Étienne Schneider à propos de Google: «Je m’attends à une décision dans les prochaines semaines et j’imagine qu’elle sera positive, sinon je ne vois pas pourquoi Google aurait acheté des terrains à Bissen. Certainement pas pour la Karblumm (les bleuets).» (Photo: Anthony Dehez)

Étienne Schneider à propos de Google: «Je m’attends à une décision dans les prochaines semaines et j’imagine qu’elle sera positive, sinon je ne vois pas pourquoi Google aurait acheté des terrains à Bissen. Certainement pas pour la Karblumm (les bleuets).» (Photo: Anthony Dehez)

Monsieur Schneider, 2018 vient de commencer, sur quelles perspectives et prévisions économiques le ministère de l’Économie table-t-il pour cette année?

«D’après les données dont nous disposons, nous tablons sur une croissance soutenue, même plus élevée qu’en 2017. Idem en ce qui concerne le chômage, qui continuera à baisser. Pour un ministre de l’Économie, c’est un très bon départ. Tous les indicateurs sont au vert.

La mise en place formelle du comité de prévision vous aide-t-elle dans ce contexte?

«Les statistiques, c’est une chose, mais mon boulot, c’est plutôt de négocier avec d’autres investisseurs un peu partout dans le monde, de développer des secteurs de l’économie comme le secteur spatial, qui me prend un peu plus de temps car nous sommes en train de le mettre en place. Mais nous ne négligeons pas pour autant l’industrie. En résumé, le travail du ministre de l’Économie ne change pas tant que ça à cause des prévisions.

Quel message pouvez-vous donner aux entreprises à l’entame de 2018?

«Je leur donnerais juste le tuyau de continuer à investir. Nous sommes dans une situation extrêmement positive aux niveaux national et européen. Il faut être à la une de tout ce qui va arriver. La demande en Europe augmente et il faut être prêt.

Ces investissements, surtout dans la recherche et le développement, sont très importants, car nous avons encore des efforts à faire. Quand je regarde les chiffres des dernières années, je constate que le gouvernement a continué à investir massivement dans la recherche mais que les entreprises ont, elles, un peu réduit ces investissements. Il faut vraiment qu’elles fassent des efforts, car les investissements d’aujourd’hui, c’est le succès de demain.

Comment expliquer cette diminution des investissements dans la recherche?

«Il s’agit d’une conséquence des années de crise. Tout le monde essayait un peu de survivre, et les investissements dans la recherche et le développement ont malheureusement été parmi les premiers à être coupés. Maintenant, on voit qu’il y a une relance, mais il faut la pousser davantage.

Rifkin: la clé pour pouvoir nous permettre une croissance soutenue, sans devoir en accepter tous les désavantages.

Étienne Schneider, ministre de l’Économie

Quelle place le Luxembourg tiendra-t-il dans un monde où l’économie indienne est amenée à dépasser celle de la France? Dans un monde où la Chine fortifie sa place de moteur économique? Dans un monde où les États-Unis ont adopté une autre politique économique sous la présidence de Donald Trump?

«C’est plutôt la question de la place de l’Europe qu’il faut poser. Je suis absolument d’accord avec le Premier ministre, Xavier Bettel (DP), qui a dit récemment: «L’Europe c’est 500 millions de consommateurs.» Or, on se laisse un peu faire par les Américains qui nous disent ce que nous avons le droit de faire et de ne pas faire. On perd aussi par rapport à l’Asie, dont les marchés sont toujours en pleine croissance. L’Europe est un peu à l’écart dans tout ce qui relève du domaine des technologies et des nouvelles technologies. Elle doit faire des efforts.

Quant au Luxembourg, il a toujours su tirer son épingle du jeu, mais il faut poursuivre les efforts de promotion. Les investisseurs asiatiques, quand ils pensent à l’Europe, ils pensent souvent aux grands pays comme l’Allemagne ou éventuellement la France. Positionner le pays a toujours été une mission primordiale des ministres de l’Économie luxembourgeois.

Une fois que nous sommes en contact avec des investisseurs, ça se passe plutôt bien, car les avantages que nous pouvons proposer sont tels que le Luxembourg est extrêmement intéressant. Que ce soit pour sa situation géographique, pour la logistique par exemple, ou encore pour la multiculturalité et le multilinguisme. Je suggère toujours aux investisseurs de venir au Luxembourg, car ils y trouveront la main-d’œuvre dont ils ont besoin pour négocier en direct et en langue maternelle avec tous les États de l’Union.

