La jeune femme a finalement accepté d’ôter son foulard lors de l’assermentation et devant toute apparition ultérieure devant un tribunal, sauvant son avenir professionnel. (Photo: Christophe Olinger / archives)

La jeune femme a finalement accepté d’ôter son foulard lors de l’assermentation et devant toute apparition ultérieure devant un tribunal, sauvant son avenir professionnel. (Photo: Christophe Olinger / archives)

L’incident survenu le 21 septembre lors de l’assermentation de plusieurs dizaines d’avocats devant la Cour de cassation avait fait couler beaucoup d’encre et laissait présager un long feuilleton judiciaire, la juriste portant le foulard annonçant son intention de contester ce qu’elle considérait comme un refus d’assermentation de la part du Barreau et de la Cour.

Deux mois et demi après, l’affaire du foulard luxembourgeoise n’est plus. La jeune Française a prêté serment tête nue jeudi dernier, acceptant les règles de la profession d’avocat.

Cela peut paraître court, mais c’est bien le temps qu’il a fallu aux esprits pour se calmer et pour faire le tri entre convictions et légalité, entre discrimination et principes supérieurs de la justice.

Je n’ai jamais eu l’intention de lancer un débat politique et social ici au Luxembourg.

La jeune avocate

Le temps d’abord pour la jeune femme de surmonter le «choc émotionnel violent» du 21 septembre et des jours qui ont suivi avec des commentaires sur les réseaux sociaux «qui [l’]ont profondément blessée». «Derrière ce voile que je porte, je reste une femme avec un cœur, des ambitions, des rêves, des peurs et des angoisses, et j’ai eu l’impression d’être déshumanisée», témoigne-t-elle auprès de Paperjam. «Je n’ai jamais eu l’intention de lancer ni de me retrouver au cœur d’un débat politique et social ici au Luxembourg, je voulais juste dénoncer une situation qui m’était propre, mais force est de constater que les questions relatives au voile islamique prennent systématiquement une ampleur qui nous dépasse.»

La jeune femme a entre-temps reçu le soutien de la Shoura, représentant la communauté musulmane au Luxembourg. Celle-ci avait d’ailleurs publié un commentaire cinglant à l’encontre du Barreau, fustigeant «une décision de dernière minute [du bâtonnier] dont la base légale et réglementaire ne nous paraît pas clairement établie» et promettant d’«analyser le volet légal de cette affaire non seulement à la lumière de la loi nationale, mais également au niveau des conventions internationales».

Le Barreau a finalement reçu une délégation de la Shoura le 16 octobre dernier. «Nous avons eu des échanges profonds», rapporte le bâtonnier, François Prum. «La délégation a compris notre respect devant le port du voile dans la société et aussi qu’il pouvait y avoir des règles différentes dans notre profession, dont l’argument de l’indépendance nécessaire de la profession par rapport à la justice.» La Shoura communique de son côté sur une entrevue «dans une ambiance amicale et constructive», au cours de laquelle elle a pu exposer «son point de vue concernant la liberté individuelle des citoyens de pouvoir exercer une profession libérale et indépendante sans subir de discriminations par rapport à leurs convictions tout en faisant référence au cas de figure allemand et d’autres pays européens qui ont adopté ce même point de vue».

Je risquais de me détruire à petit feu tout au long d’une procédure interminable sans gage de réussite.

La jeune avocate

Au final, la jeune juriste a décidé d’elle-même de jeter l’éponge. «J’ai décidé de renoncer à la voie contentieuse (…), d’abord pour me préserver», témoigne-t-elle. «J’allais immanquablement y laisser des plumes et je risquais de me détruire à petit feu tout au long d’une procédure interminable sans gage de réussite. J’ai également renoncé au contentieux parce que je ne me reconnaissais pas personnellement dans cette démarche.»

Souffrant des «préjugés et stéréotypes» dont les femmes voilées font l’objet, elle souligne que «le défi permanent pour nous est d’être acceptées telles que nous sommes, et je suis vivement consciente et convaincue qu’il faut nous donner une chance de nous comprendre mutuellement et d’échanger dans le respect, la dignité et ne pas oublier que nous ne sommes ni plus ni moins que des êtres humains».

La jeune femme a donc entrepris de soumettre à nouveau sa candidature au Barreau, aidée en cela par «deux ‘superwomen’ qui m’ont tendu la main, m’ont donné de précieux conseils et m’ont aidée à me relever professionnellement», dont l’une est devenue sa patronne de stage, lui permettant de fait de postuler au Barreau.

Je serai son défenseur si quelqu’un dit quoi que ce soit contre le voile.

Me François Prum, bâtonnier de l’Ordre des avocats du Luxembourg

Voyant passer son dossier, le bâtonnier s’est entretenu avec la jeune femme «qui m’a rassuré sur le fait qu’elle se présenterait tête nue et qu’elle avait choisi de respecter les règles pour pouvoir exercer sa profession», se rappelle Me Prum. Un entretien qui a «permis d’envisager l’avenir sereinement», complète la jeune femme. «J’ai bien expliqué que la règle ne valait qu’à l’intérieur du palais de justice. Pour les prestations non judiciaires, comme le fait de rencontrer des clients, elle est absolument libre de se vêtir comme elle l’entend», insiste Me Prum. «Et je serai son défenseur si quelqu’un dit quoi que ce soit contre le voile.»

La jeune juriste s’est donc présentée tête nue devant la Cour de cassation le 14 décembre dernier, prêtant serment comme ses pairs, après une expérience éprouvante mais «une aventure humaine des plus enrichissantes». Et de conclure: «J’aimerais que le sacrifice que j’ai fait soit considéré comme un pas vers mes opposants, un pas qui s’inscrit dans une démarche pacifiste et digne prônant le dialogue et le respect de l’autre.»