Adrien Ney: «La précarité de l’emploi chez Luxair est donc un reproche des syndicats que je n’accepte pas.» (Photo: Nader Ghavami)

Adrien Ney: «La précarité de l’emploi chez Luxair est donc un reproche des syndicats que je n’accepte pas.» (Photo: Nader Ghavami)

Monsieur Ney, quel bilan tirez-vous des différentes activités de Luxair pour l’année 2017 et comment envisagez-vous les prochains mois à venir?

«Nous n’avons pas encore clôturé tous nos comptes, mais je pense que 2017 sera une bonne année. Nous n’avons pas rencontré d’imprévus ni d’incidents géopolitiques, le kérosène est resté à des prix très bas, les volumes en cargo ont été là et, donc, nous avons navigué dans un environnement positif.

Pour 2018, le prix du kérosène devrait augmenter de l’ordre de 25% – un phénomène négatif pour tout le secteur aérien –, et la concurrence va continuer de progresser, comme l’illustre l’annonce récente par un low coster de l’ouverture d’une nouvelle liaison. Pour mieux évaluer la réelle tournure que va prendre cette nouvelle année, il va falloir attendre juillet ou août pour des prévisions plus précises.

Quelles sont, parmi vos différentes sources de revenus, celles qui peuvent le plus contribuer au développement de vos activités?

«On ne peut pas différencier nos sources de revenus. Ce qui est important, c’est que la profitabilité soit présente dans toutes nos activités, dont nous regardons bien entendu le comportement singulier et individuel. Mais au final, c’est le résultat global – ou le revenu médian de nos activités – qui compte. Le pire qui pourrait nous arriver, c’est que ce résultat baisse ou enregistre une forte diminution, comme cela a été le cas après la crise financière de 2008.

Entre Sarrebruck et Berlin, nous espérons attirer entre 70.000 et 80.000 passagers par an.

Adrien Ney, CEO de Luxair

Vous venez de reprendre l’exploitation de la liaison Sarrebruck–Berlin qu’assurait auparavant Air Berlin, mise en liquidation judiciaire. Qu’est-ce qui a motivé cette reprise?

«Nous nous définissons comme un acteur aérien non pas international ni même européen, mais d’abord régional, et nous connaissons très bien l’aéroport de Sarrebruck, qui est un aéroport régional. Lorsque Air Berlin a cessé d’exploiter cette liaison vers Berlin, nous avons été contactés par les responsables de cet aéroport, puis avons démarré cette ligne en janvier.

Du fait peut-être que nous avons une notoriété très positive en Sarre, les premiers résultats semblent encourageants. Mais on ne peut toutefois pas juger du bilan d’exploitation d’une ligne au bout d’un mois. Pour cela, il en faut au moins six.

Vous êtes-vous fixé un objectif à atteindre?

«Nous pensons et espérons pouvoir attirer entre 70.000 et 80.000 passagers par an sur cette liaison. Ce qui représenterait de 7 à 8% de notre clientèle actuelle.

Cette ligne vise-t-elle une clientèle essentiellement allemande?

«Oui, bien sûr. Voire française puisque Sarrebruck est près de Forbach et de la frontière franco-allemande, au nord-est de la  Moselle. Mais en aucun cas, nous ne souhaitons cannibaliser la clientèle de notre liaison Luxembourg–Berlin.

Pour de nouvelles lignes, nous analysons chaque occasion qui peut se présenter.

Adrien Ney, CEO de Luxair

Cette liaison purement étrangère – une première pour Luxair – est-elle un modèle que vous pourriez mettre en place ailleurs?

«C’est un modèle que nous pourrions reproduire si l’occasion se présentait. Mais je ne crois pas qu’il y en aura beaucoup.

Est-ce que vous travaillez au développement de nouvelles lignes?

«Nous avons déjà annoncé, pour Luxairtours, quatre nouvelles destinations pour cet été que seront Reykjavik en Islande; l’île de Brač en Croatie; la reprise de la destination Enfidha en Tunisie; et enfin Nice, sous la forme d’une offre ‘balnéaire’.

Du côté de l’airline, nous avons donc mis en place la liaison entre Sarrebruck et Berlin, des vols vers Milan-Linate en ‘wet lease’ en complément de ceux vers Milan-Malpensa, et décidé de renforcer nos fréquences hebdomadaires vers Barcelone, Bari, Copenhague, Dublin, Genève et Venise.

Pour le reste, nous regardons et nous analysons de manière permanente – sur base d’informations de flux, ainsi que de discussions menées avec nos clients – chaque occasion qui peut se présenter, que ce soit pour l’airline ou le tour-opérateur. En précisant que pour ce dernier, il faut en plus qu’il y ait une offre hôtelière complémentaire à la destination, offre sur laquelle nous travaillons aussi.

