Selon Alain Hondequin, general counsel de l’ABBL: «Les institutions souffrent encore de l’impact réglementaire et elles consentent beaucoup d’efforts pour maintenir la conformité.» (Photo: Julien Becker/Agence)

Selon Alain Hondequin, general counsel de l’ABBL: «Les institutions souffrent encore de l’impact réglementaire et elles consentent beaucoup d’efforts pour maintenir la conformité.» (Photo: Julien Becker/Agence)

Le contexte actuel pousse les grandes banques privées à revoir leurs stratégies en profondeur. Avec les coûts engendrés par les incessantes évolutions réglementaires et les investissements nécessaires à l’amélioration des services, des produits ou des systèmes, la profitabilité des banques privées au Luxembourg demeure et demeurera sous pression.

«Nous ne sommes pas en train d’assister à une contraction de l’activité des banques privées, mais nous ne l’excluons pas pour autant, cela reste extrêmement difficile à prévoir», met en perspective Alain Hondequin, general counsel business clusters à l’Association des banques et banquiers, Luxembourg (ABBL). 

Dans ce contexte, le pays a vu se suivre des consolidations depuis le début de 2018. Dès janvier, on assistait au départ de Nordea de la Place, l’activité de private banking de la banque suédoise étant cédée à UBS. 

En février, BGL BNP Paribas dévoilait l’acquisition d’ABN Amro Luxembourg, en vue de bétonner l’assise du groupe sur ce marché. Une chose est sûre, malgré ses milliards d’actifs sous gestion, ABN Amro éprouvait des difficultés en termes de rentabilité. Interrogée par nos soins, BGL BNP Paribas n’a pas souhaité commenter cette transaction, mais réduire la voilure n’est certainement pas à l’agenda. 

Les mouvements se sont encore poursuivis. En mai, Carnegie Luxembourg passait sous le pavillon suisse de l’Union bancaire privée. Fin septembre, 800 millions d’euros d’actifs d’Öhman Bank atterrissaient encore entre les mains de Reyl & Cie… 

Et tout porte à croire que d’autres consolidations auront encore lieu dans un futur proche. 

Darwinisme financier?

Les actifs sous gestion demeurent certes stables, globalement autour des 360 milliards d’euros, un niveau faisant oublier la crise financière. Néanmoins, les cessions d’actifs, les restructurations, les désengagements semblent symptomatiques des turbulences traversées encore actuellement par le métier de banquier privé.

Les institutions souffrent encore de l’impact réglementaire et elles consentent beaucoup d’efforts pour maintenir la conformité.

Alain Hondequin, general counsel business clusters à l’Association des banques et banquiers, Luxembourg (ABBL)

«Effectivement, les institutions souffrent encore de l’impact réglementaire et elles consentent beaucoup d’efforts pour maintenir la conformité. Elles réexaminent leur footprint. Certaines sont toutefois parvenues à maîtriser leurs coûts. Et sous la contrainte, pensons à Mifid II, les banques privées se retrouvent désormais mieux préparées», juge l’expert juridique de l’ABBL. Il s’avère délicat pour l’association professionnelle de nommer de bons éléments desquels on déduirait sans procès les «mauvais». Certains acteurs continuent évidemment de croître, mais les formes de croissance varient très fortement. 

Pour les caractéristiques de résistance, les analystes s’accordent souvent sur la taille critique d’un établissement. 

«Mais il se peut que des banques privées de plus petite envergure affichent des performances jugées tout aussi saines, car elles interviennent sur des marchés-clés, ont intégré d’efficaces modèles IT, ont adopté une approche agile», objecte Alain Hondequin.

Les enseignes financières qui se portent le mieux seraient simplement celles dont la direction a rapidement compris la nécessité d’investir dans les systèmes et, singulièrement, dans le personnel.

«C’est le moment d’investir, notamment en termes de digitalisation, qui n’a été jusqu’ici à l’avant-plan de la stratégie de quelques banques privées seulement», insiste le general counsel de l’ABBL. 

