Tout comme Nicolas Mackel, Georges Bock, partner et head of tax chez KPMG, estime que le Brexit pourrait générer quelque 3.000 emplois sur la Place. (Photo: Gaël Lesure / archives)

Tout comme Nicolas Mackel, Georges Bock, partner et head of tax chez KPMG, estime que le Brexit pourrait générer quelque 3.000 emplois sur la Place. (Photo: Gaël Lesure / archives)

Monsieur Bock, l’annonce, la semaine passée, de l’arrivée de T. Rowe Price au Luxembourg est la 28e recensée depuis l’annonce du déclenchement du Brexit. Ce qui fait que le pays semble être le plus attractif sur le continent. Que dit réellement ce chiffre, selon vous?

«C’est bien d’avoir une belle vitrine et de pouvoir dire que nous avons 28 entités qui se sont décidées pour le Luxembourg. Mais il ne faut pas méconnaître une certaine réalité, à savoir que pour les acteurs des fonds – des fonds alternatifs par exemple –, ce chiffre augmente rapidement, mais ne se traduit pas vraiment en termes d’emplois. Ce que la Place ne recherche d’ailleurs pas, car cela pourrait créer de la pression dans le secteur. Donc, deux décisions en faveur de Paris ou de Francfort peuvent facilement dépasser, de ce point de vue, la vingtaine de décisions prises pour Luxembourg. Si c’est très bien que ces sociétés aient fait le choix du Grand-Duché, il faut bien garder en tête leur impact proportionnel, car ce sont de grosses substances qui iront là-bas, contrairement à nous.

Dans quelle phase de ce mouvement de transfert nous trouvons-nous actuellement? Avons-nous déjà atteint le pic, ou n’est-ce qu’un début?

«Nous constatons que les plans de délocalisation se font, mais nous ne voyons pas encore de grands mouvements concrets. J’entends par là que nous assistons à des annonces avec l’arrivée de plusieurs dizaines de personnes, mais que ces annonces ne sont pas encore suivies d’effets puisque personne, à Londres, n’est encore désigné pour venir au Luxembourg. Si les plans sont là, leur mise en place reste toujours en cours. Je ne pense donc pas que le pic soit atteint. Il reste encore beaucoup d’acteurs qui devront prendre des décisions, soit parce qu’elles ne sont pas encore prises ou soit parce qu’ils ne l’ont pas encore affiché. Plus les négociations entre Londres et Bruxelles se préciseront, plus le nombre d’annonces devrait grossir, selon moi. Notamment en lien direct avec le détail sur le non-accès, depuis la City, au marché européen de la finance. Cela devrait particulièrement toucher des institutions agiles d’une taille comprise entre 40 et 50 personnes et non des entreprises contraintes de déplacer 200 ou 300 personnes.

Attendre la fin des négociations pour décider de l’avenir, c’est trop dangereux.

Georges Bock, head of tax chez KPMG Luxembourg

Pour Nicolas Mackel, CEO de Luxembourg for Finance, le Brexit pourrait aboutir à la création de 3.000 emplois sur la Place, en lien avec le Brexit. Cette estimation vous semble-t-elle cohérente au vu de ce que vous observez?

«C’est tout à fait réaliste. Notamment si on prend en compte les effets secondaires, comme le fait que certains prestataires ne vont pas nécessairement faire de grande annonce, mais renforceront tout de même leur présence au Luxembourg. Je pense notamment aux prestataires informatiques ou aux cabinets de conseil qui peuvent prendre la décision de se rapprocher de leurs clients au Luxembourg. Le chiffre de 3.000 emplois n’est donc pas illusoire.

Pensez-vous que le schéma que vous venez de décrire pourrait être complètement chamboulé? 

«Tout est possible dans le cadre de négociations… Aujourd’hui, les gens se préparent à un scénario dans lequel la prestation de services financiers depuis la City vers le continent ne serait pas possible. Mais si un nouvel élément vient changer la donne, cela amènerait à plus d’insécurité, même si l’insécurité pousse les gens à l’action. Ils ne peuvent accepter d’attendre la fin des négociations pour décider de leur avenir, c’est trop dangereux. Que ce soit pour eux ou pour la clientèle qui s’attend à ce qu’il y ait un plan. S’il n’y a pas de plan, la tendance est alors de se tourner vers un autre prestataire qui a anticipé une présence en Europe. Aucune hypothèse n’est à exclure à ce stade, surtout qu’il reste du temps avant le départ effectif du Royaume-Uni de l’Union européenne, même si une situation où le Luxembourg accueillerait d’importantes structures en termes de personnel est peu probable.

Quel est donc le scénario le plus probable pour la Place?

«Je pense que la plus grande partie des acteurs du secteur a pris sa décision. Cela devrait donc se traduire par le fait qu’un certain nombre d’acteurs des fintech – notamment actifs dans l’e-paiement et qui ne sont pas spécialement visibles – devraient annoncer leur plan. Idem dans l’industrie des fonds et peut-être pour l’un ou l’autre établissement bancaire à l’effectif un peu plus poussé, même si je ne m’attends pas à un gros rush. Ce que l’on observe dans les grands groupes bancaires, c’est une répartition de leur plan de délocalisation sur différents niveaux. Je ne connais pas leur plan, mais je peux m’imaginer que toute leur activité de salle de marchés soit envoyée à Francfort ou à Paris, qu’une bonne partie des activités liées au ‘wealth management’ et celles liées à Mifid I et II – donc les activités liées au ‘manage account’ – pourraient venir au Luxembourg et un troisième volet d’activités irait dans un autre endroit au sein de l’UE. Donc une répartition en fonction des activités déjà actives, mais sans grandes annonces.»