En matière de business, les activités de la place financière sont de plus en plus tournées vers l’Asie. Cela vous donne-t-il à réfléchir quant à votre offre pour cette potentielle clientèle d’affaires?

«Non. Pour ces destinations asiatiques – dont la Chine vers laquelle vole Cargolux – il faut un type d’avion long-courrier que nous n’avons pas. Et je ne vois pas Luxair développer des activités de ce type.

Vos clients d’affaires, qui sont-ils? Quelle part représentent-ils dans votre clientèle globale?

«C’est difficile à chiffrer de manière précise car elle vole aussi bien en classe affaires qu’en classe économique. Cela dit, on l’estime à quelque 30% de notre clientèle, sachant bien entendu qu’elle est plus importante sur certaines destinations que sur d’autres, dont Londres-City pour laquelle nous proposons désormais sept rotations par jour. Ce qui représente – et c’est ce que recherchent les hommes d’affaires – une offre de flexibilité importante, qui vaut aussi entre autres pour Munich ou pour Milan.

Vous parliez il y a un instant d’activités long-courriers. Que pensez-vous du ‘rêve’ du ministre du Développement durable et des Infrastructures, François Bausch, de voir à nouveau exploitée une liaison transatlantique entre le Grand-Duché et les États-Unis?

«Il a entièrement raison d’accorder de l’importance à une liaison entre Luxembourg et New York. Pour des raisons déjà évoquées, ce ne sera pas Luxair, mais nous espérons tous qu’un opérateur américain parviendra à le faire. Ce serait bénéfique pour le Grand-Duché, pour développer ses affaires et lui ouvrir de nouveaux marchés, mais également pour Luxair dans le cadre de nos activités de services au sol.

Ne pourrait-il pas être européen, comme KLM, Swiss, Lufthansa ou Turkish Airlines déjà présents au Findel?

«Éventuellement, mais les opérateurs européens que vous citez exploitent déjà pas mal de liaisons transatlantiques depuis leurs bases respectives. De ce fait, je vois davantage un opérateur américain se positionner sur cette ligne plutôt qu’un européen. Cela me paraît plus logique.

Faudra-t-il le démarcher?

«Non, ce n’est pas nécessaire. Chaque compagnie internationale fait ses analyses de marché. Avec des représentants aux quatre coins du globe qui connaissent bien tous les aéroports. Dont celui de Luxembourg qui est actuellement l’aéroport européen avec la plus grande croissance. Toutes ces compagnies le savent très bien!

Le ministre de l’Économie, Étienne Schneider, qui était la semaine passée en Russie a, quant à lui, plaidé en faveur d’une liaison directe entre Luxembourg et Moscou…

«Pour les mêmes raisons que pour New York, j’estime que ce serait également une bonne chose si celle-ci devait voir le jour.

Pour le renouvellement de notre flotte, il y a quatre alternatives en matière d’appareils.

Adrien Ney, CEO de Luxair

Vous aviez évoqué l’an dernier à pareille époque le possible renouvellement de votre flotte à compter de 2019. Ce sujet est-il toujours d’actualité?

«C’est le conseil d’administration de la compagnie qui doit décider de ce renouvellement, et je suis convaincu qu’une décision sera prise dans ce sens d’ici la fin de cette année.

Vous aviez même évoqué un appareil précis, le Bombardier C Series, pour effectuer ce renouvellement…

«Ce n’est pas exact. On m’a prêté des propos que je n’ai pas tenus. Selon le développement de nos activités – nos destinations, leurs fréquences, les opérations de maintenance et surtout le coût –, il y a quatre alternatives qui peuvent nous intéresser, toutes supérieures à 76 sièges et donc à nos actuels Q400. Il y a le Bombardier C Series que vous avez cité et que Swiss utilise déjà sur Luxembourg, mais également le Bombardier CRJ avec lequel Lufthansa vole également ici au Findel, l’Embraer Jet et le Boeing 737.

Mais là encore, même si j’ai mes préférences – j’en ai deux, mais je les garderai pour moi –, c’est le conseil d’administration de Luxair qui devra prendre la décision, pour un renouvellement partiel ou complet de notre flotte, en une, deux ou trois étapes.

Face au low cost, ceux qui ne se sont pas adaptés ont tous disparu.

Adrien Ney, CEO de Luxair

C’est une question récurrente, mais après l’annonce la semaine dernière par Ryanair d’une nouvelle destination vers Séville, quelle est votre position face à cette concurrence croissante des low cost?

