Le ministre de la Justice est prêt à transférer ses pouvoirs de nomination ou encore de réquisition de poursuite afin de clarifier l’indépendance du ministère public et de la Justice par rapport au pouvoir politique. (Photo: Julien Becker / archives )

Le ministre de la Justice est prêt à transférer ses pouvoirs de nomination ou encore de réquisition de poursuite afin de clarifier l’indépendance du ministère public et de la Justice par rapport au pouvoir politique. (Photo: Julien Becker / archives )

Objet de discussions animées depuis au moins une décennie, la réorganisation de la justice que le programme gouvernemental entendait finaliser devrait aboutir sous la présente législature – même si elle ne reprend que partiellement les visées initiales de la coalition Gambie.

Fort des recommandations recueillies auprès de l’ancien procureur général d’État, Robert Biever, et de celle qui lui a succédé, Martine Solovieff, le ministre de la Justice a finalement trouvé un accord avec les principaux protagonistes des ordres judiciaire et administratif.

Trois volets seront à la fois inscrits dans leurs grands principes dans la Constitution à la faveur de la révision constitutionnelle en préparation – dont on ne sait toujours pas si elle donnera lieu au référendum promis par le gouvernement en 2018 – et précisés dans un projet de loi.

La justice travaille en toute indépendance par rapport au pouvoir politique.

Félix Braz, ministre de la Justice

Premier chantier: la création d’un Conseil suprême de la justice. «La justice travaille en toute indépendance par rapport au pouvoir politique, mais elle fait régulièrement l’objet de critiques de l’étranger, car les textes donnent l’impression d’une grande influence du ministère de la Justice sur le ministère public», résume Félix Braz. «Ce n’est plus vrai depuis longtemps», poursuit-il, pour autant, il y avait lieu de graver ce principe dans la Constitution afin d’«adapter les textes à la réalité», complète Martine Solovieff, procureure générale d’État.

De fait, les attributions apparaissant aujourd’hui comme relevant officiellement du ministre de la Justice, comme la nomination ou la promotion des magistrats, seront confiées au Conseil suprême de la justice (CSJ), qui se chargera également des questions disciplinaires – même si les affaires sont «très rares», souligne Martine Solovieff, avec un seul cas ces dernières années (le juge des tutelles). Recrutement, nomination, avancement, formation continue, déontologie, discipline: autant de missions que le CSJ remplira désormais seul.

Il endossera également la casquette de récipiendaire des doléances des justiciables «concernant le fonctionnement de la justice en général». Rien à voir avec une instance de recours comme la Cour d’appel. «Il pourra donner une réponse et aussi émettre des recommandations sur sollicitation de la Chambre des députés ou du gouvernement», ajoute M. Braz.

Le ministère public coupe le cordon

Le CSJ sera composé de sept membres, et non 15 comme initialement évoqué, «afin d’éviter des discussions sans fin ou des blocages», poursuit le ministre. Soit quatre magistrats – les présidents de la Cour supérieure de justice et de la Cour administrative, le procureur général d’État et un magistrat élu par ses pairs des deux ordres juridictionnels –, auxquels s’ajouteront un représentant des avocats désigné par les Barreaux de Luxembourg et de Diekirch et deux représentants de la société civile désignés par la Chambre des députés, dont un du milieu académique (national ou international, mais forcément de nationalité luxembourgeoise) et un autre choisi pour son «expérience professionnelle ou son parcours de vie». À la commission des institutions de préciser le profil désiré.

Deuxième chantier: la formalisation de l’indépendance du ministère public. L’article 95 de la Constitution sera ainsi modifié afin de faire apparaître noir sur blanc que les juges et les magistrats du ministère public «sont indépendants dans l’exercice de leurs fonctions». Un toilettage d’autres textes sera par conséquent nécessaire, comme celui du Code d’instruction criminelle qui arroge au ministre de la Justice le pouvoir de demander au procureur général d’engager des poursuites.

«L’indépendance de la justice est une priorité pour le gouvernement dans le cadre de la révision constitutionnelle», souligne Félix Braz.

Une grande Chambre pour la Cour constitutionnelle

Troisième volet de la révision constitutionnelle quant à l’organisation de la justice: les ajustements apportés au fonctionnement de la Cour constitutionnelle. Le ministre, après discussion avec les présidents de la Cour supérieure de justice et de la Cour constitutionnelle, Jean-Claude Wiwinius, et de la Cour administrative, Francis Delaporte, a fini par abandonner le projet de Cour suprême sur lequel le milieu judiciaire s’interroge et se déchire depuis plusieurs années. Exit l’idée d’un nouvel organe qui officierait comme instance de cassation pour les juridictions administratives et qui supplanterait la Cour constitutionnelle dans l’analyse de la conformité des textes législatifs à la Constitution. «Il y avait des bons arguments en faveur de la Cour suprême, cela a fait l’objet d’une discussion essentielle et compliquée, mais il y avait aussi des arguments plus pratiques», résume le ministre déi Gréng, en particulier un transfert de personnel d’ampleur.

La Cour constitutionnelle, après 125 ans de bons et loyaux services, va donc perdurer et se voir doter de la possibilité de siéger à neuf juges «dans des affaires exceptionnelles et de grande importance», au lieu de cinq habituellement. Une façon de se réserver davantage d’avis juridiques éclairés sur des problèmes de droit particulièrement complexes et de «donner plus de poids aussi à ses arrêts», souligne Jean-Claude Wiwinius, qui avait déjà exprimé ce souhait dans une interview à Paperjam.

Elle obtient encore l’ouverture à des suppléants, permettant de poursuivre son travail en cas d’empêchement ou de maladie de l’un de ses membres. Les modalités de ces nouvelles options ainsi que le statut des suppléants devront être précisés par la commission des institutions.