Christian Kmiotek (Déi Gréng), Joëlle Elvinger (DP), Franz Fayot (LSAP) et Laurent Mosar (CSV) (Photo: Nader Ghavami)

Christian Kmiotek (Déi Gréng), Joëlle Elvinger (DP), Franz Fayot (LSAP) et Laurent Mosar (CSV) (Photo: Nader Ghavami)

«La place financière est une réalité qu’on ne peut ignorer»: cette constatation émise par le député Franz Fayot (LSAP) est partagée par les quatre grands partis ayant déjà participé à l’exercice du pouvoir à l’échelle nationale depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cela n’a rien d’étonnant: le secteur financier représente environ un quart du PIB et occupe désormais plus de 46.000 personnes, sans compter les entreprises qui bénéficient des retombées des activités de la Place. De même, l’industrie des fonds a pris une envergure considérable, les avoirs dépassant les 4.000 milliards d’euros en termes de volume, un chiffre qu’on a du mal à se représenter tellement il comporte de zéros.

Ce qui frappe dans les positions des représentants politiques que nous avons interrogés est l’insistance avec laquelle ils affirment que le pays a tourné la page par rapport aux pratiques du passé, lesquelles ont suscité des critiques massives à l’étranger. Laurent Mosar (CSV) reconnaît qu’il y a eu des abus, Christian Kmiotek (Déi Gréng) évoque les scandales ayant éclaboussé la Place luxembourgeoise, et Joëlle Elvinger (DP) rappelle que le Luxembourg, tout en se situant dans la légalité, courait il n’y a pas très longtemps le risque de figurer sur des listes noires en raison de son opacité dans le domaine fiscal. Nos quatre interlocuteurs soulignent à l’unisson que les temps ont changé et que l’approche des autorités nationales a évolué, en grande partie sous la pression des partenaires européens ou d’organismes internationaux. Aucun n’a cependant relevé le rôle des États-Unis qui, par le biais du Fatca, ont accéléré le changement d’orientation du Luxembourg en matière fiscale. Nos responsables politiques considèrent en outre que l’industrie des fonds est un secteur à promouvoir sans réserve, car il n’est pas entaché de soupçons d’évasion fiscale, comme ce fut le cas dans un domaine tel que le private banking.

La même unanimité règne à propos des instruments ou des produits qu’il s’agit de mettre en vitrine pour redresser l’image quelque peu écornée de la place financière: la finance verte, les fintech et le volet des assurances font partie du hit-parade. De même, les quatre partis politiques se retrouvent sur la même longueur d’onde pour réclamer des conditions équitables aux niveaux fiscal et réglementaire sur le plan international, le level playing field revenant comme un leitmotiv dans les propos de nos interlocuteurs. Une autre expression qu’on entend souvent – en particulier en provenance des partis de gauche – est le refus de participer à «the race to the bottom», Franz Fayot et Christian Kmiotek insistant tous les deux sur la nécessité de ne pas concourir à un nivellement vers le bas, en particulier au niveau des taux d’imposition. Il s’agit là d’une différence notable avec le CSV, Laurent Mosar indiquant pour sa part que le taux global d’imposition des sociétés devrait passer à moyen terme sous la barre des 20% afin de sauvegarder la compétitivité du pays.

Quelques différences d’approche

S’agissant du départ annoncé du Royaume-Uni de l’Union européenne, les positions se chevauchent là aussi entre les quatre grands partis: ils déplorent sans exception la perspective de perdre un allié de la place financière luxembourgeoise au sein de l’UE et craignent que la City de Londres ne profite de ce découplage pour attiser la concurrence avec les autres places financières européennes au moment où elle ne sera plus tenue d’appliquer les règles communes.

Des nuances sont toutefois perceptibles en ce qui concerne l’emploi des nouvelles technologies dans le monde de la finance et des instruments qui en découlent. Les représentants des quatre partis se rejoignent certes sur la nécessité de créer un cadre réglementaire pour protéger les investisseurs et lutter contre toute dérive illégale ou criminelle. L’enthousiasme à l’égard des technologies blockchain est toutefois plus prononcé au CSV et au DP, Laurent Mosar et Joëlle Elvinger étant tous les deux d’avis qu’il ne faut surtout pas rater le train en marche. Du côté socialiste, Franz Fayot souligne le potentiel de ces nouveaux instruments et invoque la diversité d’utilisation des ICO, qui exigent un traitement différent selon qu’il s’agit d’un moyen de paiement ou d’un actif numérique (token) pour financer un service ou servant de participation au capital de création d’un business. Il mise cependant sur une approche prudente, à l’instar de la CSSF, qui n’a pas encore osé s’aventurer sur ce terrain pour mettre en œuvre une politique d’encadrement. Quant aux Verts, Christian Kmiotek met l’accent sur les dangers que ces outils recèlent et maintient une distance critique à leur égard.

L’image brouillée du Luxembourg et de sa place financière a tempéré l’ardeur des responsables politiques et économiques à promouvoir les niches de souveraineté, qui faisaient autrefois le bonheur de la Place. L’expression même des «niches» est partiellement bannie du vocabulaire, et le Grand-Duché s’est mis à l’ouvrage pour remodeler son nation branding. À l’instar des produits du terroir ou des vignobles mosellans dont les crus se voient apposer une marque nationale, le pays s’est doté d’outils de promotion pour redorer le blason de la place financière à l’étranger: Luxembourg for Finance s’investit à fond dans cette mission, aux côtés d’organismes plus spécifiques tels que l’ABBL ou l’Alfi. Nos quatre interlocuteurs insistent sur la nécessité pour la place financière d’avoir une bonne réputation, car elle rejaillit automatiquement sur l’industrie des fonds. Celle-ci peut tabler sur le succès de ses produits d’exportation, en premier lieu les Ucits, dont la directive a été transposée au Luxembourg il y a exactement 30 ans.

Entre majorité et opposition

La perspective des élections législatives au mois d’octobre oblige les partis politiques à faire entendre leurs différences par rapport à leurs concurrents. Tandis que le DP, qui dirige le ministère des Finances sous la férule de Pierre Gramegna, prône la continuité et insiste sur les efforts ayant été effectués en matière de conformité et de transparence, le LSAP s’appuie sur les missions économiques menées à l’étranger sous l’égide d’Étienne Schneider en tant que ministre de l’Économie. Déi Gréng insiste davantage sur le volet écologique, mettant en avant son intérêt primaire pour la finance durable et la transition énergétique.

Le principal parti d’opposition est quant à lui assis entre deux chaises: d’un côté, il soutient la politique gouvernementale, dont les efforts visent à rendre la place financière conforme aux normes internationales et à garantir cette bonne réputation qui lui a fait quelque peu défaut dans un passé récent. D’un autre côté, le CSV n’hésite pas à émettre des critiques sur des points précis. Laurent Mosar juge ainsi que le gouvernement actuel est resté trop timide dans la refonte législative de la propriété intellectuelle. Il dénonce aussi l’excès de zèle de ce même gouvernement dans la transposition de la directive sur le dépôt de garantie des banques, estimant qu’en allant plus loin que les autres pays européens, le Grand-Duché impose aux banques un coût supplémentaire qui les défavorise par rapport aux autres établissements bancaires en Europe. Il critique par ailleurs la lourdeur accrue des procédures au Luxembourg, alors que dans le passé, leur exécution rapide constituait un atout certain. Le CSV prône en outre un renforcement massif du ministère des Finances en termes de personnel, une allusion indirecte aux nombreux départs qui ont affecté ce département lors de cette législature.