Les juges de la CJUE admettent qu’un employeur proscrive tout signe religieux dans son règlement interne – encore faut-il qu’il prouve que celui-ci ne désavantage pas certains salariés d’une religion ou conviction donnée. (Photo: Maison moderne / archives)

Les juges de la CJUE admettent qu’un employeur proscrive tout signe religieux dans son règlement interne – encore faut-il qu’il prouve que celui-ci ne désavantage pas certains salariés d’une religion ou conviction donnée. (Photo: Maison moderne / archives)

La Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée dans deux affaires de salariées licenciées pour avoir porté le voile dans le cadre de leur activité professionnelle. Elle avait en effet été saisie par les Cours de cassation belge et française – signe de l’embarras des juridictions nationales sur une question très sensible que la directive 2000/78/CE sur l’égalité de traitement n’a pas réglée.

La première affaire concerne Samira Achbita, une réceptionniste de G4S Secure Solutions en Belgique licenciée au bout de trois ans pour avoir, du jour au lendemain, décidé de porter un foulard au travail. Un geste contraire au règlement intérieur consacrant le principe de «stricte neutralité» et excluant de ce fait le port de signes politiques, philosophiques ou religieux sur le lieu de travail. La salariée avait été remerciée après quatre mois de refus de retirer son foulard.

Suivant les conclusions de l’avocat général Juliane Kokott, les juges estiment que le règlement intérieur de G4S «se réfère au port de signes visibles de convictions politiques, philosophiques ou religieuses et vise donc indifféremment toute manifestation de telles convictions». Pas de discrimination directe donc, mais peut-être une discrimination indirecte s’il s’avérait que cette règle apparemment indifférenciée touchait en réalité uniquement les salariés d’une religion donnée. Toutefois, quand bien même discrimination il y aurait, celle-ci «peut être objectivement justifiée par un objectif légitime, tel que la poursuite par l’employeur, dans ses relations avec ses clients, d’une politique de neutralité politique, philosophique et religieuse, pourvu que les moyens de réaliser cet objectif soient appropriés et nécessaires». Au juge belge de décider si le licenciement de Mme Achbita était une mesure appropriée ou disproportionnée.

Le souhait du client ne légitime pas un licenciement

Dans la deuxième affaire, Asma Bougnaoui, ingénieure informatique, contestait son licenciement au bout d’un an de contrat chez Micropole Univers, une entreprise de services informatiques. La jeune femme s’était présentée voilée chez un client de l’entreprise qui s’en était plaint et avait demandé à ce qu’il n’y ait «pas de voile la prochaine fois», indique la lettre de licenciement adressée à la jeune femme en juin 2009. Celle-ci s’était ensuite refusée à ôter son voile.

La Cour de cassation avait alors saisi la CJUE afin de savoir si l’exigence d’un client d’une entreprise de services de ne pas voir de voile islamique pouvait échapper au principe de non-discrimination fondée sur la religion. Dans ses conclusions, l’avocat général Eleanor Sharpston pointait la discrimination directe d’une interdiction du voile et suggérait des solutions intermédiaires comme le choix d’un foulard de la même couleur que l’uniforme ou des signes plus discrets.

Les juges du Kirchberg mettent en avant, comme pour l’arrêt G4S Secure Solutions, l’analyse du règlement interne fondant la prohibition du foulard au travail et invitent la Cour de cassation à vérifier s’il s’applique de manière indifférenciée aux salariés. En l’absence d’une telle règle interne se pose la question de savoir si le souhait d’un client de ne plus travailler avec une salariée portant le voile «constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante». La réponse de la CJUE est très claire: cette notion renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice d’une activité professionnelle et ne couvre pas des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client.

Un employeur n’est donc pas fondé à licencier une salariée en raison du refus d’un de ses clients de travailler avec elle parce qu’elle porte le voile.