Arrivez-vous encore à vendre facilement une approche business friendly, alors que la tendance est à la compliance?

«Oui, je pense que c’est plutôt l’accès direct aux décideurs qui est important, en particulier pour les petites et moyennes entreprises. Le fait de pouvoir discuter directement avec le ministre leur donne un énorme confort et confiance en notre pays. Ce qui compte surtout aussi, c’est la concrétisation de leurs projets dans des délais assez courts.

Il faut être clair: au Luxembourg, nous n’avons pas beaucoup de projets d’une envergure telle que celle du data center envisagé par Google.

Justement, on constate que l’Europe ne produit pas de géants tels que les Gafa ou Alibaba. Comment y parvenir?

«Prenons l’exemple du GPS. Combien d’années avons-nous mis pour rendre opérationnel Galileo de notre côté? Que le continent le plus riche au monde n’arrive pas à réaliser ses propres infrastructures me semble problématique. Regardez ce qui nous arrive avec Ariane contre SpaceX. J’ai été président de l’Agence spatiale européenne (ESA) pendant deux années et nous avons discuté pendant deux années pour savoir si nous allions modifier l’Ariane 5 ou développer la nouvelle Ariane 6. Deux années de discussions pour prendre finalement la bonne décision!

À cause de ce long délai, Ariane 6, quand elle sera opérationnelle, sera déjà vétuste et ne sera pas concurrentielle par rapport à SpaceX, ce newcomer qui vient et prend des décisions rapides et qui trouve des clients tels que SES. Clients qui manquent ensuite à l’ESA.

Seriez-vous favorable à une Europe qui avance à plusieurs vitesses, notamment en ce qui concerne le développement économique?

«Oui. Une chose est sûre, c’est qu’il faut avancer. Si on trouve déjà un certain nombre d’États qui veulent vraiment avancer, eh bien qu’ils le fassent ensemble, et les autres qui ne veulent pas, qu’ils restent là où ils en sont.

Nous n’aurons pas trop le choix. Si nous voulons avancer en Europe, non seulement au niveau économique, mais également à tous les autres niveaux, avec les gouvernements difficiles que nous connaissons actuellement, surtout à l’est, et qui freinent le développement européen, nous n’aurons pas trop le choix. Il faudra une Europe à plusieurs vitesses, mais qui au moins aura de la vitesse.

À l’inverse, une Europe plus fédérale signifierait que le Luxembourg devrait sans doute renoncer à certaines de ses niches?

«Oui, mais en fait nous ne travaillons plus tant que ça avec des niches de souveraineté, mais bien avec des niches de spécialisation. Je reprends pour exemple le secteur spatial. Il existe en Europe, mais aucun État n’a encore décidé de le déclarer comme secteur à soutenir. Le Luxembourg aura toujours ses chances, même dans une Europe plus fédérale.

Pensez-vous que l’époque où le Luxembourg se faisait attaquer pour son secret bancaire, pour l’optimisation fiscale, pour les «sociétés boîtes aux lettres» est révolue?

«Oui, en tout cas, nous avons tout fait pour et nous continuons à travailler là-dessus. Vous savez, le problème avec LuxLeaks et les Panama Papers, c’est qu’il s’agit de révélations qui nous tombent dessus aujourd’hui, mais dont les faits remontent à une autre époque où nous utilisions ces avantages. Ce n’est plus le cas de nos jours.

Mais l’image du Luxembourg en souffre encore, même si aujourd’hui nous sommes conformes aux règles internationales, voire early adopters pour certaines.

Iriez-vous aussi loin que votre collègue de parti, le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, qui déclarait à la télé allemande en novembre dernier qu’il n’y aurait plus de sociétés boîtes aux lettres au Luxembourg? Pourtant, il suffit de se balader en ville ou de plonger un peu dans le registre de commerce pour se rendre compte que ce n’est pas le cas.

«On ne peut pas dire qu’il n’y en a plus, mais ce qu’on peut dire, c’est que nous ne faisons plus rien pour attirer de telles sociétés. Pour le reste, il y en a toujours et il y en aura toujours.

Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, qualifiait – dans Paperjam – d’erreur historique de ne pas vouloir imposer aux niveaux appropriés les bénéfices des multinationales qui agissent planétairement et qui ne paient pas l’impôt dû. Il visait notamment le Luxembourg…

«Je partage l’avis qu’il faut vraiment trouver une solution et imposer ces entreprises comme les autres. Seulement cette solution ne doit pas chasser ces entreprises de l’Europe. Car il ne s’agit pas que du Luxembourg, mais de l’Europe.

