Monsieur Kmiotek, comment votre parti se positionne-t-il à l’égard de la place financière, et en particulier de l’industrie des fonds?
«La Place représente une grande part de notre PIB et de notre emploi, il faut donc la manier avec prudence. Toutefois, les scandales tels que LuxLeaks ou les Panama Papers ont mis en lumière les inégalités au sein de notre pays, mais aussi au niveau global. Le Luxembourg est toujours prompt à demander un ‘level playing field’, mais il doit aussi faire des efforts. C’est ce qui s’est passé au cours des quatre dernières années avec la coalition tripartite. Bien sûr, l’atterrissage ne peut pas être trop brutal, mais pour Déi Gréng, il s’agit d’un objectif à long terme, car nous souhaitons que l’État puisse se financer. Les impôts servent aussi d’instrument de guidage et contribuent à créer un équilibre entre ceux qui ont des épaules plus larges et les autres. Par ailleurs, nous ne souhaitons pas participer au nivellement par le bas (‘race to the bottom’), notamment en ce qui concerne l’impôt sur les sociétés. En ce qui concerne plus spécifiquement l’industrie des fonds, elle est propre d’un point de vue fiscal, mais souffre de la mauvaise image de la place financière suite aux scandales.
Comment envisagez-vous l’avenir de ce secteur au Luxembourg?
«Ce sont bien entendu les fonds durables qui nous tiennent le plus à cœur. Des initiatives ont été lancées, mais il faut prendre garde que ce ne soit pas du ‘greenwashing’. L’expression ‘durable’ revient souvent, mais il faut savoir ce que cela veut dire. Elle concerne en fait trois volets: écologique, économique et social. Notre ministre de l’Environnement et le ministère des Finances ont présenté des idées qui offrent une chance de cofinancer la transition énergétique. Des initiatives doivent venir aussi de la Banque européenne d’investissement (BEI). Un autre sujet qui domine chez les Verts au niveau européen est le désinvestissement de la production d’énergie et, plus généralement, d’une économie basée sur le carbone, c’est-à-dire l’abandon du charbon, du gaz et de l’uranium au profit des énergies renouvelables et des industries qui y recourent. Cela devrait être la tâche des fonds publics, des fonds de pension et des fonds d’investissement.
Comment la place financière doit-elle se positionner vis-à-vis des ICO («initial coin offerings»)?
«Je me pose des questions à ce sujet. Ce qui intéresse notre parti est l’économie réelle. Or, je me demande quel lien les monnaies virtuelles ont avec celle-ci. Ces monnaies virtuelles peuvent aussi être utilisées pour des activités illégales ou criminelles, ce qui irait à l’encontre de l’objectif de notre place financière: tourner le dos à l’époque du blanchiment fiscal. Quant aux ICO, le danger est qu’elles ne sont pas encadrées juridiquement. Le consommateur ou l’investisseur n’est pas du tout protégé. Il faut donc faire preuve de prudence.
L'industrie des fonds a le plus à gagner à partir du moment où nous disposons d'un encadrement sérieux, où nous adoptons une stratégie de conformité en Europe.
Christian Kmiotek, Déi Gréng
Faut-il revoir la stratégie de la promotion des fonds et de la place financière?
«Le fait que le Luxembourg se soit retrouvé dans le collimateur constituait une crise, et une crise offre toujours une chance d’agir autrement. C’est ce qui se produit actuellement. Quant au ‘nation branding’, on ne peut que vendre ce qui correspond à la réalité, sinon ça ne fonctionne pas. Les fonds ont tout à gagner s’il existe un ‘level playing field’ en matière fiscale. C’est bien entendu aussi une question d’équité.
Que peut espérer le Luxembourg dans le cadre du Brexit?
«Il apparaît que de nombreuses firmes veulent s’établir sur le continent pour des raisons de sécurité juridique et pour garder l’accès au grand marché. Le Luxembourg reçoit sa part. L’industrie des fonds a le plus à gagner à partir du moment où nous disposons d’un encadrement sérieux, où nous adoptons une stratégie de conformité en Europe. Si la Grande-Bretagne se trouve en dehors, elle a fait son choix librement. Nous ne pouvons rebattre nos cartes que parmi les 27.
Faut-il revoir le cadre fiscal et réglementaire pour être compétitif vis-à-vis d’autres centres?
«À partir du moment où nous avons une monnaie commune, nous devons aussi bâtir une économie commune, sinon des distorsions se produisent, comme on l’a vu avec la Grèce et d’autres pays du Sud. Le corollaire d’une économie commune est d’avoir à un moment donné une politique fiscale commune, quitte à ce que des nuances persistent. Ce n’est jamais tout à fait pareil d’un pays à l’autre. Mais tout nivellement par le bas doit cesser.»