Le ministère de l’Économie autorise les métiers de bouche à ouvrir dès 4h du matin et jusqu’à 21h, mettant fin à la concurrence jugée déloyale des stations-service qui n’étaient soumises à aucune restriction horaire. (Photo: Licence C.C.)

Le ministère de l’Économie autorise les métiers de bouche à ouvrir dès 4h du matin et jusqu’à 21h, mettant fin à la concurrence jugée déloyale des stations-service qui n’étaient soumises à aucune restriction horaire. (Photo: Licence C.C.)

La libéralisation des horaires d’ouverture dans les commerces flottait dans l’air du temps depuis plusieurs mois, le ministère de l’Économie ayant chargé le Liser de mener une étude au niveau national sur les conséquences d’une telle révolution sur l’emploi.

Un premier pas a été franchi fin janvier, avec un arrêté délivrant les métiers de bouche – boulangers, pâtissiers, bouchers, charcutiers, traiteurs, glaciers – des restrictions horaires du régime général. «La dérogation avait été demandée par la Fédération des artisans le 22 décembre, et nous l’avons accordée pour toute l’année 2018», confirme Francine Closener, secrétaire d’État à l’Économie, à Paperjam.lu. Une dérogation présentée «en bonne et due forme», précise le ministère, qui avait, en 2015, rejeté la demande de dérogation individuelle présentée par une boulangerie de Differdange.

Depuis le 22 janvier, les métiers de bouche peuvent donc ouvrir dès 4h le matin et jusqu’à 21h sur l’ensemble du territoire, tous les jours de l’année sauf le 25 décembre. Une dérogation temporaire en attendant la réintroduction, dans la loi du 19 juin 1995 sur les commerces, d’une disposition qui avait été retirée en juillet 2012 par le gouvernement Juncker-Asselborn – plus précisément par Françoise Hetto-Gaasch, alors ministre des Classes moyennes, avant que ce ressort ne fût intégré dans le superministère de l'Économie d'Étienne Schneider en 2013. Cette disposition permettait aux petits commerces de détail «à agencement réduit», tenus par un patron et éventuellement sa famille, de faire face à la concurrence de plus grandes enseignes en pratiquant des heures d’ouverture atypiques.

Nous pouvons réintroduire cette exemption au régime des heures de fermeture des commerces assez rapidement.

Francine Closener, secrétaire d’État à l’Économie

«Nous pouvons réintroduire cette exemption au régime des heures de fermeture des commerces assez rapidement, puisque nous sommes en train de réformer le droit d’établissement», assure Mme Closener, qui estime pouvoir boucler le dossier cette année.

Les événements s’accélèrent sur ce front des heures d’ouverture des commerces, avec en toile de fond, et peut-être comme aiguillon, l’affaire du boulanger de Differdange confronté à la concurrence jugée déloyale des stations-service. Ne pouvant plus ouvrir avant 6h, il avait en effet vu ses clients des sites industriels alentour, travaillant aux trois-huit, se rabattre sur les stations-service du coin pour leur croissant matinal. Des stations-service qui ne sont pas soumises au régime général d’ouverture des commerces, alors qu’elles vendent, en l’occurrence, des produits similaires.

Le boulanger a attaqué le refus du ministère de l’Économie de lui accorder une dérogation et a finalement obtenu gain de cause devant la Cour administrative le 8 février dernier, après que la Cour constitutionnelle a effectivement considéré que les stations-service bénéficiaient d’un avantage concurrentiel indu, rompant le principe d’égalité. La Cour administrative a d’ailleurs balayé l’ultime tentative du ministère de l’Économie de circonscrire la portée de l’affaire, puisqu’il avait fait appel de la décision du tribunal administratif en faveur du boulanger.

Le ministère mis en défaut devant la justice

Quand le tribunal administratif s’était contenté de se référer à l’arrêt de la Cour constitutionnelle, la Cour administrative, instance ultime dans l’ordre administratif, a pris le soin de rejeter un à un les arguments soulevés au fond par le ministère de l’Économie.

Elle précise notamment que, si «la loi confère expressément une compétence aux organisations professionnelles représentatives dans une branche au niveau local, communal, régional ou national», elle ne retire en rien cette faculté aux entreprises qui voudraient demander une dérogation à titre individuel.

La Cour administrative rappelle encore que la Cour constitutionnelle a explicitement considéré que les stations-service vendant des viennoiseries se trouvaient en concurrence avec les boulangeries, et que la restriction imposée à ces dernières en termes d’heures d’ouverture créait une disparité injustifiée.

Il faut faire quelque chose face à l’e-commerce qui tourne 24h/24, mais pas sans condition.

Francine Closener, secrétaire d’État à l’Économie

Rejetant l’appel formé par le ministère de l’Économie, la Cour administrative retoque ainsi définitivement sa décision de refuser une dérogation d’ouverture à la boulangerie de Differdange.

Mis en défaut, le ministère de l’Économie se retrouve de toute façon dans l’obligation de revoir la législation en matière d’heures d’ouverture. Pas de quoi déplaire à Étienne Schneider et Francine Closener, soucieux de moderniser le régime applicable aux commerces, que ce soit concernant l’ouverture des commerces le dimanche ou les heures d’ouverture à proprement parler.

Revendiquant une «réflexion plus en profondeur sur le régime d’ouverture des commerces», Francine Closener rappelle qu’elle attend avant l’été le résultat de l’étude commandée au Liser sur les conséquences d’une libéralisation des heures d’ouverture sur l’emploi dans le commerce.

«Il est vraiment très important pour moi de connaître non seulement le point de vue des employeurs, mais aussi celui des employés, puisqu’une modification ou une libéralisation du régime aura des effets profonds dans la vie privée des employés. C’est pour cela que nous avons établi le questionnaire avec les partenaires sociaux», avec lesquels Mme Closener «veu[t] trouver un bon compromis» en cas d’extension des ouvertures le dimanche.

«Je veux vraiment avancer», insiste la secrétaire d’État, «parce qu’il faut faire quelque chose face à Amazon et compagnie, face à l’e-commerce qui tourne 24h/24. Mais pas faire quelque chose sans condition», alors que le secteur luxembourgeois emploie déjà beaucoup de personnes considérées comme plus vulnérables, telles que les femmes et les frontaliers, dépourvus de représentation solide.