Étienne Schneider sur le logement: «Après, il faudra aussi continuer à investir davantage dans le logement locatif, car d’une manière ou d’une autre, il restera toujours une tranche de la population qui n’aura pas accès à la propriété.» (Photo: Anthony Dehez)

Étienne Schneider sur le logement: «Après, il faudra aussi continuer à investir davantage dans le logement locatif, car d’une manière ou d’une autre, il restera toujours une tranche de la population qui n’aura pas accès à la propriété.» (Photo: Anthony Dehez)

Quant au processus Rifkin, quels sont les plans pour 2018?

«Tous les jours, nous prenons des décisions qui transposent les éléments du processus. Mais je crains qu’après les élections, en fonction de qui sera en charge du ministère de l’Économie, cela change.

Pourquoi ces craintes?

«Parce qu’il faut vraiment y croire et avoir énormément d’énergie pour avancer dans ces dossiers. Quand je pense à ce que l’opposition a dit et proposé au sujet de Rifkin, ce n’était franchement rien, alors que le CSV a toujours demandé une table d’avenir (Zukunftsdësch). Quand je lis les 500 pages du rapport, il n’y a aucune idée du CSV.

Lors des débats publics que j’ai organisés, j’étais vraiment agacé, car tout ce qu’on entendait, c’était des critiques, mais nous n’avons pas reçu de contributions positives du CSV.

Si le prochain gouvernement ou ministre de l’Économie n’y croit pas, alors nous allons retourner en arrière. Ce serait vraiment dommage, ne serait-ce que pour les quelque 500 personnes qui ont contribué et en partie donné de leur temps libre au projet.

Que pensez-vous de l’attitude quelque peu ironique des représentants de l’industrie vis-à-vis du processus? Est-ce que vous allez encore les convaincre?

«Ce que je vois plutôt, ou les remarques que j’entends et que je lis, c’est que nous ne nous occupons plus de l’industrie et du commerce mais uniquement du space mining. Ce n’est pas du tout le cas. Cette impression est probablement générée par l’intérêt médiatique, notamment à l’étranger, provoqué par le space mining. Tout le reste, ce que nous faisons dans les autres domaines, cela n’intéresse personne.

Comment voudriez-vous persuader le petit entrepreneur de l’importance de Rifkin?

«L’intérêt de Rifkin est tout simple. Nous avons cette discussion un peu aberrante sur la croissance économique au Luxembourg, avec cette question: ne faudrait-il pas freiner la croissance?

Premièrement, nous serions le premier pays au monde, cette fois-ci c’est négatif, qui essaierait de freiner sa croissance. Cette discussion n’existe nulle part dans le monde.

Deuxièmement, pour préserver notre niveau de vie élevé, je suis convaincu qu’il faut une croissance élevée. Les années de crise, lors du dernier gouvernement entre 2009 et 2013, nous ont montré ce que c’était de ne plus avoir cette croissance: le chômage a augmenté, les finances publiques se sont détériorées, l’endettement a triplé afin de ne pas devoir trop couper dans les budgets sociaux et de ne pas trop toucher les gens.

Et puis, il faut d’ailleurs se demander: «Comment peut-on freiner la croissance?» Alors, il faut être moins compétitif en augmentant les impôts, par exemple. J’entends le CSV demander qu’on limite la croissance, mais qu’en même temps on réduise les impôts pour les sociétés. Mais que veut-il alors?

J’en reviens à votre question. Rifkin, c’est la clé pour pouvoir nous permettre une croissance soutenue, mais sans devoir accepter tous les désavantages de la croissance. Et quand les gens parlent de la croissance, pour la plupart, c’est le trafic qui les intéresse. Il y a les embouteillages, mais plus largement il faut penser à la qualité de vie, l’environnement, les prix du logement qui grimpent…

Ce sont des questions légitimes…

«Ce sont des questions légitimes et c’est justement avec le projet Rifkin que nous y répondons en trouvant des solutions à ces problèmes. De plus, il faut ajouter qu’avec la digitalisation, la robotisation et l’intelligence artificielle, le besoin en personnel pour augmenter davantage la croissance va diminuer drastiquement dans les années à venir. Et les effets négatifs vont diminuer. Un jour, nous allons plutôt nous trouver dans la situation dans laquelle nous chercherons comment créer de l’emploi. L’économie tournera bien, mais de plus en plus de gens auront du mal à trouver un emploi.

Ce que je n’aime pas, c’est l’approche du CSV qui consiste à faire peur aux gens et à leur faire croire qu’en limitant la croissance, tout irait mieux. Le retour en arrière serait une catastrophe pour ce pays.

Je ne suis pas ce genre de politicien ou de personne qui dit juste des choses qui plaisent.

Étienne Schneider, ministre de l'Économie

Par rapport à vos ambitions politiques, ne craignez-vous pas que compte tenu de vos déclarations en faveur de la croissance vous n’arriviez pas à persuader cette partie de la population qui craint la croissance démesurée?

