La robe est la tenue de l’avocat devant une juridiction. Un gage d’indépendance qui ne saurait souffrir un signe religieux, politique ou philosophique, selon les Barreaux de Paris et de Luxembourg. (Photo: Christophe Olinger / archives)

La robe est la tenue de l’avocat devant une juridiction. Un gage d’indépendance qui ne saurait souffrir un signe religieux, politique ou philosophique, selon les Barreaux de Paris et de Luxembourg. (Photo: Christophe Olinger / archives)

Toujours à l’affût des débats qui préoccupent nos voisins français, belges ou allemands, le Luxembourg a même importé un questionnement sur le port de la burqa, malgré l’insignifiance de ce phénomène sur son sol, conduisant au dépôt d’un projet de loi cet été.

La problématique du voile au travail ne s’était toutefois pas réellement posée, jusqu’à ce qu’une candidate avocate doive choisir entre son assermentation et le port du foulard qui lui cachait les cheveux, en vertu de la loi organisant la profession d’avocat, qui fixe la robe comme seule tenue présentable devant une juridiction.

Un incident inédit qui a occasionné de nombreuses vagues dans le milieu judiciaire et au-delà. Le député CSV Laurent Mosar, avocat de profession, en a profité pour poser une question parlementaire à ce sujet, répondant à une inspiration professionnelle, mais peut-être aussi électoraliste à deux semaines des communales.

Coïncidence malheureuse

Par «pur hasard», le conseil de l’Ordre des avocats avait adopté la veille dudit incident la modification de son règlement intérieur afin de préciser que, devant un tribunal, «l’avocat veillera à se présenter tête nue et en tenue correcte en toutes circonstances» et qu’il «ne peut porter ni décoration, ni signe manifestant une appartenance religieuse, communautaire, philosophique ou politique».

Une concomitance curieuse, mais qui ne doit pas prêter à confusion, puisqu’elle ne se serait de toute façon pas appliquée à l’aspirante avocate, par définition pas encore entrée au Barreau.

Ce n’était donc pas un événement luxembourgeois qui avait inspiré le bâtonnier dans sa réflexion sur la modification du règlement intérieur de l’Ordre, mais un contexte européen. «Cela faisait un an que je voulais changer le règlement intérieur», soutient Me Prum, faisant allusion à une étude commandée par le Conseil national des barreaux (France) sur l’opportunité d’interdire les signes religieux et politiques pour les avocats se présentant au tribunal.

Un précédent français

Cette étude a bien existé et a même «semé la zizanie» au sein du Conseil national des barreaux (CNB), rapportait à l’époque le site d’actualité juridique Dalloz. Elle avait été initiée à la suite d’un incident d’audience intervenu au tribunal de Bobigny, en région parisienne. Une jeune avocate avait demandé à pouvoir plaider coiffée de la toque, coiffe traditionnelle, mais tombée en désuétude des avocats, sous laquelle elle avait glissé un foulard.

Une affaire qui avait suscité quelques remous, sachant que l’Ordre des avocats de Paris avait déjà adopté en juillet 2015 une clause stipulant que «l’avocat ne peut porter avec la robe de signe manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, communautaire ou politique», sans aucun incident connu.

L’affaire de Bobigny avait amené le bâtonnier à saisir les instances représentatives de la profession, d’abord la Conférence des bâtonniers, puis le Conseil national des barreaux.

Quelques originaux nostalgiques du passé portent aussi la toque à Paris depuis plusieurs années sans être inquiétés.

Source judiciaire parisienne

Le 18 novembre 2016, la Conférence des bâtonniers adoptait une résolution «rappelant son attachement aux principes essentiels de la profession, qui doivent conduire chaque avocat, dans l’exercice de ses fonctions de défense et de représentation, à effacer ce qui lui est personnel au profit de la défense de son client et du droit», estimant que la robe est le «signe de cette disponibilité à tout justiciable et au service du droit et d’égalité entre les avocats». Et conclut qu’elle «constate le caractère obsolète du port de la toque», appelant les autorités à prescrire «l’interdiction d’ajouts personnels à la robe, à l’exception des décorations françaises pour les audiences solennelles» et à «disposer que les avocats se présentent tête nue dans l’exercice public de leurs fonctions d’assistance et de représentation».

En revanche, le Conseil national des barreaux a interrompu ses réflexions sur le sujet.

«Après un débat nourri, l’assemblée générale a décidé de ne pas envoyer ce rapport d’étape à la concertation, le périmètre de la réforme ainsi proposée étant considéré par certains comme trop large par rapport à la problématique initiale du port de signes religieux distinctifs sous la toque, dont certains bâtonniers ont saisi le CNB», indique aujourd’hui le pôle juridique du CNB. À Bobigny même, la polémique est retombée, parallèlement à un changement de bâtonnier, et l’avocate plaide en toque, mais sans foulard. «Après tout, quelques originaux nostalgiques du passé la portent aussi à Paris depuis plusieurs années sans être inquiétés», indique une source du milieu judiciaire parisien.

La Belgique a tranché, l’Allemagne à l’inverse

C’est en Belgique qu’a été prononcée l’interdiction la plus claire de tout signe religieux, philosophique ou politique, en juin 2016. L’assemblée générale de l’Ordre des barreaux francophones et germanophones a décidé ceci: «L’article 1.4 du Code de déontologie des avocats est modifié comme suit: ‘Devant les juridictions, l’avocat s’abstient de porter un signe distinctif d’origine religieuse, philosophique ou politique’.» Une obligation dont la violation «constitue un manquement déontologique susceptible de faire l’objet de poursuites disciplinaires».

Côté allemand, le Barreau de Berlin avait eu à traiter en 2013 le cas d’une avocate souhaitant plaider avec le voile, ce que refusaient certains juges. Et ce dans le contexte de la loi interdisant aux enseignantes et aux agentes de la fonction publique de porter le foulard au travail. Le président du Barreau avait finalement soutenu l’avocate voilée au nom de la liberté religieuse.

Il faut aller aux Pays-Bas pour trouver des tribunaux européens n’opposant aucune difficulté au port du foulard ou du voile. Une avocate nommée Famile Fatma Arslan a ouvert la voie en 2002 – et est devenue un symbole pour les avocates turques confrontées à une interdiction de faire de même dans leur pays. Au Royaume-Uni, voile et turbans sikhs sont les bienvenus, pourvu que le visage de l’avocat soit découvert.