Les victimes de la fraude Madoff n'arrivent pas à faire endosser la faute aux réviseurs et aux banques dépositaires. (Photo: nyt)

Les victimes de la fraude Madoff n'arrivent pas à faire endosser la faute aux réviseurs et aux banques dépositaires. (Photo: nyt)

Encore un «procès impossible» d’une victime de l’escroc américain Bernard Madoff, avec cette fois dans le mauvais rôle, la firme Ernst&Young Luxembourg (désormais EY) ainsi que la «tête du réseau» à Londres. 

Le fonds d’investissement Norvest, en liquidation volontaire depuis novembre 2009, avait assigné en mars 2012 son ancien réviseur Ernst&Young (2003 à 2007), mais aussi l’entité anglaise Enst&Young Global Limited. Le fonds luxembourgeois réclamait, sur la base de leur responsabilité contractuelle, sinon délictuelle, 130,694 millions d’euros en réparation de son préjudice matériel après la débâcle dans les fonds nourriciers «Madoff», notamment Luxalpha et Luxinvest (LIF) et quatre autres fonds dans lesquels avaient été investie la coquette somme de 140,480 millions d’euros. Des fonds difficilement récupérables pour Norvest, constitué en 2001 par la société de gestion Iskander, laquelle est domiciliée au siège de la BCEE. D’ailleurs, le président du conseil d’administration de la Sicav fut longtemps Jean-Claude Finck, le patron de la banque publique.

Norvest reprochait donc à son réviseur de ne pas avoir accompli sa mission dans le respect de ses obligations légales et contractuelles et d’avoir ainsi engagé sa responsabilité. Deux griefs principaux ont été évoqués dans la procédure: d’abord, EY aurait manqué aux exigences de vérification de la valeur des actifs détenus par les fonds sous-jacents, ensuite, la firme d’audit avait un conflit d’intérêts en cumulant à la fois un mandat de révision pour Norvest et pour certains fonds dans lesquels cette Sicav détenait des participations.

Conflit d’intérêts

«Ernst&Young aurait dû, en sa qualité de réviseur de Luxalpha, de LIF et d’UBS (la banque dépositaire des fonds Madoff), relever le cumul des fonctions de dépositaire et de gestionnaires dans le chef de BMIS (la société de gestion de Bernard Madoff aux États-Unis, ndlr)», indique l’assignation.

Pour sa défense, EY avait plaidé l’irrecevabilité de l’assignation (les juges lui ont d'ailleurs donné raison), estimant, selon le jugement du 21 mai, en premier lieu, que les fautes alléguées «seraient sans rapport avec les obligations contractuelles (lui) incombant» et, en second lieu, que la Sicav cherchait ainsi, par une manière détournée, à récupérer ses investissements perdus sur le dos de son ancien réviseur.

Or, les fonds Madoff au Luxembourg ont été placés en liquidation et c’est l'implacable procédure sur les faillites qui s’applique. Il incombe donc aux liquidateurs d’engager les poursuites qu'ils jugent nécessaires (ils ont d'ailleurs engagé une plainte au pénal au Luxembourg contre les réviseurs et le régulateur, mais la marche de la justice est lente) et de récupérer de l’argent pour l’ensemble des créanciers.

Norvest avait cherché à contourner la procédure en mettant en cause la responsabilité de son réviseur, comme d’autres victimes ont invoqué en leur temps la responsabilité de la banque dépositaire en espérant l’amener à les rembourser. «Seuls les liquidateurs ont qualité pour agir au nom et dans l’intérêt des créanciers et investisseurs», lui ont rappelé les juges.

Outre qu’ils ont considéré la demande irrecevable, ils l’ont aussi qualifiée «d’action hybride» à la fois contractuelle et délictuelle. Or, les deux ne sont pas possibles en même temps, comme les juges l'ont rappelé: «Ce sont ou bien les règles de la responsabilité délictuelle qui jouent ou bien celles de la responsabilité contractuelle. On ne peut pas les combiner.» «La majorité des fautes alléguées et partant la cause des dommages invoqués (…) ne se rattache pas par un lien nécessaire à l’exécution du contrat incriminé, c’est-à-dire le contrat de révision des comptes liant Norvest et la société Ernst&Young», ont-ils précisé.

Comme toujours, pas de préjudice distinct

Le raisonnement du tribunal a été le suivant, confirmant la ligne tracée depuis le début de l’affaire: le préjudice principal invoqué par Norvest réside dans la dévalorisation des actions détenues dans les fonds d’investissement luxembourgeois et «constitue en même temps la perte de l’actif des sociétés Luxalpha et LIF».

La Sicav, ont encore argumenté les juges, n’a pas été en mesure de caractériser un «préjudice distinct» de celui subi par les fonds Madoff et son préjudice constitue dès lors «une simple répercussion du préjudice subi par les fonds d’investissement de droit étranger» et «ne saurait s’analyser en préjudice personnel de Norvest permettant de fonder une action en responsabilité» contre son ancien réviseur. «L’absence d’allégation d’un préjudice personnel distinct», poursuivent-ils, «de celui subi par les six fonds d’investissement démontre également que ce prétendu préjudice principal est identique à celui subi par tous les actionnaires dont les investissements sont impactés par l’escroquerie Madoff trouvant partant son origine dans celle-ci et non dans l’inexécution d’une obligation contractuelle à charge (d’EY)».

Encore une occasion de faire enrager les victimes de la fraude Madoff, plus de cinq ans après la révélation de l’affaire.