Patrick Muller et Manou Emringer revendiquent des produits de haute qualité, à défaut de pouvoir mettre en avant une tradition de pain luxembourgeoise.  (Photo: Mike Zenari)

Patrick Muller et Manou Emringer revendiquent des produits de haute qualité, à défaut de pouvoir mettre en avant une tradition de pain luxembourgeoise.  (Photo: Mike Zenari)

Messieurs, pouvez-vous nous décrire brièvement comment est structuré actuellement le groupe Panelux?

Patrick Muller et Manou Emringer: «Depuis le 1er janvier 2014, nous avons un peu modifié l’organigramme. Nous avons d’un côté Panelux, la société de fabrication et de distribution. Elle emploie environ 470 salariés sur le site de Mensdorf. De l’autre, nous avons comme société sœur la Boulangerie Fischer qui englobe toute la gestion de ses magasins (choix des emplacements, recrutement du personnel, gestion technique et commerciale, etc.). Cette société représente aussi environ 400 personnes. Nous disposons à présent d’une holding de tête, Panhold, qui regroupe une cinquantaine de salariés et assure les services centraux pour les deux entités du groupe.

La holding n’existe que depuis le 1er janvier 2014, mais cette séparation Panelux/Fischer est une réalité depuis cinq ans. Ça veut dire que Panelux vend ses produits à Fischer. Cela a toujours été le cas, mais on a poussé cette séparation de manière plus complète de façon à ce que tous les services centraux soient regroupés sous une entité de tête. Nous, en tant que Panelux, notre activité c’est la production et la distribution de produits ‘frais’ et ‘surgelés; la boulangerie Fischer, elle, est spécialisée dans le retail.

Dans cet ensemble, Panelux, c’est deux grands pôles d’activité: le «frais» et, de plus en plus, le «surgelé»…

P. M.: «Effectivement. Dans le ‘frais’, il s’agit de produits que nos clients peuvent commander jusqu’à 16 heures; ils sont ensuite fabriqués la nuit et livrés le lendemain matin. Nous assurons 450 points de livraison, dont les boulangeries Fischer avec leurs 70 points de vente. Mais nos clients sont aussi des supermarchés et des collectivités (maisons de retraite, hôpitaux, etc.). Par contre, dans le surgelé, il s'agit d'une fabrication plus industrialisée. Peu de clients, mais des gros volumes.

Si l’on regarde votre activité selon le critère géographique, comment se répartit votre clientèle?

M. E.: «Le ‘frais’ représente 45% du chiffre d’affaires. C’est une activité uniquement focalisée sur le Luxembourg et la Grande Région. La fourniture aux magasins Fischer représente la moitié de cette activité. Les grands comptes à l’exportation assurent 55% des ventes. L’Allemagne, la France, le Benelux, trois grands marchés auxquels on peut ajouter la Norvège, comptent pour 80% du chiffre d’affaires dans ce créneau.

Au 1er janvier 2014, vous avez tous deux été nommés administrateurs délégués de Panelux. De quelle manière avez-vous établi la répartition des tâches?

M. E.: «Étant donné le nombre d’années que nous avons tous les deux déjà passé dans l’entreprise et les compétences complémentaires qui sont les nôtres, une spécialisation s’est établie naturellement. Ensuite, la répartition des tâches résulte de nos domaines commerciaux respectifs. Comme je m’occupe du commercial à l’international, j’ai plutôt tendance à me spécialiser dans le contrôle qualité, qui joue un rôle plus important à l’exportation.

P. M.: «Pour ma part, je m’occupe davantage de l’aspect technique, des finances et de l’aspect commercial du ‘frais’ au Luxembourg. En revanche, le développement de produits, qui est très important dans l’entreprise, n’est pas assigné de manière exclusive. Il est surtout guidé par nos domaines commerciaux respectifs.

Vous êtes tous les deux descendants des familles fondatrices. Ont-elles établi des règles pour les membres qui voudraient occuper des postes de management dans l’entreprise?

P. M.: «Nous sommes en train de mettre cela en place. Nous avons pas mal étudié le code Buysse, établi en Belgique, et qui fait référence pour les entreprises familiales. Il donne un cadre pour gérer les aspects de corporate governance.

Quelles sont les grandes lignes que vous tentez de mettre en place?