Dans ce contexte, Xavier Bettel expliquait qu’il fallait éviter de se faire rouler en quelque sorte par le Royaume-Uni lorsqu’il aura quitté l’Union européenne. Or, vous avez déclaré que vous croyiez que le Brexit n’aurait pas lieu. Qu’est-ce qui vous fait croire cela?

«Je ne peux pas imaginer que les Anglais soient de si mauvais économistes et qu’ils ne se rendent pas compte du désavantage énorme que le Brexit signifierait pour eux. À mon avis, les négociations vont se poursuivre et à l’issue de ces négociations, il y aura encore un débat public au Royaume-Uni. Le Parlement s’est déjà imposé pour pouvoir donner son avis après les négociations, donc je pense qu’à ce moment-là les discussions reprendront pour savoir si les Britanniques veulent réellement quitter l’Union sous ces conditions-là.

Voilà aussi pourquoi, à mon avis, la stratégie de l’Union européenne devait être et doit rester celle d’être dure dans ces négociations. Afin de provoquer cette discussion.

Ce n’est pas la déclaration initiale du gouvernement luxembourgeois. Xavier Bettel assurait qu’il ne fallait pas punir le Royaume-Uni…

«Nous avons toujours dit qu’on ne pouvait pas permettre de cherry picking.

Donc punir…

«Je n’ai jamais dit cela. Mais on ne peut pas permettre au Royaume-Uni de quitter l’Union européenne tout en gardant tous ses avantages. Je ne peux pas l’accepter et je ne veux pas l’accepter. Dans cette logique, je me dis que s’il voit que les avantages d’une sortie sont plutôt limités, alors il va devoir se reposer la question. Cela coûtera la tête à un gouvernement, mais au moins, ce serait la bonne décision pour la Grande-Bretagne.

Il était important pour moi de dire à Google: 'Vous ne pouvez pas acheter à n’importe quel prix.'

Étienne Schneider, ministre de l’Économie

Considérez-vous qu’avec Google et le space mining vous avez marqué les grands coups politiques de cette mandature?

«Non, je ne parlerais pas de coups politiques. Économiques, certainement. Mais il y a aussi Rifkin. Il ne faut pas sous-estimer l’effet de cette initiative que j’ai prise, parce qu’elle va vraiment changer de fond en comble notre économie et même notre société. La discussion qu’on a entamée et les décisions qu’on a déjà prises en ce sens sont déjà palpables.

Je dirais même que c’est plus important que Google, même si bien sûr ce serait le plus grand investissement de tous les temps au Luxembourg. À mon avis, le space mining va aussi très bien se développer dans les prochaines années et nous donner pour une fois un Alleinstellungsmerkmal (caractéristique distinctive, ndlr). Pour une fois, nous décidons de nous lancer dans le développement d’un secteur économique qui n’est pas déjà développé par d’autres…

Toutes les entreprises actives dans ce secteur s’intéressent désormais à nous et elles veulent toutes voir ce que le Luxembourg a à leur proposer. C’est un peu pareil avec Google: si vous avez les grands noms dans un secteur dans votre pays, les autres suivront.

Quel est l’agenda concret pour 2018 dans le space mining?

«Nous allons mettre en place le fonds d’investissement et l’agence spatiale nationale, dont le modèle sera tout à fait différent de ce qui existe, notamment la Nasa (agence spatiale américaine, ndlr). Elle s’intéressera exclusivement à l’intérêt économique de l’espace et donc moins à la recherche. L’agence sera le fruit d’un partenariat public-privé avec l’appui financier du fonds d’investissement, qui y sera en quelque sorte intégré pour attirer ces entreprises.

Passons à Google: quelle est la prochaine étape?

«Je m’attends à une décision dans les prochaines semaines et j’imagine qu’elle sera positive, sinon je ne vois pas pourquoi Google aurait acheté des terrains à Bissen. Certainement pas pour la Karblumm (les bleuets).

À quelles retombées économiques vous attendez-vous si le projet de Google se concrétise? Quelles retombées en matière d’emploi ou pour le secteur de l’ICT?

«Ça dépend du détail du projet, mais nous discutions toujours de 300 emplois. Ce n’est pas ça le plus important, mais bien d’avoir le nom de Google et un investissement d’un milliard, qui aura des retombées pour les entreprises qui devront construire ces infrastructures.

En tant qu’IT nation, le Luxembourg sera vraiment sur la carte.

En quoi consistait le rôle de facilitateur du gouvernement dans le dossier Google?

