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Au plus fort de la crise économique et financière qui a touché l’ensemble du système depuis un an, les banques ont plus souvent fait figure de coupables que de victimes: coupables d’avoir trop joué avec le feu et tiré sur une corde trop fragile. Même entre eux, les établissements financiers avaient fini par ne plus se faire confiance, refusant de se prêter de l’argent. C’est tout un rouage de l’économie «réelle» qui s’est trouvé grippé.

Ce déficit de confiance s’est évidemment propagé comme une traînée de poudre auprès des clients, qu’ils soient particuliers ou corporate. Si, depuis, la situation s’est grandement normalisée, grâce essentiellement à l’apport massif de capitaux publics, la mauvaise image donnée par les banques n’en est pas moins vivace et sera longue à résorber. Et le phénomène s’est, de surcroît, amplifié à l’écoute de réguliers témoignages d’entre­preneurs se désolant de ne pas s’être vu accorder de crédit ou d’aide financière au moment de vouloir financer, par exemple, un projet de développement. Les banquiers étaient-ils soudain devenus des méchants arrivistes trop frileux dans leurs initiatives? A les entendre, c’était, a contrario, les entreprises qui, d’elles-mêmes, ne déposaient plus autant de demandes… Autrement dit, la vérité se trouve sans doute entre les deux. «Et c’est pour remédier aux malentendus entre ces deux parties qu’ont été organisées, régulièrement, des réunions avec des représentants des banquiers et des entreprises, explique Guy Rosseljong, directeur et membre du comité de direction de la BCEE. Cela a débouché sur des échanges très positifs d’idées, entre ce que les uns ressentent et ce que les autres voient.»

Sous l’égide de l’Union des Entreprises Luxembourgeoises (UEL), cette initiative a eu le mérite de tout mettre à plat, chiffres à l’appui. «Pour l’ensemble des banques, il y a le constat que l’activité a baissé fortement au deuxième semestre 2008, confirme Romain Girst, directeur commercial retail banking à la BGL. Mais pour le premier semestre 2009, nous sommes revenus aux mêmes niveaux qu’au premier semestre 2008. Comme si rien ne s’était passé.»

Effort demandé

Le dernier festival de l’automobile a constitué, pour les banques, un bon indicateur. Toutes reconnaissent que les demandes de crédits ont même été en forte hausse par rapport à 2008. Seule la BGL fournit les chiffres: 53% de demandes supplémentaires acceptées par rapport à 2008 avec, il est vrai, des taux très bas et une politique commerciale du genre «agressive» pour l’ensemble des acteurs de la Place. «Nous avons également une hausse de 4% des crédits d’investissement pour les entreprises au premier semestre, indique M. Girst. Dire que les banques ne font plus de crédits n’est donc pas la réalité.»

Touchées plus directement par les conséquences de la crise financière, Dexia BIL et BGL ont eu fort à faire pour rassurer leurs clients lorsque le spectre d’une disparition pure et simple a plané quelque temps au-dessus de leur tête. Bon nombre de clients, particuliers ou corporate, apeurés, sont allés voir ailleurs. «Mais nous sommes depuis des décennies un partenaire pour les entreprises, explique Marcel Leyers, responsable corporate banking, PME et indépendants chez Dexia BIL. Nous avons gardé notre calme et contacté individuellement tous les dirigeants d’entreprises clientes, les informant continuellement sur l’évolution de Dexia BIL et du groupe, et nous les avons persuadés de continuer à nous faire confiance. Ces derniers mois ont montré que nous avons bien géré la crise et nous avons évité le pire, avec une part de marché qui est restée stable. Au moment où les demandes de crédits ont baissé, notre taux de refus n’a pas augmenté. Nous n’avons aucunement changé notre politique d’octroi des crédits depuis le démarrage de la crise financière. Aujourd’hui, nous notons le retour des liquidités et une reprise au niveau des demandes de crédits, surtout concernant des augmentations de fonds de roulement.»

Si les critères d’attribution des crédits n’ont, aux dires des banquiers, nullement été revus à la hausse, l’examen des dossiers s’avère, néanmoins, plus pointu. «Dans une phase de croissance de l’économie, nous pourrions, aujourd’hui, nous contenter de recevoir, de la part de l’entreprise, un bilan 2007, explique M. Girst. Mais vu les circonstances, nous demandons évidemment un bilan 2008, voire des chiffres détaillés pour les premiers trimestres 2009, ainsi qu’un plan de trésorerie permettant de planifier les trois, six ou douze mois à venir. Nous avons en effet ajouté des sources d’information pour prendre nos décisions, mais les critères en eux-mêmes n’ont pas été changés. C’est aussi aux entreprises de faire un effort en la matière et cela a été signalé lors de notre réunion à l’UEL.»

