Lorsque la question de la digitalisation est évoquée, Peter Vandekerckhove voit ce changement comme un défi «important à la fois pour le support de la relation, le support de l’information ou de la connaissance.» (Photo: Romain Gamba)

Lorsque la question de la digitalisation est évoquée, Peter Vandekerckhove voit ce changement comme un défi «important à la fois pour le support de la relation, le support de l’information ou de la connaissance.» (Photo: Romain Gamba)

Monsieur Vandekerckhove, vous êtes donc désormais à la tête de KBL epb. Comment estimez-vous l’état de santé du groupe dont vous venez de prendre les commandes?

«C’est une bonne banque qui est en pleine transformation. Énormément d’investissements ont été consentis dans de nouveaux systèmes informatiques, ainsi que dans la croissance des entités à l’étranger. Le groupe KBL est actif dans cinq pays avec de très belles marques. Nous sommes bien implantés. Il faut cependant bien observer qu’il s’agit d’un marché en pleine consolidation. Une vague de consolidation est en marche dans le haut du marché et une autre se produit entre les plus petites banques. Dans ce second mouvement, nous sommes un joueur important. Quand je vois ce qui a déjà été réalisé aux Pays-Bas et en Belgique, nous sommes capables de jouer un rôle dans ce mouvement de consolidation. J’ai aussi pu constater que dans chaque pays, les collaborateurs sont de grande qualité, nous pouvons à ce niveau rivaliser avec tous nos concurrents. Notre volonté est de grandir, nous sommes capables de le faire et nous allons y veiller dans chacun des cinq pays où nous sommes présents.

Que voyez-vous comme grands défis à relever?

«Nous vivons dans un marché qui a ses défis, que ce soit au niveau de la digitalisation, de la révision des process, de la différenciation, de la compliance, ou encore au niveau fiscal. Nous avons l’avantage d’être plus petits, donc plus agiles pour bouger plus vite. Mais nous avons aussi le challenge de devoir grandir et d’atteindre un certain volume d’activité dans tous les pays. Ceci dit, si je compare notre situation aux défis des plus grands acteurs en matière de digitalisation et d’adaptation à la clientèle, nous n’avons pas à rougir de notre situation. 

Comment voyez-vous le développement de KBL à moyen terme?

«Au niveau de l’entreprise elle-même, nous nous focalisons en premier lieu sur la valeur à apporter à la clientèle. Nous devons améliorer le service grâce à des outils digitaux. Ensuite, nous voulons préserver la grande proximité que nous entretenons avec notre clientèle grâce à nos différentes enseignes toutes bien implantées dans leurs marchés respectifs. Enfin, nous misons toujours sur la croissance externe, nous restons acheteurs de porte-feuilles, afin de gagner en volumes tout en développant une plateforme informatique qui reliera nos différentes entités, mais en leur laissant l’opportunité d’agir localement.

Vous êtes donc toujours à la recherche de nouvelles opportunités?

«Oui, mais nous ne recherchons pas des acquisitions de 20 ou 30 milliards d’euros. Nous devons gérer une croissance raisonnable. Je n’ai pas pour objectif de doubler la part de marché, mais bien de renforcer chacune de nos enseignes par voie de consolidation. Nous cherchons donc des opportunités de taille raisonnable. Il n’y a pas de raison que ça ne marche pas! Sur les marchés où nous sommes présents, nous disposons déjà de véritables entreprises locales. Maintenant, nous devons jouer sur les volumes.

Aujourd’hui, quand je regarde l’activité dans les différents pays, j’observe de la croissance partout.

Peter Vandekerckhove, goup CEO de KBL epb

Quelles sont les grandes missions qui vous ont été données par l’actionnaire à votre arrivée?

«On m’a simplement dit: Prenez bien soin de cette banque!

Lors de la vente de la Bil, Precision Capitala annoncé que l’argent gagné permettrait d’assurer le développement de KBL epb. Cela vous donne-t-il les moyens de vos ambitions?

