«La conséquence ignorée et sous-estimée du progrès technologique est un monde fracturé», affirme Isabelle Kocher. (Photo: Licence C.C.)

«La conséquence ignorée et sous-estimée du progrès technologique est un monde fracturé», affirme Isabelle Kocher. (Photo: Licence C.C.)

Nous sommes à un tournant historique. Partout dans le monde, les citoyens ont de plus en plus de difficultés à adhérer au récit (narrative) d’un progrès économique et social continu et partagé, qui dominait depuis des décennies. 

La promesse d’émancipation individuelle et collective que portait la notion de progrès ne semble pas tenue. L’envers des progrès économiques et technologiques, longtemps sous-estimés, révèle sous une lumière crue un monde fracturé.

Fracturé entre les plus riches, les classes moyennes et populaires, alors que les fruits de la croissance économique sont essentiellement captés par les 1% les plus riches.

Fracturé entre gagnants et perdants de la mondialisation, alors que le formidable mouvement d’ouverture des échanges provoque un mouvement de fermeture dans les sociétés développées effrayées par la perspective du déclin.

Fracturé entre les travailleurs qualifiés et les autres alors que les progrès et disruptions technologiques creusent les écarts sur le marché du travail et remettent en cause les positions établies.

Fracturé entre la croissance économique et les déséquilibres environnementaux.

Ces contrastes résonnent d’autant plus fort dans la chambre d’écho (echo chamber) des nouveaux canaux d’information continue que sont les réseaux sociaux. Où chacun documente, partage et commente ces tensions. Ils alimentent un mécontentement et une indignation grandissants.

Une aspiration à changer de modèle

Il faut entendre cette indignation. Comprendre qu’elle révèle une aspiration à changer de modèle. Et que cette aspiration ira trouver dans le populisme des réponses si nous préférons user de paroles rassurantes plutôt que d’agir concrètement.

Je suis convaincue que nous vivons actuellement la fin d’un cycle. Il y a un élan à construire un futur partagé: plus égalitaire, plus respectueux des équilibres environnementaux, plus inclusif. Qui offre enfin au plus grand nombre la possibilité de se développer et mener leur vie comme ils l’entendent.

Le sommet de Davos présente l’intérêt de mettre les participants ‘sous tension’.

Isabelle Kocher, CEO de Engie

Un désir de renouer avec un progrès harmonieux, qui réconcilierait les intérêts environnementaux, collectifs, individuels.

Cette évolution des mentalités, si elle va bien au-delà de ce secteur, est particulièrement perceptible dans l’énergie. Les citoyens et les consommateurs exigent que les problèmes climatique et environnemental soient pris au sérieux. C’est parce qu’il y a eu une volonté politique forte de s’attaquer à ces sujets que des investissements massifs ont été réalisés dans les énergies renouvelables, ce qui a favorisé le progrès technologique.

Le secteur de l’énergie comme modèle d’engagement et de responsabilité

Cependant, est-ce vraiment dans une enceinte comme celle de Davos, ce sommet qui est vu comme le club des puissants, que nous pourrons répondre à cette aspiration à un nouveau modèle et résorber les fractures d’un monde en crise?

J’en suis convaincue. Le sommet de Davos présente l’intérêt de mettre les participants «sous tension». Au-delà de la responsabilité collective dans les déséquilibres actuels, l’objectif est de nous pousser à nous atteler à la recherche de solutions concrètes pour réduire les fractures de notre monde. Passer de la prise de conscience et de la déclaration d’intention à l’action. 

Là encore, le secteur de l’énergie pourrait servir de modèle. Les grands acteurs prennent leurs responsabilités et mettent leurs efforts au service d’un futur désirable. Ils montrent leur volonté de faire partie de la solution et non plus du problème.

On pense d’abord aux États, qui se sont engagés dans le cadre de l’Accord de Paris à limiter l’augmentation de la température mondiale bien en dessous de 2 degrés Celsius. Il faut souligner le rôle particulier de la France, qui a facilité la signature et joue le rôle de gardienne de l’Accord.

Il y a également les fonds souverains de pays riches en hydrocarbures (Norvège, Émirats arabes unis, Koweït…), dont les revenus viennent de l’exploitation de ces énergies, qui se sont engagés au moment du One Planet Summit, organisé par la France le 12 décembre 2017, à financer massivement la transition énergétique. 

Les acteurs non étatiques et les entreprises ne sont pas en reste. Quelques exemples parmi tant d’autres. 

Le groupement de grandes villes C 40 a établi un programme ambitieux visant à limiter la hausse de la température mondiale à 1,5 degré. La ville de Washington, partenaire de la coalition, a ainsi annoncé vouloir réduire de 80% ses émissions d’ici 2050. Pour y parvenir, elle a établi un programme qui repose sur l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments, la hausse des investissements dans les énergies renouvelables et le développement de formes de mobilité plus durables. 

S’agissant des entreprises, on peut d’abord citer l’exemple d’importants établissements financiers comme JP Morgan, Bank of America, Citigroup, Morgan Stanley, Wells Fargo & Co., Société Générale, Crédit Agricole, BNP Paribas qui ont promis d’arrêter ou de limiter leur soutien accordé aux projets de production de charbon.

Des milliers d’entreprises se sont également engagées au sein de différentes coalitions à réduire leur empreinte carbone (America’s Pledge), couvrir 100% de leurs besoins énergétiques avec des énergies renouvelables (RE100) ou mettre en œuvre diverses mesures en faveur du climat comme un prix du carbone en interne, le choix de carburants alternatifs ou l’amélioration de l’efficacité énergétique (We mean business).

Tous ces acteurs s’engagent publiquement sur des actions concrètes et mesurables, qui réduisent la fracture entre croissance et équilibre climatique. C’est également l’ambition d’Engie. Elle guide nos choix d’investir dans des technologies qui rendront possible l’accès à une énergie illimitée et propre. De construire des villes durables, où il fait bon vivre. Et de continuer à répondre à tous les besoins essentiels, pour tous: se chauffer, se nourrir, se déplacer, en contribuant aux grands équilibres de la planète, qu’ils soient environnementaux, sociétaux ou géopolitiques. 

On peut attendre de Davos que les acteurs en présence expliquent concrètement comment ils pourront ensemble résorber les fractures du monde contemporain, contribuer à un progrès harmonieux et prendre part à l’écriture d’un futur commun apaisé.

Telle est en tout cas l’orientation que j’ai l’intention de pousser en tant que co-chair de Davos cette année.

Article paru sur le site du World Economic Forum.