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Nommé à la tête du Conseil économique et social (CES) par un arrêté grand-ducal en date du 8 décembre 2006 et pour une période de deux ans, Romain Schmit, 43 ans, directeur de la Fédération des Artisans (FDA) depuis janvier 2001, est le 17e président de cette institution créée par la loi du 21 mars 1966. À l'opposé des chambres professionnelles appelées à défendre des intérêts particuliers, le CES est davantage destiné à représenter les intérêts communs, en étudiant - généralement à la demande du gouvernement, mais aussi de sa propre initiative -, les problèmes économiques, sociaux et financiers intéressant plusieurs secteurs ou bien l'ensemble de l'économie nationale. En son sein, les représentants patronaux et salariaux peuvent s'exprimer sur un parfait pied d'égalité.

"Le CES est un observateur privilégié de la société, une enceinte de réflexion, de concertation et d'entente, au guet tant des exigences futures auxquelles devra faire face l'économie que des besoins nouveaux que ressentent les hommes et les femmes qui composent la société", résume le Premier ministre Jean-Claude Juncker, en préface de l'ouvrage écrit par l'historien Gérard Trausch à l'occasion du quarantième anniversaire de l'institution*.

Selon un principe d'alternance instauré en 1972, la présidence du CES est confiée, successivement, à un représentant du groupe patronal, du groupe salarial, puis d'un troisième groupe, constitué de représentants nommés directement par le gouvernement.

Après Gaston Reinesch (actuellement administrateur général au ministère des Finances et président de la Société nationale de Crédit et d'Investissement), entre 2002 et 2004, puis Raymond Hencks (membre de la direction et du conseil d'administration de l'Entreprise des P&T et membre du comité exécutif de la Confédération générale de la Fonction publique), entre 2004 et 2006, c'était au tour d'un membre de la "branche" patronale d'être porté à la présidence. "Il n'y avait pas eu de représentant de la Fédération des Artisans depuis les années 70, et j'étais plus disponible que Norbert Geisen, son président", explique Romain Schmit, l'heureux élu.

Entre sagesse et apprentissage

Entré au CES au début des années 90, M. Schmit était assez vite devenu membre effectif suite au décès de M. Olinger, alors secrétaire général adjoint de la FDA et dont il était le suppléant. "J'ai eu l'occasion de collaborer à de nombreux groupes de travail, notamment, par exemple, celui sur le régime de l'assurance-accident ou sur l'introduction d'un compte épargne temps", témoigne le nouveau président du CES.

Changement de présidence, donc, mais pas forcément d'orientation. Le CES, par essence, privilégie la collégialité, ce qui assure une certaine continuité dans son mode de fonctionnement général, même si, tous les deux ans, la présidence change de tête. Cette continuité est également assurée par la structure même du Bureau du CES: les deux vice-présidents qui entourent le président en exercice sont, d'une part, son prédécesseur et, d'autre part, son successeur. "Chacun passe six ans au sein du bureau. Le vice-président entrant est là pour apprendre et le président sortant est là pour apporter sa sagesse... On n'est donc pas délaissé au moment où l'on se retrouve catapulté à la présidence", indique Romain Schmit.

Il n'empêche que la personnalité même du nouveau président pourrait être de nature à faire un peu bouger les choses. M. Schmit est jeune (son prédécesseur, Raymond Hencks, affichait 13 bougies de plus au moment de sa nomination, il y a deux ans) et, surtout, reconnaît lui-même être pour le moins impulsif et ne pas avoir pour habitude de garder pour lui ce qu'il pense. Une franchise d'esprit qui ne correspond peut-être pas forcément au profil consensuel recherché à ce poste. "Sans doute la présidence du CES sera-t-elle pour moi une bonne école de sérénité et de self control", espère-t-il.

Deux chantiers majeurs occuperont les premiers temps du mandat de Romain Schmit. En tout premier lieu, évidemment, l'avis annuel sur l'évolution économique, sociale et financière du pays, qui sera remis au premier ministre au début du printemps 2007, dans lequel la problématique du logement figurera en bonne place au coeur des considérations des sages du CES. Et si, au Luxembourg, le problème majeur de l'immobilier reste les prix, que d'aucuns jugent parfois prohibitifs, son origine ne se trouve pas forcément dans le seul déséquilibre entre l'offre et la demande. Illustration par l'exemple: "Une entreprise de chauffage, implantée depuis cent ans au coeur d'une commune, a décidé de déménager pour s'établir sur une zone industrielle. Sur son nouveau terrain, elle souhaite construire un autre immeuble, mixte, avec des logements et des bureaux. Mais la commune lui demande 12.500 euros pour la seule délivrance de l'autorisation de construire... C'est ce genre de phénomène anormal que nous entendons pointer du doigt".

Ainsi, M. Schmit regrette que la politique menée par les communes contribue à la surenchère des prix de l'immobilier. "La réforme de la loi d'aménagement permet aux communes de se servir et certaines d'entre elles ont introduit de pharamineuses taxes liées à la construction! On peut à la rigueur admettre que ces taxes servent à éviter qu'un promoteur ne gagne trop d'argent en spéculant, mais il n'est pas normal que les communes puissent se servir autant", regrette-t-il.

