Betty Fontaine, directrice générale de la Brasserie Simon: «Je suis là depuis 15 ans et je n’ai pas encore jeté l’éponge.» (Photo: Maison moderne / archives)

Betty Fontaine, directrice générale de la Brasserie Simon: «Je suis là depuis 15 ans et je n’ai pas encore jeté l’éponge.» (Photo: Maison moderne / archives)

Betty Fontaine ne rêvait pas de reprendre l’entreprise familiale, mais s’est pourtant retrouvée propulsée à la tête de la Brasserie à moins de 30 ans. Entre tradition familiale et défis de la modernité, la cheffe d’entreprise a dû imposer sa marque.

Vous avez grandi avec votre père dirigeant une entreprise familiale, est-ce que votre destin était tout tracé?

«Pas du tout! J’ai un grand frère, je pensais que c’était lui qui reprendrait l’entreprise. J’ai eu un modèle très classique avec une maman à la maison qui s’occupait de nous.

Puis, j’ai fait des études d’ingénieure électromécanicienne. C’est pendant les études que m’est venue l’idée de reprendre la Brasserie. Je suis donc revenue travailler pour l’entreprise avec mon père. Puis, je suis restée sans jamais en partir; 15 ans après, je suis toujours là!

Vos études n’avaient pourtant rien à voir, ce n’était pas compliqué?

«Mon père était ingénieur chimiste. Finalement, ces études permettent de nous donner les clés pour attaquer un problème. On apprend à apprendre; ensuite, sur le terrain, tout reste à faire et c’est l’expérience qui forge.

Vous avez vite gravi les échelons?

«Je suis entrée à la Brasserie à 26 ans, je suis devenue gérante unique deux ans plus tard seulement, et propriétaire l’année dernière.

Mon père a définitivement quitté l’entreprise à la fin de l’année 2009. Il m’a jeté dans le bain directement. Avec le recul, je me dis que c’était la meilleure chose à faire, même si ça m’a coûté pas mal de sueurs!

15 ans après, je suis toujours là.

Betty Fontaine, directrice générale de la Brasserie Simon

Votre père avait-il une volonté de léguer l’entreprise à ses enfants?

«En fait, mon père avait aussi un grand frère qui devait reprendre la Brasserie, en tout cas, c’est ce qui était prévu. Mais il n’a pas voulu de cet héritage, alors que mon père, lui, était très demandeur... C’est un sujet tabou dans la famille, et mon père ne voulait pas reproduire cette erreur avec nous.

Mon frère n’était pas intéressé, il s’est tourné vers l’informatique, mais en créant sa société.

Vous êtes donc une famille d’entrepreneurs. Comment avez-vous appréhendé de reprendre le flambeau?

«Nous avons 25 employés, je les connaissais tous, donc j’ai sous-estimé le volet humain. Je ne me suis même pas posé la question.

Mais encore aujourd’hui, je me rends compte que l’aspect humain est en fait le plus complexe de tout mon travail, et celui qui me coûte le plus d’énergie. Chaque personne a des besoins qui sont différents des miens, il a fallu que je m’adapte à cela.

Quand j’ai repris l’entreprise, l’équipe a vécu beaucoup de changements. Certains sont partis, d’autres que j’ai fait partir, j’ai dû imposer mon style.

Qu’est-ce qui a changé par rapport au style de votre père?

«Je passe plus de temps à l’extérieur, cela change beaucoup, car mon père était auprès des équipes.

Et je crois que je suis plus exigeante, ou plutôt, ce sont les temps qui ont changé. Tout évolue plus vite, tout est devenu plus difficile, le rythme est devenu plus soutenu. Je dois penser pérennité de l’entreprise plutôt que confort personnel.

Il faudrait sortir de ce carcan où les femmes sont forcément vues comme professionnelles et mères de famille.

Betty Fontaine, directrice générale de la Brasserie Simon

Comment aménagez-vous votre temps pour l’entreprise et votre vie privée?

«Est-ce que c’est une question que l’on pose aux hommes? Je ne crois pas. Il faudrait sortir de ce carcan où les femmes sont forcément vues comme professionnelles et mères de famille, avec toute l’organisation de la vie de famille qui repose sur elles.

Il faut arrêter de donner ces doubles casquettes aux femmes. Mais si vous voulez une réponse, depuis que j’ai un enfant, je dors moins, ça, c’est clair.

Diriger son entreprise permet d’aménager son temps de façon plus flexible que lorsque l’on est employé. C’est votre sentiment?

«Oui et non. Cela dépend des périodes. Là, ces dernières semaines, je me suis levée à 5h du matin pour être au bureau à 6h30, je n’ai donc pas vu mon fils se lever.

C’est vrai dans un sens, mais d’un autre côté, il faut être là, car les employés et les clients veulent que vous soyez là pour eux.

Pour mes employés, je sais le bénéfice que la flexibilité peut apporter. Alors j’essaie de proposer des choses, même si, en production, ce n’est pas toujours évident.

Le monde de la brasserie reste essentiellement masculin?

