs.

L’ouvrage a été traduit en italien et en portugais. En 1987, les deux co-auteurs créent PBRH Conseil, une société de conseil et de formation ayant pour but de mettre en application les idées du livre. Ils ont réalisé à ce jour plus de 1.200 conférences en France et en Europe, réunissant 950.000 participants. En 1994, ils décident d’allier la théorie à la pratique en lançant l’enseigne Colombus Café et en introduisant le concept d’espresso bar développé avec succès en Amérique du Nord. Leur but est de revendre leur chaîne à Starbucks, une fois que le géant américain décidera de s’implanter en France.Mais Howard Schultz, le patron de la célèbre chaîne de cafés s’y opposera.

Columbus Café est finalement cédé à des financiers. Les deux associés se séparent avec pertes et fracas. Début 2005, Ralph Hababou rachète 100% de PBRH Conseil à ces mêmes financiers.