En mai dernier, dans la foulée de la déclaration du ministre sur l'état de la Nation, le ministre du Logement, Fernand Boden, avait présenté dans le détail son "Paquet logement": des mesures destinées à baisser, ou, au mieux, à stabiliser de manière durable les prix du foncier et de l'habitat. "Nous attendons toujours la concrétisation de ces annonces dans un texte de loi", s'impatiente M. Schmit. Au début de l'année, le CES devrait rencontrer Daniel Miltgen, le secrétaire général du département Logement au ministère, afin de faire un point plus détaillé de l'avancement des travaux législatifs.

Pour une réforme du système scolaire

La cohésion sociale et l'égalité des chances figurent également au menu des principales préoccupations du nouveau président du Conseil économique et social. Deux problèmes essentiels, à ses yeux, mais, selon lui, qui ne sont pas assez thématisés. "Si l'on parvient à une égalité des chances dès le départ, on ne parlera plus de discrimination après, constate M. Schmit. Une action en amont permettrait d'éviter, en aval, de devoir rechercher des correctifs". L'ambition du CES est également de démontrer que "l'égalité des chances est un concept plus vaste que celui auquel la politique le réduit. Cela va au-delà de la seule composante 'emploi' et touche aussi l'économie, compte tenu de toutes les législations et obligations qui en découlent".

Ce n'est donc certainement pas un hasard si le Conseil s'est auto-saisi d'un autre dossier essentiel: celui du système scolaire, là où, pour beaucoup, tout se joue déjà. Car sur la question, le constat établi par M. Schmit est sans concession: "Nous avons un système scolaire parmi les plus chers et les moins efficaces et qui, non seulement, maintient les inégalités mais également les renforce". Et de se poser, par exemple, la question de l'intérêt de la promotion du multilinguisme "à la luxembourgeoise". Sans remettre en cause le bien-fondé de la connaissance de plusieurs langues, Romain Schmit s'interroge, en revanche, sur la pertinence d'un apprentissage de trois langues étrangères pour des jeunes élèves qui s'orientent vers une carrière dans l'artisanat. "N'oublions pas que la majorité des nouveaux emplois sont actuellement occupés par des travailleurs frontaliers qui ne parlent de toute façon pas forcément ces différentes langues, constate-t-il. Pourquoi rendre la vie si difficile à nos enfants?"

Pour lui, la première vraie question à se poser est celle de savoir ce que l'on veut vraiment faire de l'école. Ensuite, dans quel laps de temps et, enfin, avec quels moyens. "Cela vaudrait mieux que de proposer des réformettes. Et sans doute la discussion sur le temps de travail des instituteurs passerait-elle plus facilement".

Reste que le mot "réforme", au Luxembourg comme ailleurs, n'est généralement pas du goût de tous et qu'il faudra plus qu'une bonne dose d'enthousiasme et de persuasion pour imaginer prendre cette voie-là.

*Le Conseil économique et social et la société luxembourgeoise

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CES et tripartite

Une des priorités annoncées par Romain Schmit concerne la visibilité du positionnement du Conseil économique et social vis-à-vis d'autres institutions, en particulier le comité de coordination tripartite. Bien souvent, ces deux organisations sont amenées

à se pencher, en même temps, sur des mêmes thématiques. Ce fut le cas, par exemple, lors des récentes discussions sur la compétitivité et sur le processus de Lisbonne. "À bien y regarder, la Tripartite essaie de résoudre des problèmes existants. Nous, au CES, nous essayons de faire en sorte d'éviter ces problèmes", résume M. Schmit, qui ne manque pas de constater que la Tripartite n'a plus, aujourd'hui, la même raison d'être qu'hier. À l'origine, ce comité de coordination tripartite était un instrument de crise, institué au plus fort du marasme sidérurgique du milieu des années 70. Au fil du temps, il est devenu une institution permanente.

"Bien sûr, il y a eu une évolution de la situation et les deux institutions ont clairement leur raison d'être, indique le président du CES. Mais idéalement, nous devrions intervenir en amont et eux, après. La Tripartite a davantage d'actions à but législatif, alors que pour notre part, nous cherchons plutôt des réflexions susceptibles d'être à l'origine de certaines évolutions".

Pourrait alors se poser le problème d'un rallongement des délais, inhérent à la succession des prises de position de chacun. Un problème qui n'en n'est pas vraiment un, selon M. Schmit. "Peut-être vaut-il mieux demander au préalable, au CES, de réfléchir à la mise en place d'un modèle, plutôt que de mettre en place quelque chose via la tripartite et de voir seulement après ce que l'on peut en faire".

Pourtant, les dispositions de la loi modifiée de décembre 1986, portant réforme du CES sont claires: "Le gouvernement communique au Conseil les avis arrêtés par le comité de coordination tripartite". Une savoureuse contradiction de plus entre la lettre et l'esprit...