«L’activité des low cost est une activité qui va continuer. Il y a trois acteurs dans ce secteur présents ici au Findel que sont Ryanair, Easyjet et Vueling, même si – pour cette dernière – elle n’a pas communiqué, les vols qu’elle opère vers Barcelone ne peuvent plus être réservés au-delà du 8 avril, ce qui est probablement le signal que cette route ne sera plus desservie. Cela reste à voir…

Mais il ne faut pas être naïf. Cette concurrence va continuer à grandir. Et c’est à nous d’anticiper, de nous adapter, et de nous battre de la manière la plus intelligente, comme nous n’avons cessé de le faire depuis l’arrivée de ces low cost à Luxembourg.

Si nous ne nous étions par adaptés par notre changement de flotte à partir de 2007, si nous n’avions pas adapté notre politique tarifaire, on serait déjà mort, c’est bien clair! Ceux qui ne se sont pas adaptés ont tous disparu. Nous nous battons avec les moyens qui sont les nôtres, et c’est grâce à ce combat que nous avons réussi à survivre.

Si on regarde autour de nous, il y a des acteurs de plus en plus importants du côté des compagnies classiques et des compagnies low cost. Et tous les autres ne sont plus là ou ont du moins été absorbés.

Que pensez-vous de ces compagnies classiques qui ont créé leur propre low cost, comme Air France avec Hop?

«Je ne crois pas en la création hybride d’un low cost. Soit vous le faites comme Lufthansa, de manière vraiment à part et sans aucun lien avec la maison mère, soit cela ne marchera pas.

Ce sont des philosophies différentes et des moyens de rémunération différents. Voyez Lufthansa avec Eurowings. C’est un concept avec des logos qui sont différents, des systèmes de réservation différents. C’est très difficile à réaliser. Et encore… Eurowings est un acteur relativement modeste, pour ne pas dire petit, à côté de Ryanair, Easyjet ou Norwegian.

Quel est pour Luxair le principal danger que représentent ces low cost?

«La surcapacité. C’est le pire qui puisse vous arriver quand vous vous battez à plusieurs acteurs sur une route et que le marché n’est pas là.

Une surcapacité comme sur les routes portugaises que vous êtes quatre à exploiter?

«Jusqu’à présent, elle est encore gérable. Mais imaginez qu’il y ait un cinquième ou un sixième acteur qui se mette sur ces lignes-là… ce ne sera plus viable. Pas seulement pour des compagnies classiques, mais également pour certains low costers.

Sur ces destinations et face à vos concurrents, qu’est-ce que Luxair a de plus à proposer?

«D’abord, il n’y a pas de surprise dans notre politique de prix. Vous achetez un billet dans lequel tout est compris.

En plus, nous offrons un service à bord de haute qualité et, en cas d’incident – lors de l’annulation ou du retard d’un vol par exemple –, nous sommes convaincus que nous offrons un service qui est largement au-dessus de ce que font les low cost. Nous, on ne laisse pas nos clients tout seuls.

Avec 400 emplois en CDI créés en quatre ans, nous ne sommes pas un employeur précaire.

Adrien Ney, CEO de Luxair

Dans un communiqué commun récent avec les syndicats, chose assez rare, Luxairgroup a évoqué un «dialogue social constructif»…

«Nous sommes en dialogue constant avec les syndicats et notre délégation du personnel. Donc, oui, il y a un dialogue social constructif. Cependant, il nous a été reproché d’être un employeur précaire. Et sur ce point, je suis extrêmement fâché et je n’accepte pas ce reproche.

Entre 2015 et 2017, du côté de notre activité cargo, nous avons créé 200 postes de travail en contrats à durée indéterminée (CDI). Cette année, en 2018, nous en avons déjà créé 50 supplémentaires au 1er janvier et 50 seront créés d’ici mars ou avril. Et, si les volumes et l’activité cargo restent soutenus, il y en aura encore 50 de plus d’ici les vacances d’été et 50 autres d’ici la fin de l’année. En plus de 50 contrats à durée déterminée (CDD) en cours d’embauche et 50 autres à réaliser d’ici avril et mai.

Cela pourrait donc représenter l’embauche de 400 personnes en quatre ans, dont 200 rien que pour 2018. Est-ce cela la définition d’un employeur précaire? Quelle société au Luxembourg peut présenter un tel bilan de recrutement? Nous comptons parmi les employeurs au Grand-Duché qui ont le plus recruté ces dernières années.

Ceci en précisant, pour les contrats à durée déterminée, que la croissance de l’activité cargo est très volatile, et nous avons besoin d’une certaine flexibilité. Si la croissance est encore d’actualité tout au long de cette année et qu’elle se poursuit en 2019, nous embaucherons encore en CDI.

La précarité de l’emploi est donc – j’insiste – un reproche que je n’accepte pas. Le taux de départs volontaires chez Luxair le démontre: il est extrêmement bas. Avec la croissance économique que connaît le pays, si nous étions un employeur précaire, les gens partiraient travailler ailleurs.»