Philippe Poirier distingue clairement l'échec du référendum de la bonne marche de la présidence luxembourgeoise du Conseil de l'Union européenne. (Photo: Jessica Theis /archives)

Philippe Poirier distingue clairement l'échec du référendum de la bonne marche de la présidence luxembourgeoise du Conseil de l'Union européenne. (Photo: Jessica Theis /archives)

Monsieur Poirier, que vous inspirent d’emblée ces résultats? 

«Vu l’ampleur et la convergence des trois 'non' aux trois questions – qu’aucune enquête de sondage n’avait prévue –, je suis très surpris. Ce résultat est perceptible commune après commune et concerne tous les fiefs traditionnels des partis de la coalition. Ce référendum a amplifié le phénomène de désalignement vis-à-vis des partis. Il faudra encore mener des enquêtes a posteriori pour comprendre finement la victoire du 'non', mais l’entrée tardive des partis du gouvernement en campagne, qui était beaucoup plus animée par d’autres acteurs, figure parmi les explications du résultat, qui nous montre par ailleurs qu’en démocratie actuelle, le référendum n’a pas la même portée que le vote législatif.

On peut donc dire que la démocratie directe a parlé?

«Les citoyens avaient une offre d’informations devant eux beaucoup plus vaste que lors d’une campagne législative où l’on doit désigner indirectement un gouvernement et un Premier ministre. La mécanique n’était pas la même pour se forger une opinion. Ce résultat montre aussi qu’une partie des citoyens ont un rapport de distance avec les leaders d’opinion. Ce n’est donc pas un vote émotionnel. L’électeur assume plus sa responsabilité dans la fabrication de son opinion que dans les élections législatives. Il y a sans doute aussi des raisons conjoncturelles qui peuvent expliquer, en partie, ce résultat, à savoir depuis mai 2014 une popularité en baisse pour le gouvernement.

S’agit-il d’un triple «non» de rejet à l’égard de la coalition?

«Ce n’est pas un vote de rejet, mais une partie de la légitimité électorale et politique du gouvernement a été entamée hier soir. Ce n’est toutefois pas une remise en cause générale qui appellerait à une démission. 

Le déficit démocratique demeure et il faudra y trouver une solution.

Philippe Poirier, Université du Luxembourg

Que doit faire le gouvernement?

«Il est bien entendu que le gouvernement et la coalition prennent acte et n’intégreront pas dans la réforme constitutionnelle les trois thèmes liés à ces questions. J’ajoute que le déficit démocratique demeure et qu’il faudra y trouver une solution. Il est nécessaire que le gouvernement prenne une grande initiative pour renforcer la cohésion de sa coalition, au risque de voir son crédit plus atteint lors de prochains scrutins.

À quel type d’initiative pensez-vous? 

«Elle devrait permettre de s’assurer de la majorité parlementaire ou de tendre la main au principal parti d’opposition qu’est le CSV, en raison de l’ampleur du résultat. Mais le CSV, et l’ADR, ont aussi leur responsabilité dans la gestion de ces résultats. Ils ne pourront pas faire obstruction à la main tendue sous prétexte qu’ils ont gagné.

Quelle solution trouver pour le vote des non-résidents?

«On en revient à la responsabilité du gouvernement et du CSV. Il faudra voir jusqu’à quel point le CSV tient à prendre sa responsabilité. Comme je l’indiquais, la question du déficit démocratique demeure, mais puisque les propositions de la coalition ont été rejetées en la matière, il faut voir si les deux parties sont capables de prendre une grande initiative commune.

Il n’y a aucun lien entre la présidence européenne et le référendum.

Philippe Poirier, Université du Luxembourg

Quelle image peut laisser ce référendum à l’international?

«Il y avait un grand intérêt de la part de la communauté européenne de voir comment le Luxembourg allait tester le référendum. Je pense que les décideurs étrangers seront aussi surpris par l’ampleur de ce rejet. Mais il n’y a aucun lien entre la présidence européenne et le vote de ce dimanche. Comme le gouvernement a seulement en partie sa légitimé entamée, il n’y a aucune conséquence sur l’exercice de la présidence du Conseil de l’Union européenne. Cela peut en revanche dissuader les autres pays qui auraient été tentés par l’aventure. 

La culture du référendum doit-elle être tout de même travaillée?

«On avait vu qu’en 2005, lorsque le CSV était au pouvoir, il avait eu des sueurs froides lors de la ratification du traité constitutionnel européen. Les autres partis ce dimanche ont connu une débâcle. Je pense donc qu’en pratique, le référendum sera utilisé a minima dans les années à venir, hormis celui de 2017 dont le gouvernement a pris l’engagement de l’organiser. L’enjeu est de savoir comment le préparer. 

Le gouvernement et le CSV doivent essayer de cogérer la réforme constitutionnelle.

Philippe Poirier, Université du Luxembourg

Quels seraient les écueils à éviter?

«Il faut tout d’abord trouver un compromis entre les partis sur la grande réforme de manière définitive et que les partis politiques s’engagent pleinement dans la campagne en recourant à d’autres vecteurs que les réunions 'classiques' organisées durant cette campagne. La réflexion doit notamment être menée dans les médias sociaux. Il faut aussi réfléchir à la manière d’associer tous les relais sociétaux, les associations, la société avec de nouvelles modalités autour de la future grande réforme constitutionnelle, au risque de perdre un nouveau référendum.

Un second échec tomberait mal à un an des élections, ce qui risquerait d’être interprété comme un vote contre le gouvernement. In fine, il est important que la société grand-ducale plurielle hier le soit demain encore, c’est pour cela que le gouvernement et le CSV doivent essayer de cogérer la réforme constitutionnelle.»