Les victimes de la fraude de Bernard Madoff (ici) sont privées du droit de porter plainte au pénal. (Photo: scmp.com)

Les victimes de la fraude de Bernard Madoff (ici) sont privées du droit de porter plainte au pénal. (Photo: scmp.com)

Et si le volet pénal de l’affaire Madoff partait en vrille? Alors que déjà, sur le plan civil, les procédures au Luxembourg semblent bloquées (depuis 2012) pour les victimes d’une des plus importantes escroqueries financières dont des entités luxembourgeoises (les fonds Luxalpha et Luxinvest étaient les plus importants) ayant servi de support à Bernard Madoff ont fait faillite.

La question de l’enterrement en catimini est posée à la suite d’une ordonnance plutôt détonante délivrée le 9 juillet dernier par le juge d’instruction directeur Ernest Nilles. Le magistrat a ainsi déclaré irrecevable une plainte pour faux et usage de faux avec constitution de partie civile contre les membres du conseil d’administration de la Sicav Luxalpha. Cette plainte avait été déposée en février 2012.

Deux ans pour dresser le constat

Les décisions d’irrecevabilité interviennent en principe assez rapidement après le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile et le fait que le juge ait mis plus de deux ans pour dresser ce constat interpelle. Le raisonnement «très court» d’Ernest Nilles à la base du rejet de la plainte suscite également des questions sur le peu de droits que la justice luxembourgeoise donne aux investisseurs lésés à se retourner contre les responsables des défaillances présumées, sous prétexte que la réglementation sur les faillites suspend toute possibilité de poursuite individuelle aux victimes.

Ce droit de poursuite étant assuré par le ou les liquidateurs, les victimes ne se voient pas reconnaître d’intérêt à agir parce ce qu’elles ne peuvent pas faire valoir un préjudice spécial ou distinct, déconnecté du dommage subi par la Sicav elle-même.

Bref, pour pouvoir porter plainte et avoir une chance que des poursuites soient engagées, un créancier doit faire la démonstration d’un préjudice personnel séparé de celui qui frappe les autres créanciers. Aussi, le seul fait d’avoir perdu de l’argent (préjudice matériel) ne peut suffire à lui ouvrir le droit à des poursuites à titre individuel, vu que dans l’affaire des fonds Madoff, tous les investisseurs ont perdu leur mise.

Les tribunaux luxembourgeois considèrent qu’il appartient aux liquidateurs de LuxAlpha et LuxInvest de récupérer l’argent pour le redistribuer ensuite aux victimes de Madoff.

Quid de l'intérêt vindicatif?

En tranchant de la sorte, le juge d’instruction directeur prive des victimes de fraude financière de la possibilité d’agir au niveau pénal indépendamment des procédures engagées par les liquidateurs. Ernest Nilles semble avoir oublié que l’intérêt à agir n’est pas automatiquement lié à un préjudice matériel. Cet intérêt peut aussi être vindicatif, nonobstant les dommages matériels subis.

La France, par exemple, reconnaît aux victimes des intérêts vindicatifs. Quelles sont donc les raisons qui poussent à priver les victimes de ce droit au Luxembourg?

En l'occurrence, las, les plaignants n’ont pas souhaité faire appel de l’ordonnance. Dommage, commentent des juristes, car en seconde instance, la décision aurait sans doute été réformée en raison de la nouvelle composition de la chambre d’appel, celle-là même qui avait renvoyé une première fois le juge d’instruction directeur à ses pénates et réformant une ordonnance de non informé qu’il avait rendu en décembre 2013 dans l’affaire Landsbanki.

La question se pose aussi de savoir où en est aujourd’hui l’enquête pour faux et usage de faux que le Parquet de Luxembourg avait ouvert à l’été 2010, après avoir mis la main sur des documents impliquant UBS Luxembourg, la banque dépositaire des fonds Madoff. L’enquête a été confiée à un magistrat nommé Ernest Nilles.