«Je sais que pour être élu, je ferais mieux d’être un peu plus comme Claude Wiseler (le candidat chef de file du CSV, ndlr) dans mes expressions et dans mes affirmations. Je sais que la croissance a désormais une connotation négative, ce qui est tout de même bizarre, parce qu’il y a trois ans, nous n’avions pas de croissance.

Mais je ne suis pas ce genre de politicien ou de personne qui dit juste des choses qui plaisent. Je dis simplement ce que je pense et ce dont notre pays a besoin. Et je sais pertinemment, bien que peu importe qui sera le prochain ministre de l’Économie, il ou elle mènera exactement la même politique.

Le LSAP souhaite une augmentation du salaire social minimum, qui de plus aurait un impact positif sur tous les autres salaires. Mais est-ce que, tel que lors de l’activation du mécanisme indiciaire, l’écart entre les revenus n’augmenterait pas davantage? Les inégalités étant croissantes, ne comptez-vous pas, particulièrement en tant que LSAP, revoir plutôt l’imposition de la fortune, du patrimoine ou de l’héritage?

«C’est une bonne discussion, mais elle est très difficile et compliquée. Vous parlez de l’impôt sur l’héritage, par exemple. Il s’agit là de quelque chose dont nous n’avons pas l’habitude au Luxembourg. La population ne l’acceptera certainement pas, car la plupart, si pas l’intégralité, des Luxembourgeois sont propriétaires. Il faut trouver d’autres pistes pour arriver à une répartition de la fortune.

En attendant, le problème du logement persiste encore et encore. Oseriez-vous annoncer une loi pour plafonner les prix?

«La question est plutôt de savoir si c’est faisable et est-ce que c’est utile. Moi, je pense que l’État doit intervenir davantage et le gouvernement ferait bien de trouver un accord avec les grands promoteurs pour lancer ensemble un grand plan de construction.

Car à nous seuls, avec le Fonds du logement et la Société nationale des habitations à bon marché (SNHBM), nous n’y arrivons pas. Comparé à ce que Flavio Becca a construit à Gasperich, par exemple, ce n’est rien.

Mais c’est néanmoins un échec, car il y aura plus d’emplois que de logements, et en plus, ce n’est pas très joli.

«Non, mais ça c’est parce qu’on a laissé faire et que nous n’avons pas encadré. Monsieur Becca a commencé la construction il y a trois ans, et dans deux ans, tout sera construit. Des millions de mètres carrés. Pendant ce temps, au gouvernement, nous n’en finissons pas de discuter pour savoir qui sera directeur du Fonds du logement.

Si nous reconnaissons que nous n’en sommes pas capables nous-mêmes, alors laissons faire ceux qui savent le faire, mais en les encadrant. Nous fournirions les autorisations, mais à condition que le prix du mètre carré ne dépasse pas un montant « x ».

Ce gouvernement avait suivi ce modèle au Kirchberg sur les terrains près du siège de RTL. Qu’a fait le Fonds du Kirchberg? Il a mis le terrain en vente et l’a vendu à celui qui offrait le plus. L’État aurait donc en quelque sorte participé à la spéculation et fait monter les prix. Nous avons annulé la vente et nous avons décidé de le vendre à prix fixe à condition que les prix des logements qui seront construits soient limités. C’est comme cela qu’il faut réglementer.

Après, il faudra aussi continuer à investir davantage dans le logement locatif, car d’une manière ou d’une autre, il restera toujours une tranche de la population qui n’aura pas accès à la propriété.

Mais les promoteurs n’ont pas intérêt à ce que les prix stagnent.

«Les promoteurs? Bien sûr, mais je reprends l’exemple de Gasperich. Combien de temps monsieur Becca a dû attendre pour avoir les autorisations? Une dizaine d’années. Si nous disons qu’à condition de mettre les logements à la vente à des prix limités, ils auront les autorisations plus rapidement, nous pourrons trouver un accord.

Je trouve que la différence entre les deux côtés de la frontière est vraiment trop frappante et cela ne crée que des jalousies.

Étienne Schneider, ministre de l'Économie

Venons-en au télétravail: quelles mesures entendez-vous encore mettre en œuvre au cours des prochains mois ou au-delà?

«Nous ne pourrons plus faire grand-chose pendant cette mandature, si ce n’est le projet-pilote du ministre de la Fonction publique, Dan Kersch (LSAP), qui permettra à certains de nos fonctionnaires de travailler quelques jours par semaine à domicile.

L’idée, c’est que si nous voulons vraiment combattre le fléau des embouteillages, il ne suffit pas de construire le tram ou de développer les transports publics. Il faut trouver aussi d’autres moyens. Si tout le monde travaillait, par exemple, un jour par semaine à domicile, cela réduirait le trafic de 20%, sans le moindre coût d’investissement. La digitalisation et les nouveaux moyens techniques rendent le télétravail possible.