Pas de durcissement de critères

Du reste, tous les acteurs concernés – banques et fédérations d’entreprises ou chambres professionnelles – ont clairement pris le parti de faire appel à la volonté des entreprises afin qu’elles améliorent leur culture de communication en termes de bilan, de plans de trésorerie et de tous les autres éléments d’analyse dont les banques sont susceptibles d’avoir besoin pour analyser une situation financière avec le maximum de pertinence possible. Parallèlement, un certain nombre d’aides étatiques ont été introduites (lire encadré page 82), et là aussi, un travail d’information est nécessaire afin que chacun sache dans quelle mesure il est éligible, ou non, à ces garanties publiques. «Nous disons clairement à nos clients de se préparer dès maintenant, même s’il n’y a pas de problème et de profiter de l’occasion d’une activité réduite pour revoir leurs processus, augmenter la qualité de leur organisation afin de sortir renforcés de cette crise.»

L’occasion est, en effet, bien belle pour davantage inciter les entreprises à mettre en place des indicateurs de mesure de performance et mieux mesurer leur efficacité économique. «Les clients doivent connaître eux-mêmes leur situation financière, ce n’est pas à la banque de la leur apprendre, prévient M. Rosseljong. Mais ils commencent à s’habituer à ce que la fourniture de ces bilans soit autre chose qu’une simple formalité, mais une véritable carte de visite à produire à temps.»

Le rôle du banquier est alors, clairement, d’accom­pagner ces démarches d’introspection. «Nous nous devons d’être auprès des entreprises, aussi bien en temps de crise que lorsque le soleil brille, note M. Leyers (Dexia BIL). Nous creusons davantage les dossiers avec les dirigeants des entreprises, en tenant compte de contraintes externes que l’on essaie de détecter et de maîtriser en analysant les business plans jusqu’au dernier détail. Nos décisions d’octroi de crédits ont toujours été basées sur la capacité de remboursement. Nous sommes moins axés sur les garanties, mais davantage préoccupés par la mise en place d’un financement en rapport avec un nouveau cash flow engendré. Ce principe des quatre yeux est important en matière d’analyse des business plans, et de l’accompagnement du client à long terme.»

Une approche à laquelle M. Rosseljong souscrit intégralement. «Nous n’avons aucune raison de durcir les conditions d’octroi de nos crédits. Nous avons toujours été responsables et misé sur une relation à long terme. Notre but n’est pas de faire du volume au détriment du risque.… Notre approche est suffisamment raisonnable à la base pour ne pas avoir à envisager de la modifier. Et pour les clients vraiment en difficulté, nous mettons en place des moratoires. Nous savons qu’après le mauvais temps, il y aura toujours une embellie. Mais on ne peut pas dire non plus que nous avons connu une vague de moratoires. Le phénomène reste stable. Il faut bien avoir à l’esprit que tout le relationnel avec les clients est un processus continu. Nous n’avons pas besoin d’un choc exogène pour nous remettre en question. On se pose tous les jours la question de savoir comment améliorer ce service client. Il n’y a donc pas eu de changement majeur en termes de fonctionnement interne suite à la crise.»

De nouvelles bases

A l’heure actuelle, les taux imposés par la Banque centrale européenne sont inchangés depuis le mois de mai: 1% pour le principal taux directeur, 0,25% pour le taux de rémunération des dépôts et 1,75% pour le taux du prêt marginal. Personne ne s’attend à une évolution à la hausse de ces taux avant 2010 et l’amorce d’une réelle reprise de l’économie. A charge pour la BCE de parvenir, ensuite, à endiguer la vague inflationniste que certains attendent une fois que la machine sera relancée. «D’ici là, nous avons un long chemin devant nous», note M. Rosseljong, bien incapable, à l’instar de tous ses confrères, d’émettre un pronostic pertinent sur la durée de la crise et la date de sortie, même si M. Leyers s’attend à voir une accentuation des difficultés au cours de ce second semestre 2009.

En revanche, beaucoup s’accordent à reconnaître certains bienfaits à la situation actuelle. «Clairement, on sort grandi d’une telle crise, estime M. Leyers. Au même titre que la crise offre des opportunités dans l’artisanat ou dans l’industrie, c’est aussi le cas pour les services et les banques. Il y a des modèles économiques à revoir. Nous avons surmonté la crise des liquidités et nous saurons nous relancer sur de meilleures bases pour les années à venir.»