«Comme je viens de le dire, nous sommes acheteurs dans les marchés où nous sommes présents. Nous sommes à la recherche d’opportunités qui correspondent à notre modèle et grâce auxquelles nous pourrons nous développer.

Uniquement dans les marchés où vous êtes déjà présents?

«Il ne faut jamais dire jamais… Mais il faut bien voir que certains marchés, comme la France par exemple, sont déjà très consolidés. Nous ne voulons pas non plus trop nous éloigner de nos bases, nous sommes une société qui veut avant tout rester proche de ses clients dans un environnement où le niveau de richesse reste important.

Au niveau des résultats, l’année 2016 avait vu une chute importante du bénéfice. La tendance reste-t-elle la même pour 2017?

«Ce sera un meilleur exercice. Au cours des dernières années, nous avons procédé à d’importantes restructurations, nous avons investi de manière conséquente dans de nouveaux systèmes et dans le remodelage et la redéfinition de la stratégie de la société. Mais, aujourd’hui, quand je regarde l’activité dans les différents pays, j’observe de la croissance partout.

Dans une interview qu’il nous a récemment accordée, George Nasra expliquait que le minimum d’actifs sous gestion nécessaire par pays se situait désormais autour de 10 milliards d’euros. Jusque-là, vous parliez de 5 milliards…

«La taille nécessaire pour assurer la rentabilité est en perpétuelle augmentation. Il faut toujours être un peu plus grand. Actuellement, pour l’ensemble du groupe, nous sommes aux alentours de 70 milliards d’euros d’actifs sous gestion, c’est donc relativement confortable.

Et quels sont alors les marchés à développer prioritairement?

«Ceux dans lesquels nous sommes présents. Désolé, je ne peux pas en dire plus.

Vous ne ressentez pas de problème pour attirer du personnel compétent?

«Ce n’est pas un problème, même si on ressent parfois des tensions. La banque privée est devenue une activité assez populaire et tout le monde se bat pour trouver des talents. Mais j’observe que nous avons du personnel de qualité, que nous parvenons à fidéliser, et que des gens qui nous avaient quittés finissent par revenir. Il y a une atmosphère et une spécialisation qu’ils n’ont pas trouvées ailleurs.

Je me suis toujours intéressé à l’impact des technologies sur l’économie en général et donc forcément dans le domaine bancaire.

Peter Vandekerckhove, goup CEO de KBL epb

La digitalisation, est-ce un grand défi pour une banque comme KBL epb?

«C’est effectivement un défi pour la banque privée. C’est important à la fois pour le support de la relation, le support de l’information ou de la connaissance, mais c’est aussi devenu indispensable dans la mesure où certains clients réclament désormais un accès entièrement digitalisé à leur banque. Notre avantage est que l’on ne doit pas tout digitaliser et qu’on n’a pas l’obligation d’être les premiers. Mais il faut quand même être un suiveur très réactif. Il faut voir ce qui marche et l’adopter. C’est différent d’une grande banque retail’ qui doit toujours prévoir un coup d’avance sur la concurrence. Nous pouvons donc assurer cette transformation à un coût inférieur et, à notre niveau, travailler avec des partenaires et développer des projets en commun. Notre agilité fait que nous pouvons bouger plus vite que d’autres.

Quel regard portez-vous sur le développement des «robo-advisors»?

