Daniel Miltgen règle ses comptes dans sa lettre à la ministre du Logement Maggy Nagel. (Photo: Blitz / archives)

Daniel Miltgen règle ses comptes dans sa lettre à la ministre du Logement Maggy Nagel. (Photo: Blitz / archives)

La ministre du Logement Maggy Nagel, DP, est venue s’expliquer mercredi, à huis clos, devant les membres de la commission parlementaire du logement après les soupçons de trafic d’influence visant le président du comité directeur du Fonds du logement (FDL), Daniel Miltgen, dans un projet immobilier de 800 logements à Leudelange-Gare. Le «patron» du FDL, déjà sur la sellette après l’affaire du chef comptable qui a abusé des heures supplémentaires, aurait usé de sa position de Premier conseiller de gouvernement du temps du ministre de l’Environnement et du Logement Marco Schank (CSV) pour faire classer ce projet comme zone prioritaire dans le plan sectoriel logement.

Maggy Nagel, qui a désormais la dégaine facile pour transmettre des dossiers à la justice, avait saisi la semaine dernière le Parquet en remettant une copie d’une convention litigieuse conclue le 8 mars 2011 entre le FDL et la société Livingroom dans laquelle on retrouve les Luxembourgeois Pit Pirrotte et Philippe Fettes. Conseillée par des juristes, la ministre attend des magistrats qu’ils se prêtent à un exercice peu courant de décorticage de la convention pour en retirer d’éventuelles violations de la réglementation, et poursuivre les ou le responsable(s).

Le principal suspect règle ses comptes

Avant de se présenter devant les députés, Maggy Nagel avait demandé le 13 février des explications au principal «suspect», Daniel Miltgen. Mais elle s’est bien gardée de fournir aux membres de la commission du logement une copie de la lettre que celui-ci lui avait envoyée le 19 février. Or, les membres du comité directeur du FDL en ont eu communication lors d’un conseil qui s’est tenu, mardi, la veille de la commission du logement.

Paperjam.lu s’est procuré la lettre de quatre pages.

Se disant droit dans ses bottes, Miltgen justifie la pertinence de la convention et la légalité de son action et brosse un historique du projet immobilier du FDL qui fait intervenir en guest star du feuilleton feu l’ancien bourgmestre DP de Leudelange, Rob Roemen, décédé il y a deux ans. C’est lui qui aurait mis le FDL dans les bras de Livingroom.

Le patron du FDL considère l’opération avec les promoteurs privés comme «très intéressante des points de vue politique du logement, développement communal et économique dans cette région du pays». Il précise aussi que ce genre d’opérations de colotissement en collaboration avec d’autres promoteurs n’a rien d’exceptionnel (il y en a eu à Feulen, à Mamer et à Differdange avec Tracol) et s’inscrit dans la loi de 1979 ayant créé le Fonds.

«Dans tous ces cas, signale-t-il, le Fonds du logement est à considérer comme colotisseur et est obligé de se comporter comme tel, c’est-à-dire opérer avec ses partenaires conjointement au niveau technique, financier ou encore administratif envers les autorités publiques.» Reste à savoir si la position privilégiée de Daniel Miltgen à l’époque du gouvernement CSV/LSAP où il était l’homme de confiance du ministre du Logement et de l’Environnement, Marco Schank, et surtout le «Monsieur plan sectoriel logement» (PSL) ne lui a pas donné un avantage indu, puisque Leudelange-Gare a été classée comme zone prioritaire... par le gouvernement suivant bleu, rouge et vert.

Les vues «statiques» de Romain Diederich

Il se défend vigoureusement d’un conflit d’intérêt ou de trafic d’influence et règle ses comptes avec un autre fonctionnaire, Romain Diederich, ex-coordinateur à l’Aménagement du territoire, tombé en disgrâce et qui a quitté ses fonctions fin 2014 après les cafouillages des plans sectoriels dont il était le père. «S’il est vrai, écrit-il, que j’étais le président du groupe de travail PSL, je n’ai plus assisté, depuis un certain temps déjà, à ses réunions marquées de monologues orchestrés par le vice-président du groupe de travail, M. Romain Diederich, qui essaya de dicter aux membres du groupe ses vues statiques de géographe sur le développement du pays.»

Miltgen dit avoir été nommé par le gouvernement à la tête du groupe PSL sur la base de sa formation d’ingénieur en aménagement du territoire et de son expérience de plus de 30 ans dans différents ministères (Intérieur, Logement, Environnement) «et certainement aussi en tant que président du Fonds du logement».