«Nous avons aidé Google à trouver un site et nous avons entamé, avec le bourgmestre de Bissen, des discussions avec les agriculteurs en vue d’acquérir leurs terrains. La suite est connue: le propriétaire principal a refusé et nous avons donc trouvé un autre terrain.

Nous n’étions pas les seuls impliqués avec la commune, il y avait aussi le ministère de l’Agriculture et l’Office national de remembrement, qui a les connaissances dans ce genre d’affaire. En effet, nous savons que souvent, les agriculteurs, plutôt que de vendre leurs terrains, préféreraient les échanger. Notre rôle de facilitateur a consisté à introduire l’Office national de remembrement dans la discussion, car Google ne connaît pas ces procédures et risquait de renoncer à s’implanter.

Vous avez joué un rôle autour du prix?

«Non, nous n’avons pas du tout négocié le prix, c’est eux qui l’ont fait.

Mais ont-ils pu proposer des terrains en échange?

«Au final, je ne sais pas qui a pris du terrain ou qui a pris autre chose. Ce qui est vrai, c’est que cette proposition était là.

En tout cas, nous ne devrions pas être étonnés si les prix de vente sont relativement bas, malgré le fort intérêt d’acquérir les terrains?

«Oui. Mais il me tenait à cœur de ne pas augmenter les prix, par rapport à ce qu’on a l’habitude de payer lorsque nous voulons acquérir des terrains, pour développer des zones d’activité. Parce que sinon c’est ça, le nouveau prix du marché.

Il était important pour moi de dire à Google: « Vous ne pouvez pas acheter à n’importe quel prix. » Parce que sinon j’aurai un souci.

Par rapport au rôle des communes au niveau des autorisations, on pense aussi à Fage et Knauf. Comment interprétez-vous le fait que certaines communes sont assez frileuses à l’idée d’attirer ces entreprises sur leur territoire?

«J’espère que c’était uniquement à cause de la campagne électorale pour les communales et des craintes de davantage de trafic évoquées à Bettembourg, qui dispose déjà du centre logistique.

Ce qui est grave, c’est si on se pose la question – et des députés du CSV la posent au Parlement – de savoir pourquoi on a besoin d’entreprises comme Fage, qui produit son yaourt pour l’exportation. Mais alors je leur réponds que 90% des entreprises au Luxembourg ne produisent et ne vendent que pour l’exportation. C’est l’exportation qui fait la richesse d’un pays.

Pourquoi l’Allemagne est si bien lotie? Mais parce qu’elle est leader en exportation. Je devrais dire aux entreprises qui s’intéressent au Luxembourg que je ne les accueillerai que si elles produisent pour le marché luxembourgeois? Elles vont rigoler.

En ce qui concerne Knauf, votre collègue, François Bausch (Déi Gréng), le ministre du Développement durable, a cependant estimé qu’avec Knauf, on irait trop loin…

«En fait, c’est un peu hypocrite. Le ministère de l’Environnement contraint les gens à isoler leurs maisons à partir de cette laine de roche. Donc il ne permet plus d’isoler à base de styropore. Là, je suis bien d’accord.

Après, une société qui produit exactement ce matériau d’isolation plus écologique dont nous avons besoin souhaite s’installer au Luxembourg, et nous, nous allons dire non parce qu’elle produit des émissions SOx (oxydes de soufre, ndlr)?

C’est quand même grave: on dit aux Luxembourgeois qu’ils doivent utiliser ce produit parce que c’est plus écologique, mais en même temps, nous voulons que ce soit produit ailleurs, parce que nous ne voulons pas les inconvénients de la production.

Donc on préférerait une production de l’autre côté de la frontière, à Yutz? Les émissions SOx ne s’arrêteront pas à la frontière… Où allons-nous avec ce genre de discussion?

Peut-être que François Bausch voudrait une production encore plus écologique?

«Je crains que cela n’existe pas encore pour l’instant. Je comprends qu’ils disent que nous devons respecter des quotas de SOx. Avec le trafic actuel, nous avons déjà un niveau élevé, et avec une production comme celle de Knauf, nous atteindrions presque le plafond. C’est vrai, c’est un souci. En revanche, on peut aussi se demander à quoi sert un plafond, si nous n’utilisons pas la marge que le plafond permet. Surtout pour un produit écologique.

Pour finir, nous avons imposé la condition que Knauf installe les filtres les plus performants qui existent et qu’il les change dès qu’il en existe des plus performants. Il a accepté. Que voulons-nous de plus?»