P. M. et M. E.: «Nous voulons définir des règles communément acceptées pour trouver des dirigeants dans la famille s’il y a des candidats, mais aussi des règles claires pour sélectionner des dirigeants externes s’il n’y a pas de candidats familiaux. Nous ne sommes pas fermés à ce type de situation. Nous voulons clarifier le rôle des uns et des autres entre les dirigeants familiaux et les actionnaires. L’objectif du code Buysse est d’établir une certaine transparence. C’est avant tout cet aspect qui nous a interpellés. Dans une société familiale, la transparence n’est pas toujours une évidence. Nous voulons que, dans le futur, tout le monde puisse se reconnaître dans nos valeurs.

Actuellement, le capital de la société reste aux mains des deux familles fondatrices. Imaginez-vous parfois ouvrir le capital à des investisseurs extérieurs ou bien est-ce un sujet tabou?

P. M. et M. E.: «Nous n’en avons jamais vraiment discuté. Si nous recevions une proposition en ce sens ou si le besoin s’en faisait ressentir, nous en discuterions, mais la question ne s’est pas posée jusqu’à présent. Il est également clair que si nous devions, demain, faire une grosse acquisition, ce qui est tout à fait hypothétique, nous serions prêts à envisager d’en parler. Ce n’est pas dogmatique, mais nous n’en voyons pas la nécessité actuellement.

Si l’on revient en arrière, comment se sont développées les activités à l’exportation de Panelux?

M. E.: «Jusqu’en 2001, nous avions 400 palettes de stockage pour les produits congelés. Nous en disposons de 6.000 aujourd’hui. C’est depuis la fin des années 90 que nous avons décidé de développer ces activités. En 2001, nous avons installé la première ligne uniquement dédiée aux produits congelés et investi dans un congélateur de 3.000 palettes. Ensuite, au cours des 12 dernières années, 80% des investissements ont été réalisés dans ce secteur.

Conséquence, le chiffre d’affaires à l’exportation a grimpé de 24% par an entre 2001 et 2011.

Ceci dit, cette progression a été possible grâce à l’investissement dans nos outils, mais aussi parce que le marché lui-même a changé suite à la demande plus forte des supermarchés. Il a connu une transition de l’artisanal vers l’industriel. Ça nous a permis de développer ces marchés, surtout dans les pays voisins, mais également en Scandinavie. Actuellement, nous exportons dans 16 pays, surtout en Europe.

Comment expliquez-vous ces changements dans le marché de la boulangerie?

P. M.:  «Ce sont surtout les supermarchés qui, ces 15 dernières années, ont significativement augmenté leur part de marché dans le rayon boulangerie-pâtisserie en s’équipant en matériel de cuisson sur place.

Ils ont donc fait de plus en plus appel à des producteurs qui fabriquent des produits surgelés. C’est ce changement qui fait que beaucoup de producteurs ont connu de belles croissances ces dernières années en Europe.

Par rapport à un pays comme la France, pour ne prendre qu’un exemple, le Luxembourg ne semble pas avoir de véritable tradition de boulangerie-pâtisserie. Est-ce que vous vous réclamez d’une tradition luxembourgeoise?

P. M. et M. E.: «Non, nous travaillons plutôt à partir d’une combinaison de techniques. Nous maîtrisons les techniques de panification tant allemandes que françaises. Les Allemands sont plus spécialisés dans le seigle, les Français dans le froment. En combinant ces différentes techniques, nous sommes désormais capables de fabriquer un produit de type français avec, par exemple, une inclusion de graines de type allemand. À part les Suisses, qui vivent dans cette même logique géographique, on est uniques. Mais à l’exportation, nous ne mettons jamais le Luxembourg en avant. Nous profitons plutôt d’un métissage et d’une fusion des traditions culinaires.

On oppose souvent taille de l’entreprise et qualité du produit. Comment faites-vous pour gérer cette équation?

P. M. et M. E.: «La qualité ne se décrète pas, c’est une philosophie. Il faut programmer toute l’organisation pour y arriver. Nous avons fait le choix de la qualité parce qu’à l’origine, avec les boulangeries Fischer, nous nous sommes orientés vers le haut de gamme. Nous avons donc voulu maintenir ce niveau dans les produits surgelés, exportés à l’international. Depuis le début, nous n’avons jamais essayé d’obtenir un client avec le prix. Nous, nous misons sur notre engagement et notre flexibilité. Nous travaillons très étroitement avec nos clients au développement de produits. C’est en répondant à leurs demandes que nous pouvons apporter une plus-value.

L’innovation reste un critère important dans vos métiers?

