La Cour d'appel a reconnu des droits à une société qui assignait UBS. (Photo: myswitzerland.com)

La Cour d'appel a reconnu des droits à une société qui assignait UBS. (Photo: myswitzerland.com)

Petite victoire, mais victoire quand même pour une société financière française ayant investi pour le compte de ses clients et par l’intermédiaire de la banque française Martin Maurel dans la Sicav luxembourgeoise Luxalpha, qui était un pur produit de l’escroc Bernard Madoff.

Après cinq ans de procédure contre UBS, la banque dépositaire de Luxalpha et de ses administrateurs et contre le réviseur Ernst&Young, après que le fonds luxembourgeois a été déclaré en faillite en avril 2009 et un premier jugement intervenu le 4 mars 2010 la déboutant sur toutes ses prétentions, la société a eu le droit de voir la demande en réparation de son préjudice matériel déclarée recevable par la Cour d’appel.

Les victimes pas vraiment concernées

La juridiction a ainsi ouvert une petite porte pour que les intermédiaires financiers récupèrent un peu d’argent. Les victimes finales ne sont pas vraiment concernées par la décision tombée mi-juillet.

Ce n’est pas une grande avancée dans la mesure où l’arrêt rendu le 15 juillet dernier, la veille des vacances judiciaires, renvoie l’affaire devant le Tribunal de commerce autrement composé et que la Cour ne s’est pas prononcée sur le fond, mais uniquement sur des questions de procédure. Mais c’est la preuve, quand même, que la justice luxembourgeoise prend désormais au sérieux les droits de certaines victimes de fraudes financières (à tout le moins les intermédiaires financiers), même si elle prend un temps peu acceptable pour rendre des décisions. Il faut dire qu’il n’y a qu’une seule chambre commerciale au niveau de la Cour d’appel. Et celle-ci croule de ce fait sous les affaires.

Reprenons le fil de l’histoire de ce fonds Madoff, Luxalpha: après la découverte de la fraude, il est déclaré en liquidation. Aussi, les victimes de l’escroquerie ont-elles dû effectuer une déclaration de leurs créances aux liquidateurs ayant été nommés par le Tribunal de commerce. Dans ce cas, les créanciers ne disposent plus du droit de porter plainte individuellement en justice ou d’assigner des tiers en réparation des dommages subis. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé dans l’affaire Madoff avec une plainte au pénal introduite en 2010, mais personne n’a de nouvelles de l’avancée du dossier au niveau du cabinet d’instruction.

Comme Paperjam.lu l’a raconté récemment, le juge d’instruction Ernest Nilles a classé sans suite le 9 juillet une plainte avec constitution de partie civile d’une banque française ayant vendu des parts du fonds Luxalpha à ses clients.

Il appartient donc aux liquidateurs d’accomplir collectivement toutes les démarches en récupération des actifs ou d’introduire des actions en justice dans l’intérêt de la société, de ses actionnaires et de ses créanciers, qui perdent ainsi toute possibilité d’action individuelle. Il y a toutefois des exceptions, lorsque les victimes peuvent faire valoir un préjudice distinct de celui qu’a connu la Sicav ou ses «actionnaires». Encore faut-il pouvoir caractériser ce préjudice distinct. Il s’agit d’un point sensible des procédures au Luxembourg, parce que les victimes de Madoff s’étaient vues refuser jusqu’alors ce droit de saisir la justice en dehors des interventions des liquidateurs, ne parvenant pas à faire la preuve qu’elles avaient subi un préjudice différent des autres.

46.569 euros de commissions impayées

L’arrêt du 15 juillet ne reconnaît cependant à la société française qu’un seul droit contre les administrateurs de la banque UBS Luxembourg et trois entités liées au groupe bancaire suisse ainsi que contre le réviseur Ernst&Young: celui de retourner devant la juridiction commerciale pour réclamer un préjudice matériel. Il est en l’occurrence de 46.569 euros pour le demandeur qui fait valoir la non-perception des frais de gestion et de commission d’engagement pour les années 2009 à 2013.

En première instance, cette demande fut rejetée au motif que la société française n’avait pas pu établir de lien de causalité entre son préjudice et les manquements reprochés entre autres à UBS. Or, les juges d’appel affirment le contraire: «Le préjudice de l’appelante, écrivent-ils, a été suffisamment caractérisé et ne se confond ni avec le préjudice subi par la société ni avec celui subi par les porteurs de parts.»

La Cour n’a pas jugé recevables les prétentions de la société sur le volet du dommage moral, considérant que celui qui était invoqué «n’était en réalité que le reflet d’un préjudice patrimonial et qu’à défaut de caractérisation du préjudice moral, il n’avait pas de consistance suffisante pour en réclamer réparation en justice».

La juridiction a ainsi ouvert une brèche dans le dispositif de défense très procédurière de la banque UBS, qui est accusée de bloquer et faire traîner en longueur les procédures. D’autres arrêts sont encore attendus. Ils pourraient redonner un certain espoir aux victimes de l’une des plus grandes escroqueries financières au monde.