Comment faire? Le problème que nous connaissons actuellement, c’est que nos pays voisins demandent que dès qu’un employé d’une entreprise au Luxembourg ne travaille pas ici, ils touchent une partie de l’impôt. Si nous avions beaucoup de télétravailleurs et que les revenus de tous les frontaliers étaient imposés à l’étranger, cela nous poserait des problèmes. Donc nous devons essayer de trouver un accord avec ces pays en vue de partager en quelque sorte l’imposition.

Vous avez déjà eu des discussions…

«Oui, j’ai mené des discussions en Allemagne et pas plus tard qu’il y a trois semaines, je me suis entretenu avec un député français. Ils étaient très favorables à un tel accord. Le problème – surtout en France – c’est que l’argent revient d’abord à la caisse centrale à Paris et ne revient plus jamais dans la région. C’est dommage, car cela empêche la Grande Région de se développer. Je trouve que la différence entre les deux côtés de la frontière est vraiment trop frappante et cela ne crée que des jalousies.

Un accord coûterait au Luxembourg 60 ou 70 millions d’euros par an. Grâce à cela, nous aiderions à développer la région frontalière tout en trouvant une solution partielle aux problèmes de circulation. Quand je pense aux montants que nous investissons actuellement et que nous investirons dans les années à venir dans les infrastructures de transport, ce montant que j’évoquais ne représente qu’une toute petite partie.

La région gagnerait des recettes, l’employé pourrait mieux s’organiser et n’aurait plus à subir tous les jours ce trafic, et pour finir, l’employeur aurait besoin de moins de bureaux. À mon avis, c’est vraiment un win-win. Bien sûr, et c’est toujours un peu le problème au Luxembourg, il y a cette question égoïste: « Est-ce qu’il faut vraiment leur donner de l’argent? » Moi, je pense que oui. C’est une question de solidarité et en plus, c’est dans un intérêt de sécurité publique. Plus il y a de démunis à nos frontières, plus la criminalité augmentera. Même si évidemment ils ne sont pas tous des criminels.

Malgré des divergences plus apparentes avec vos partenaires de coalition, vous disiez à Paperjam au mois de juin « never change a winning team », et que donc votre préférence pour après 2018 serait de continuer à gouverner avec le DP et Déi Gréng. Est-ce toujours le cas?

«Absolument. Ce gouvernement a très bien fonctionné et fonctionne toujours très bien. S’il y a des divergences, il s’agit de divergences sur l’avenir. Lorsque nous avons formé le gouvernement en 2013, les trois partis n’ont pas fusionné.

Nous remarquons qu’il y a des différences entre les libéraux, les socialistes et les écologistes et que nous nous positionnons tous pour les prochaines élections. C’est évident, sinon nous aurions dû faire campagne en tant que parti unique. Nous avons réalisé notre compromis en 2013 et maintenant chacun développe ses idées pour l’avenir.

L’état d’esprit sera-t-il encore là pour développer un nouveau compromis?

«Il n’y a aucun souci entre les trois partis pour continuer à travailler ensemble. Tout le monde sait qu’un parti socialiste a d’autres idées qu’un parti libéral en ce qui concerne une augmentation du SSM, par exemple. C’est aux électeurs de décider ce qu’ils veulent.

Mais la coalition actuelle est celle qui vous donne le plus de chances de devenir Premier ministre, non?

«Ça c’est vous qui le dites, tout simplement parce que vous croyez aux sondages. Moi, je dis toujours à Claude Wiseler que je n’aurais aucun souci à travailler avec lui en le prenant lui comme vice-Premier ministre.

Au vu de ce qui s’était passé avant les élections de 2013 (le LSAP retirait sa confiance au CSV suite à l’affaire du Srel, ndlr), nous ne pouvions plus entrer dans une coalition avec eux, car les liens étaient brisés. Aujourd’hui, c’est différent et il faut admettre que le CSV a changé et qu’il s’est renouvelé, du moins à sa tête. Cela dit, j’ai dit « never change a winning team », car je trouve que la coalition actuelle fonctionne bien et qu’elle a fait avancer le pays. Pourquoi ne pas continuer si l’électeur le veut bien? Si l’électeur ne le veut pas, il faudra trouver une autre constellation.

Que ferez-vous si vous n’obtenez pas le mandat de Premier ministre, voire si vous êtes exclu du prochain gouvernement?

«Je serai soit vice-Premier ministre ou chef de l’opposition.

Vous excluez une carrière dans le secteur privé?

«Je n’exclus jamais rien, mais je peux vous dire que je n’ai aucun projet de quitter la politique. Je n’ai pas l’intention de dire: « Si je ne suis pas élu, alors je me casse. » Ce n’est pas ma conception, ce n’est pas l’idée. Je dis clairement que si jamais je ne faisais pas partie du prochain gouvernement, alors je mènerai l’opposition. Ça aussi, ça peut être intéressant.»