«Avec les développements technologiques que nous connaissons, de nouveaux services vont se déveopper à destination de la clientèle. Les ‘robo-advisors’ vont s’améliorer et devenir un outil performant. Ce qu’on voit pour l’instant un peu partout dans le monde, c’est que sans vraiment avoir un pied dans le marché physique, ces modèles connaissent des difficultés à décoller. Les gens ont encore besoin de la confiance dans une marque, dans des conseillers. Mais à terme, le marché va devenir totalement hybride. De mon point de vue, à l’avenir, on verra plus de banques développer le ‘robo-advising’ que des ‘robo-advisors’ se transformer en véritables banques. C’est donc la machine qui va s’intégrer dans la banque. Mais je ne pense pas que ce soit au niveau de ce type de concept que la robotisation aura le plus d’impact. La véritable révolution, elle se passera au niveau du remodelage des produits, des processus, de l’expérience consommateur en lien avec la robotisation. Toutes les banques seront impactées de cette manière et, j’ose le dire, dans cinq ans, les services offerts par les banques seront bien meilleurs qu’actuellement. Les systèmes seront plus légers, plus rapides, plus accessibles. Même le service humain sera meilleur dans un environnement digital que dans un environnement physique.

Comment expliquez-vous cela?

«C’est comme ça! Des études montrent que la satisfaction des consommateurs est bien meilleure par rapport à une machine qu’à un contact humain. Mais, en revanche, les mêmes personnes n’admettent pas que l’on supprime le contact humain. Et bientôt, elles ne voudront plus non plus que l’on retire la machine. De là découle la direction que l’on prend vers un modèle hybride. Celui qui n’a pas compris cela a du souci à se faire.

KBL epb travaille-t-elle aussi à ces transformations?

«Oui, sinon je ne serais pas là.

Avez-vous des affinités particulières pour les nouvelles technologies?

«Je me suis toujours intéressé à l’impact des technologies sur l’économie en général et donc forcément dans le domaine bancaire. D’autant que, dans mes anciennes fonctions, vu la masse importante de clientèles, il fallait être à la pointe.

D’après vos premières observations, les banques luxembourgeoises sont dans le bon train de la digitalisation, elles n’accusent pas de retard?

«C’est difficile de répondre, je ne regarde pas vraiment où en sont les autres. Ce que l’on observe, c’est que les filiales d’une banque avancent dans le processus de digitalisation selon la vitesse donnée par la maison mère. La digitalisation avance à plus grands pas au Danemark qu’en Italie, une banque danoise au Luxembourg sera donc plus en avance dans le processus qu’une succursale de banque italienne.

Comment décririez-vous l’évolution du métier de banquier privé?

«L’évolution technologique au niveau mondial fait que tout est en train de changer. Nos vies changent, les systèmes politiques changent, les moyens de déplacement changent, donc la banque change aussi. C’est inévitable. Nous baignons dans cette phase de transformation comme tous les autres acteurs. Il faudra donc devenir suffisamment spécialisé, accessible et également responsable, donner l’image d’une banque honnête. De manière générale, les gens ne veulent plus avoir affaire à des sociétés qui font la une des médias pour un scandale ou l’autre. Ils veulent appartenir à une communauté, il faudra pouvoir leur proposer. Éviter le clinquant et de dépenser de l’argent à tort et à travers.

Ce sont donc des évolutions importantes…

«On ne peut plus gérer une banque comme on le faisait il y a à peine cinq ans. Premièrement, parce que le secteur est devenu beaucoup plus réglementé. Mais ensuite, parce que la nouvelle génération qui arrive, les ‘millennials’, veut travailler dans un environnement moins hiérarchisé, plus transparent et où les gens peuvent s’exprimer différemment. Pour le secteur, ce sont d’importants changements qui ne sont pas évidents à gérer.

Il faut les assimiler tout en continuant à se montrer performant. Mais c’est la manière dont le monde est en train d’évoluer. Il ne faut donc absolument pas imaginer que l’on n’est pas concerné par ces évolutions. Le changement sera profond en permanence, ce n’est pas près de s’arrêter. Mais les gens qui sauront s’adapter aux clients, rester proches d’eux et leur offrir les meilleurs services possible s’en sortiront.

Il faut effectivement bien expliquer aux gens que l’on ne peut rien obtenir sans risque.

Peter Vandekerckhove, goup CEO de KBL epb

À partir de cette analyse, comment définiriez-vous les atouts et faiblesses d’une banque comme KBL epb?