«Oui, 85% de mes employés sont des hommes. À part moi, nous avons trois femmes, elles sont toutes à mi-temps.

C’est une question de priorité, et il ne faut pas faire de jugement de valeur.

Betty Fontaine, directrice générale de la Brasserie Simon

Pourquoi est-ce que ce sont essentiellement les femmes qui optent pour des temps partiels?

«Les trois m’ont dit qu’elles voulaient passer plus de temps avec leur famille. C’est une question de priorité, et il ne faut pas faire de jugement de valeur. Ce n’est pas mieux ou moins bien de travailler plus, cela doit rester le choix de chacun.

C’est encore aussi plus souvent les femmes qui restent à la maison quand leur enfant est malade...

«Dans mon cas, mon conjoint va plus souvent que moi chez le médecin pour notre enfant.

Comment expliquez-vous qu’il n’y ait pas plus de femmes cheffes d’entreprise?

«Je ne sais pas... Moi-même je n’avais pas cette ambition. Certainement que la tradition joue, mais je ne veux pas le thématiser systématiquement. Moi-même, certains jours, je doute en me disant que je serais peut-être mieux à la maison en train de faire des gaufres. Finalement, être chef d’entreprise ne doit pas être un but en soi.

Ce n’est pas toujours évident de se faire une place en tant que femme.

Betty Fontaine, directrice générale de la Brasserie Simon

Bien sûr, mais la moitié des étudiants et des diplômés, voire plus, sont des femmes. Pourquoi les perd-on en route?

«On en revient toujours aux mêmes raisons, car on a toujours cette distribution traditionnelle des rôles où les femmes ont des périodes où elles travaillent moins et prennent du retard dans leur carrière.

Est-ce qu’elles le font parce qu’elles se sentent forcées, ou elles n’ont juste pas l’ambition de devenir cheffes d’entreprise?

«On vit encore, en particulier au Luxembourg, dans un monde extrêmement masculin, voire macho. Ce n’est pas toujours évident de se faire une place en tant que femme.

Est-ce que vous n’avez pas un rôle à jouer en tant que modèle pour susciter des vocations auprès d’autres femmes?

«Je le fais indirectement, car je suis là depuis 15 ans et je n’ai pas encore jeté l’éponge. Même en interne, je sens que cela pose parfois problème que je sois une femme. Mais tant que je persiste, je montre que je vais à l’encontre de ces idées-là.

Il nous faudra encore des décennies pour changer les mentalités. Cela fait 15 ans que je suis là, et je dois encore me présenter, cela provoque l’étonnement parfois. J’ai même déjà eu des réactions hostiles d’autres femmes. Lorsque je travaillais avec mon conjoint de l’époque, j’avais droit à des ‘Ah, mais vous n’êtes pas toute seule alors, ça ne compte pas’.

Il faudrait mettre des quotas pendant cinq ans, pour que cela devienne naturel par la suite.

Betty Fontaine, directrice générale de la Brasserie Simon

Mais qu’est-ce qu’on peut faire alors?

«Il ne faut pas forcer les choses. Les quotas, je ne suis pas très pour, par exemple. Enfin, je suis partagée. On parle toujours de privilégier les compétences, mais est-ce que tous les hommes qui sont à des positions importantes sont les plus compétents?

Quand on me dit que je suis à ce poste car on voulait une femme, je réponds que lorsqu’il y aura des quotas pour les idiots, ils auront une place aussi! Je ne suis donc pas vraiment pour, car on se retrouve parfois dans des situations ingrates, mais d’un autre côté, il faut faire quelque chose pour faire bouger les choses. Il faut que cela devienne coutume, et cela prend du temps.

Il faudrait mettre des quotas pendant cinq ans, pour que cela devienne naturel par la suite.

C’est votre grand-mère, Jacqueline Simon, qui a été la première femme dirigeante de la Brasserie en 1906. Un modèle pour vous?

«Elle était à la tête de la Brasserie, et elle a même divorcé en 1947! Je l’ai connue, mais pas très bien, elle est décédée en 2003. Je ne peux pas dire que c’était un modèle, pour moi, c’était plutôt mon père le modèle à suivre.

C’est votre père qui a eu comme modèle une femme dirigeante...

«Oui, pour lui c’était très naturel, il ne s’est jamais posé de question entre moi et mon frère. D’ailleurs, c’est amusant, car lorsque mon fils est né, j’ai dit en plaisantant qu’en grandissant, j’espérais qu’il devienne ingénieur et qu’il aime boire de la bière. Mon père a répondu en rigolant: ‘Oui, c’est vrai que les filles ne font pas ça.’ Il a retourné mon cliché et j’ai trouvé ça très bien!»

Les dates-clés du CV de Betty Fontaine:

2003 – Diplômée en ingénieur civil électromécanicien de l’Université de Liège, elle rentre la même année à la Brasserie

2007 – Diplômée d’un master en administration des affaires de l’Université de Nancy 

2017 – Devient propriétaire unique de la Brasserie Simon

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