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Luc Frieden  

Les discussions parlementaires sur le budget de l’Etat tournent à plein régime, après l’exposé du rapporteur Lucien Thiel, le 1er décembre, suivi, trois jours plus tard, de celui du ministre Luc Frieden. Place aux combats de chiffres, sur fond de divergences quant aux stratégies de relance ‘post-crise’. Car c’est essentiellement à ce niveau-là que le bât blesse, tandis que le plan adopté par le gouvernement, à titre conjoncturel, semble recueillir un certain assentiment de la part des institutions et organisations ayant émis un avis (lire l’article sur l’avis de la Chambre de Commerce dans le cahier «Economie & Finance», novembre 2009, p. 30).

La Banque Centrale du Luxembourg (BCL), dans son texte remis aux parlementaires, estime que le solde des administrations publiques pourrait poursuivre sa détérioration amorcée en 2009 et accuser un déficit de 5% du PIB, fin 2010. Trois facteurs expliquent cette détérioration: les mesures anticrise adoptées en 2009, l’impact direct de la crise elle-même sur les recettes de l’Etat ainsi que l’augmentation des dépenses liées au sous-emploi. Mais pour affiner ses prévisions, l’institution réclame au gouvernement un accès plus systématique aux données intra-annuelles de finances publiques, allant jusqu’à dénoncer «un manque flagrant de transparence», empêchant de «détecter à temps les inflexions de la situation des finances publiques. Une telle transparence permettrait par ailleurs à la Chambre des députés de mener à bien sa mission de contrôle budgétaire. Ce faisant, le secteur public se hisserait davantage au niveau du secteur privé en ce qui concerne les exigences de transmission de données statistiques», signale la BCL.

Concernant le budget 2010, l’institution bancaire incite les autorités «à l’exécuter d’une manière extrêmement prudente et responsable». Elle enjoint également au gouvernement de présenter «dans les plus brefs délais» une stratégie budgétaire de sortie de crise, dans une perspective pluri­annuelle. Une stratégie consistant à présenter, année par année, le solde budgétaire à atteindre, en fonction du potentiel de croissance et en gardant en ligne de mire la soutenabilité des finances publiques. «La sécurité sociale exige l’adoption de réformes structurelles, notamment dans le domaine des pensions et de l’assurance maladie-maternité», martèle la BCL. Elle regrette ainsi «qu’aucune mesure n’ait été prise afin d’assurer le préfinancement des conséquences du vieillissement de la population. (…) Sans action rapide, le ratio de la dette publique risque de dépasser le seuil de 60% du PIB dès 2019. L’augmentation récente de l’endettement ne fait qu’accélérer ce pernicieux processus, qui pourrait échapper au contrôle des autorités».Soucieuse d’un encadrement plus étroit des dépenses publiques, la BCL rappelle également au gouvernement une revendication qu’elle avait exprimée l’an dernier – sans qu’il lui soit donné de suites – à savoir la nécessité d’introduire «des normes budgétaires» obligeant à plus de rigueur dans la gestion des deniers publics. «Les lignes directrices concernant les objectifs budgétaires restent très vagues dans l’accord de coalition de 2009. Elles sont basées sur des engagements politiques et non sur des dispositions législatives», s’inquiète la BCL qui réclame des instruments permettant d’endiguer les politiques budgétaires à court terme.