The Place to Be

Dans cette concurrence vitale, on en vient logiquement à se demander si les banques menant de front des activités diversifiées, et n’accompagnant donc pas seulement la clientèle privée, possèdent un avantage ou au contraire une faiblesse opérationnelle par rapport aux pure players.

«Nous le voyons de longue date, les activités de banque privée ont été adossées à d’autres activités telles que l’asset management ou la banque dépositaire. Ces modèles mixtes se justifient dans le contexte actuel», souligne Alain Hondequin.

Il existe au Luxembourg un écosystème financier qui offre tous les éléments dont les banques privées ont besoin.

Alain Hondequin, general counsel business clusters à l’Association des banques et banquiers, Luxembourg (ABBL)

Nombre de banques ont décidé de réserver leur clientèle de banque privée au Luxembourg, en complément de leur maison mère établie tantôt en France, en Suisse ou en Allemagne. La clientèle se veut de plus en plus à vocation internationale, qu’il s’agisse de patrimoine privé ou familial.

Et il est bon de rappeler les spécificités procurant un tel pouvoir d’attraction à la Place grand-ducale. On aurait tendance à l’oublier, mais la stabilité du pays, politique ou économique, joue un rôle déterminant. 

«Sans compter – les acteurs nous le répètent souvent – la disponibilité des autorités qui se montrent à l’écoute et multiplient les contacts. Il existe au Luxembourg un écosystème financier qui offre tous les éléments dont les banques privées ont besoin pour gérer cette clientèle internationale. Conseillers, fiscalistes, gestionnaires, dans un environnement trilingue», insiste le spécialiste en droit de l’ABBL.

C’est dans l’ADN des banques luxembourgeoises de mener des activités transfrontalières. Quoi de plus naturel, dès lors, que de suivre la mutation d’une clientèle essentiellement limitrophe à une clientèle européenne et composée d’ultra high net worth individuals.

Le pays a d’ailleurs encore gagné en attractivité avec le Brexit, comme l’a démontré une série d’annonces. Le cas de JPMorgan Chase se veut assez représentatif. De peur de ne plus pouvoir satisfaire des clients d’Europe, la major américaine a accéléré les démarches pour disposer d’une banque privée au Luxembourg. Tout comme Citibank.

Meilleur profil

S’il y a eu une interférence réglementaire très claire, qui a grevé les résultats financiers de l’ensemble du secteur, l’environnement commercial en ressortirait alors plus propice pour les clients. 

 «Les banques privées ont un nouveau potentiel à exploiter: ce contexte de transparence et d’échange d’informations leur permettant de mieux cerner leurs clients, les identifier, et ainsi mieux les servir», développe Alain Hondequin. 

Chaque banque va se singulariser en fonction des services ou des types d’avoirs, avec la part belle pour la clientèle haut de gamme.

Alain Hondequin, general counsel business clusters à l’Association des banques et banquiers, Luxembourg (ABBL)

N’en concluons pas hâtivement que le private banking a boudé le développement commercial le temps de composer avec de nouvelles règles, mais l’industrie s’est obligatoirement adaptée, se focalisant sur des marchés-clés en fonction de la clientèle, du réseau commercial, de la structure du groupe.

 «Chaque banque va se singulariser en fonction des services ou des types d’avoirs, avec la part belle pour la clientèle haut de gamme. L’offre commerciale se diversifiera vers d’autres classes d’actifs moins liquides et plus rémunérateurs, plus sophistiqués, comme le private equity», pressent le general counsel de l’ABBL. 

Ce ne sont plus seulement les clients qui choisissent leur banque, mais c’est désormais le moment pour les banques de décider qui elles veulent vraiment comme clients.

«Oui, le nombre de banques privées diminue, mais l’évolution n’apparaît pas catastrophique. Et on voit que les institutions font confiance au centre financier du Luxembourg», concède Alain Hondequin.