«Nous sommes vraiment un ensemble de banques locales présentes sur leurs marchés respectifs. Nous ne sommes donc pas dans le cas d’une banque qui serait sortie de ses frontières pour s’implanter sur d’autres territoires. Nous avons racheté des sociétés qui étaient vraiment imbriquées dans la communauté de leur pays. C’est un modèle tout à fait différent de tout ce que je connais sur la Place grand-ducale. C’est un premier atout. Ensuite, nous avons une histoire déjà ancienne dans tous ces pays, nous avons l’agilité et des modèles de services que nous pouvons développer sur les marchés locaux. Au niveau des enjeux digitaux, nous nous positionnons comme un ‘fast follower’ qui peut proposer des applications intéressantes à ses clients à un niveau de coûts raisonnable, dans la mesure où nous travaillons avec des partenaires extérieurs. Enfin, nous disposons dans chaque pays d’un personnel extrêmement qualifié et qui affiche un grand engagement par rapport à notre modèle.

Vous essayez de préserver des modèles culturels différents selon le pays?

«Nous essayons d’obtenir le meilleur des deux mondes. Nous développons un modèle international, mais qui laisse de la place aux spécificités locales. Qu’il s’agisse des développements technologiques ou du personnel, nous voulons pouvoir former un groupe de 2.000 personnes dans 50 villes d’Europe, qui partagent la culture d’entreprise et les compétences technologiques. 

Le meilleur exemple est sans doute notre plateforme informatique qui sera bientôt implantée dans les différents pays. Mais, en même temps, nous accordons une latitude importante aux entités nationales.

Et les clients, eux, sont-ils prêts à prendre plus de risques aujourd’hui?

«Il faut effectivement bien expliquer aux gens que l’on ne peut rien obtenir sans risque. Mais mon rôle n’est pas de pousser les gens à prendre des risques. Il est de leur expliquer comment faire pour préserver et développer leur capital à un niveau de risque raisonnable. Nous sommes prudents, mais nous pouvons aussi nous montrer innovants par rapport aux possibilités d’investissements tout en respectant les normes réglementaires.

En Belgique, BNP Paribas Fortis a annoncé en mars son intention de faire payer ses conseils aux fortunes intermédiaires (entre 80.000 et 250.000 euros). C’est apparemment une tendance qui se développe. Risque-t-elle d’atteindre le Luxembourg?

«Avec l’environnement de taux bas que nous connaissons, les banques vont devoir se rémunérer d’une autre façon. Si elles veulent continuer à payer leur personnel, rémunérer leurs clients et offrir des dividendes à leurs actionnaires, elles doivent pouvoir obtenir une rémunération correcte pour leurs services. Mais, au final, c’est le marché qui arbitrera entre ceux qui doivent mettre en place de telles règles et ceux qui n’en ont pas besoin.  

Une question plus philosophique pour conclure : vous vous occupez des intérêts des 10 % de la population la plus riche dans un monde où les inégalités se creusent. Vous sentez-vous interpellé par cet aspect de votre métier?

«Si on fait les choses correctement, je n’y vois pas de problème. Nous sommes passés d’un monde où beaucoup de choses pouvaient se faire à un autre où tout n’est plus permis. Vous pourrez voir dans ce que j’écris, comme dans les conférences que je donne, que je prêche toujours pour une banque responsable et qui se conforme aux règles en vigueur. Ces règles ne sont pas juste mises en place par un régulateur, elles émanent d’une demande de la société. Pour obtenir la confiance des gens, il faut agir de la manière dont la société attend que vous le fassiez. Il faut donc se montrer correct. Mais une fois qu’on respecte ces principes, prendre en charge le capital que quelqu’un a gagné ou hérité et veut transmettre à ses enfants est un métier tout à fait honorable. Si on ne le faisait pas bien, ce ne serait évidemment pas le cas. De ma propre expérience, j’estime que la situation s’est assez bien améliorée en 20 ans.»