La croisée des chemins

La pérennisation des déficits publics inquiète les institutions invitées à soumettre leur avis sur le budget 2010. Pour la Chambre des Métiers, les finances publiques se situent à la «croisée des chemins» et il s’agit de «préparer au plus vite la stratégie de sortie pour passer d’une politique acceptant les déficits budgétaires vers une politique générant des excédents et réduisant la dette publique». Et l’organisation faîtière de l’artisanat d’en appeler à un freinage brutal des dépenses – qui «explosent» –, sans pour autant recourir à une hausse des impôts. Augmenter les recettes par ce biais s’avérerait une stratégie nuisible, selon elle, à la compétitivité des entreprises ainsi qu’au pouvoir d’achat des ménages; et donc, au secteur commercial et artisanal dans son ensemble. Plusieurs autres pistes seraient préférables pour équilibrer les finances publiques: la baisse des dépenses de fonctionnement de l’Etat, une plus grande sélectivité des transferts sociaux – allant jusqu’à la suppression des allocations familiales pour les plus aisés –, la suspension en 2010 de l’échelle mobile des salaires ou encore la réforme, réclamée de longue date par le patronat, du régime de pension et de l’assurance-maladie. Soucieuse du contrôle des dépenses, la Chambre des Métiers n’en appelle pas pour autant à la réduction des investissements publics. Tout au contraire, elle qualifie même cette option de «solution de facilité», à éviter à tout prix, donc, en raison de «ses conséquences directes sur le plan économique et social». Il est clair que l’artisanat n’entend pas se priver de la manne financière apportée par les chantiers publics en cette période de disette au niveau de l’investissement privé. La Chambre des Salariés (CSL), de son côté, refuse de s’alarmer de la hausse de l’endettement public, «alors que la situation financière de l’Etat est saine à moyen terme». Dans son avis, elle va même jusqu’à se demander si elle n’est pas meilleure que le gouvernement le prétend et si les prévisions sur lesquelles a été bâti le budget 2010 ne sont pas «trop pessimistes». Elle enjoint d’ailleurs au gouvernement d’améliorer les évaluations des recettes fiscales. «Le déficit et l’endettement public actuels sont dus à une panne de croissance, ajoute-t-elle. Il serait difficile de faire autrement que de les creuser, étant donné qu’il n’apparaîtrait pas judicieux, en pleine crise économique, de prélever plus sur les ménages et les entreprises.» Favorable au maintien d’un haut niveau d’investissements publics (3,1% du PIB prévus en 2010), la CSL avertit toutefois que les dépenses ne doivent pas trouver leur seule justification dans le fait de donner de l’activité aux entreprises, sinon, «elles ne seraient pas plus efficaces qu’une simple distribution de fonds». La CSL pousse à une réflexion sur la nature des investissements à réaliser, qui doivent «s’inscrire dans une véritable logique de croissance durable»: réduction de la dépendance énergétique du pays, amélioration du pouvoir d’achat et de la qualité de vie, construction de logements sociaux, amélioration des infrastructures sociales et de transports publics, etc. Réforme fiscaleAu registre social, la CSL constate avec inquiétude l’érosion très nette des avoirs du Fonds pour l’emploi, avec des dépenses en hausse de 16% et des recettes en recul de 37% par rapport à 2009. Les avoirs à la fin de l’exercice 2010 ne s’élèveraient plus qu’à 33 millions d’euros… face aux 260 millions résultant du compte général de 2008. Face à cette situation, la CSL réclame au gouvernement qu’il dote l’Administration de l’emploi des moyens nécessaires, notamment en termes d’effectifs, pour faire correctement face à ses missions, malgré la diminution très nette de ses recettes.L’avis de la CSL dresse également un scénario de sortie de crise, qui passerait par deux axes principaux. En premier lieu, l’aménagement de la fiscalité, avec un rééquilibrage de la charge fiscale «qui pèse de plus en plus sur les ménages et de moins en moins sur les entreprises», alors que le Luxembourg aurait la fâcheuse tendance à «construire son budget sur des impôts indirects au lieu de l’impôt sur le revenu». Une réforme du barème fiscal, moins pénalisant pour les classes moyennes, serait également indispensable, selon la CSL. Seconde piste à suivre pour améliorer les recettes fiscales: la lutte contre la fraude. Pour honorer les engagements pris lors de la Tripartite de 2006, le gouvernement est invité à renforcer considérablement les effectifs des administrations fiscales.

Dotés de la douzaine d’avis émis par les forces vives de la Nation, les députés devraient désormais débattre, dans les prochaines semaines, des ajustements d’un budget de «transition». Car la mouture 2010 ne fait qu’esquisser les véritables réformes qui devront inévitablement être entreprises dès l’an prochain, lorsqu’arrivera sur la table le projet de budget annoncé comme le plus draconien des dernières décennies.