P. M. et M. E.: «Oui, c’est très important. Et il y a des différences dans nos approches selon les métiers justement. Au Luxembourg, nous proposons une gamme de produits ‘frais’ et il n’y a pas de développement spécifique à la demande du client. Au niveau du surgelé, c’est exactement le contraire; le développement propre, avec la participation du client, est primordial. L’assortiment doit tourner en permanence. En sandwicherie, par exemple, les chaînes nous réclament fréquemment des types de pains différents pour varier leur offre de sandwichs. Autre exemple, nous ne sommes peut-être pas les plus forts sur le croissant surgelé que beaucoup fabriquent à bas prix. Par contre, le croissant déjà cuit et surgelé, très peu d’industriels en Europe sont capables de le fabriquer. C’est une niche, c’est plus compliqué à faire. Nous avons une ligne qui peut en produire 12.000 à l’heure. Peu de monde peut faire ça. Nous avons beaucoup évolué dans le marché du surgelé grâce à des niches.

Pensez-vous pouvoir encore développer de nouveaux secteurs dans vos métiers?

P. M. et M. E.: «Aujourd’hui, l’export chez nous, ce n’est que la boulangerie et la viennoiserie. Nous avons un département pâtisserie très important – il représente 18% du chiffre d’affaires –, mais il est totalement manuel et nous ne travaillons que sur le marché local, donc dans le frais. À ce niveau, il y a encore du potentiel pour aller à l’exportation avec de la pâtisserie surgelée. Mais ce serait une erreur de croire que c’est un marché facile, la concurrence y est déjà très présente. C’est en réflexion, mais ce sont des développements complexes et nous estimons que le marché de la boulangerie et viennoiserie haut de gamme n’a pas fini son développement.

Imaginez-vous, à moyen terme, vous doter d’un outil de production à l’étranger pour poursuivre vos développements à l’exportation?

P. M.: «Si une opportunité se présente, nous pourrions y réfléchir, mais ce n’est pas une priorité. Pour la période 2013 à 2016, nous avons un programme d’investissement assez important. Nous avons rajouté une ligne de fabrication, nous en avons automatisé une autre. Cette année, nous allons encore réaliser certains investissements dans le domaine du surgelé, y compris la construction d’un congélateur de 5.000 palettes pour faire passer notre capacité à 11.000 palettes. À un moment, il faut faire une pause et consolider sa base.

La croissance que nous avons connue dans le surgelé a été très importante et ne permet pas toujours de faire fonctionner l’ensemble de manière optimale. Dans la mesure où nous sommes sur des marchés de plus en plus compétitifs, nous avons aussi investi dans des processus pour améliorer la productivité à différents points. Grâce à ces développements, nous aurons les moyens d’attaquer de manière plus conséquente certains marchés avec nos capacités actuelles.»

Parcours
Cousins dans le pain
Patrick Muller et Manou Emringer sont cousins. Depuis le 1er janvier 2014, ils assurent en duo les fonctions d’administrateur délégué de la société de production de pains Panelux, basée à Mensdorf. Ils sont présents dans l’entreprise depuis de nombreuses années, mais ont tous deux fait leurs armes dans d’autres sociétés.

Après des études en gestion à l’Université Paris-Dauphine et une spécialisation en contrôle de gestion, Patrick Muller a travaillé à Paris dans le contrôle de gestion pour deux sociétés : Diageo et Applied Materials. En 1996, il rejoint Panelux et assure le développement pendant cinq ans de la nouvelle division produits surgelés.

En 2001, il reprend la direction financière de Panelux et y ajoute en 2004 la direction commerciale et celle des boulangeries Fischer jusque 2006. À cette date, il reprend la direction de l’entreprise Schwan à Leudelange que le groupe vient de racheter. Puis, en 2010, lors de la séparation des activités de production et de vente entre Panelux Production et Fischer, il prend la direction de l’entité Fischer qu’il partage avec sa cousine Carole Muller, qui assume seule la fonction depuis le début 2014. Manou Emringer est diplômé en droit de l’Université de Montpellier et détenteur d’un MBA. Pendant un an, à la sortie de ses études, il travaille chez Arthur Andersen dans le business consulting. En 1997, le groupe familial lui propose de reprendre la direction d’une usine en République tchèque intégrée via une joint-venture. Ce qu’il fait pendant trois ans. En 2001, après un tour du monde à moto d’un an, il prend la responsabilité de la direction exportation. Une fonction-clé dans la mesure où le groupe décide à l’époque de développer sa stratégie à l’international avec ses produits surgelés. Il l’a assurée jusqu’en décembre 2013.