Il réfute d’ailleurs «tout soupçon de conflit d’intérêts»: «Si le moindre risque avait existé, signale-t-il à Maggy Nagel, je n’aurais certainement pas été sollicité pour présider le groupe de travail PSL.» «Je ne me suis jamais personnellement immiscé, ajoute-t-il pour sa défense, dans les projets dits ‘projets d’envergure’, ces plans étant dressés à huis clos par les seuls collaborateurs du département de l’Aménagement du territoire au ministère du Développement durable et des Infrastructures».

Option reconduite jusqu’en 2018

Le projet immobilier du Fonds au Schleiwenhaff à Leudelange-Gare, quartier huppé de la périphérie de la capitale, remonte à l’été 2007. Le 12 juin de cette année, le comité directeur du FDL donne son feu vert à l’achat de terrains proches de la gare, un peu plus de 10 hectares pour 11,8 millions d’euros. À l’époque, le nouveau PAG devait être voté et la commune était favorable à l’inclusion de ces parcelles dans le périmètre. Mais le dossier de reclassement bloque.

Une alternative est proposée par le bourgmestre DP au centre du village, rue du Lavoir, mais échoue en raison des prix «exorbitants» réclamés par le propriétaire. En 2010 «M. Roemen, qui avait dans ses intentions de voir réaliser par le Fonds un projet de logements à prix modérés sur le territoire communal, dirigeait le Fonds vers Livingroom SA qui était devenue propriétaire d’un important lot de terrains sur lesquels elle projetait de réaliser un lotissement d’envergure», écrit Miltgen.

Les discussions avec les promoteurs privés aboutissent à une promesse de cession de 20% des terrains au FDL. Son comité directeur donne son feu vert au projet le 12 octobre 2010 et la convention aujourd’hui controversée est signée le 8 mars 2011. En juillet dernier, la convention venue à échéance a été prolongée avec une option d’achat jusqu’au 31 décembre 2018 pour le Fonds du logement.

Le projet immobilier est controversé et oppose les ministres du CSV et du LSAP, avec au milieu un maire DP qui avait fait approuver le 28 avril 2008 l’extension du périmètre. Si le ministre socialiste de l’Environnement d’alors, Lucien Lux, marque son accord le 9 avril 2009 à une extension du périmètre d’agglomération, son collègue de l’Intérieur, Jean-Marie Halsdorf, CSV, refuse d’approuver le 24 février 2010 la délibération du conseil communal de 2008. Pour Miltgen, ce refus d’Halsdorf manquait de fondement.

Le Don Quichotte de l’immobilier social

Le temps passe sans que rien ne bouge et le 24 février 2014, trois mois après sa prise de fonction, Maggy Nagel reçoit une lettre du Fonds l’informant des conditions de réalisation de la convention, qui n’est réalisable qu’après obtention de toutes les autorisations requises et l’intégration du projet dans le PAG. Dans cette lettre, Miltgen demande à la ministre «de bien vouloir intervenir auprès de l’administration communale de Leudelange, en vue de lui faire part de l’intérêt pour le projet et de confirmer votre appui afin que le projet ne soit pas à nouveau retardé».

Miltgen explique encore dans sa lettre du 19 février 2015 qu’il n’y a pas eu d’engagements financiers avec les promoteurs privés: «Il s’agit, écrit-il, d’une simple promesse unilatérale par laquelle la société Livingroom s’engage à vendre son terrain à un prix déterminé au Fonds, qui a accepté la promesse mais sans engager l’achat.»

À la fin de sa lettre, le président du FDL implique un chapelet de ministres dans le mauvais feuilleton de Leudelange-Gare en assurant avoir agit, lui, dans l’intérêt général en se présentant un peu comme un Don Quichotte de l’immobilier social: «Tout au long de ces années, écrit-il, les ministres Claude Wiseler, Marco Schank et François Bausch étaient au courant du fait que le Fonds du logement attendait que les choses bougent et qu’il puisse enfin devenir propriétaire d’un bon terrain sis au Schleiwenhaff, sur base d’un prix plus que correct, pour réaliser son projet de logements sociaux à deux pas de la porte d’entrée de la capitale.»

Une profession de foi qui pourrait laisser Maggy Nagel insensible. Car si la ministre a rassuré ce jeudi la délégation du personnel du FDL «quant à la confiance qu’elle a envers les collaborateurs du Fonds du logement», elle n’a encore rien laissé entrevoir sur le sort qu’elle réserve à son patron.

La publication de l’audit du Fonds pourrait peut-être lui donner une occasion de limoger un des derniers hauts fonctionnaires qui incarne l’État CSV.