«Le gouvernement est entré tardivement en campagne», observe Philippe Poirier. (photo: Jessica Theis / archives)

«Le gouvernement est entré tardivement en campagne», observe Philippe Poirier. (photo: Jessica Theis / archives)

Monsieur Poirier, sur le plan politique, que retenez-vous de la campagne qui s’achève?

«En premier lieu, en dépit des prises de position des partis politiques en faveur de telle ou telle option, les électeurs ont montré qu’ils sont libres de leurs choix. Le référendum est synonyme de désalignement partisan et de responsabilisation politique individuelle. Les Luxembourgeois apprivoisent donc plus rapidement les règles de la démocratie directe que les partis politiques.

En second lieu, comme en 2005, les acteurs dits de la 'société civile', indépendamment de leurs choix sur telle ou telle question, se sont mieux organisés, ont été plus audibles et ont apporté des idées originales au débat. C’est une nouvelle illustration que le Luxembourg, comme tout autre État européen, n’échappe pas à une redéfinition de la participation et de la médiation en politique.

En troisième lieu, le gouvernement est entré tardivement en campagne, alors qu’il était de sa responsabilité d’en être l’acteur principal, puisqu’il en est l’initiateur dans son accord de coalition et qu’il lui appartient la maîtrise de l’agenda de la réforme constitutionnelle et de sa conclusion.

En quatrième lieu, bien que l’une des questions porte sur l’éventuelle ouverture du droit de vote des étrangers aux législatives, les débats n’ont pas 'stimulé' outre mesure les premiers concernés (les étrangers); ce n’est pas seulement une question de communication politique, c’est une question structurelle, car le système politique luxembourgeois est trop 'autocentré' et les résidents sont trop 'préoccupés' de leurs situations économiques.

En cinquième lieu, la question sur le droit de votre des étrangers a 'écrasé' les autres questions dans l’importance des discussions et des joutes tout en ne faisant pas le lien ou peu avec la citoyenneté politique européenne et ses possibles réformes. Nous oublions tous que nous appartenons à la même nation civique et que la gouvernance économique et sociale de notre société ne se limite pas seulement à l’État, bien qu’il demeure très important.

Dans le camp du «non», l’argument de l’inexistence d’un accès au droit de vote des non-nationaux dans un autre pays a été souvent rappelé. Entendez-vous cet argument?

«La fondation de l’État-nation et l’expérience démocratique à l’époque moderne sont indissociables. Tous les États européens continentaux au moment de leur création au 19e siècle ont associé citoyenneté et nationalité dans leur législation. Le printemps des nationalités est concomitant des constitutions démo-libérales qui sont toujours en vigueur.

Dans le cadre d’un colloque de la Chaire d’études parlementaires, nous avons montré néanmoins que des expériences originales avaient existé ou se développaient principalement au sein des États-Unis, du Commonwealth et de certaines démocraties sud-américaines. À chaque fois, ces expériences relevaient à la fois de l’héritage commun d’une tradition juridique et étatique (le Royaume-Uni, la République d’Irlande, la Nouvelle-Zélande) et/ou au contraire sont mises en place au moment de la fondation et du développement de nouvelles entités politiques, le plus souvent fédérales et/ou régionales (Les États des États-Unis, le Chili et l’Uruguay en lien avec le Mercosur, etc.). Les modèles étaient difficilement transposables, mais cela n’empêchait nullement de réfléchir et de débattre d’innovations propres au Luxembourg.

Dans un système démo-libéral comme l’est le Luxembourg depuis 1848, c’est même une tradition et une obligation de prendre des initiatives quant à la définition de la citoyenneté en politique. Des voix juridiques et politiques diffèrent certes, mais le problème est là: la légitimité de la décision en politique et sa pérennité imposent naturellement une redéfinition et un élargissement du corps électoral.

Doit-on s’attendre à un changement profond au sein des rapports de force selon le résultat?

«Les différentes forces politiques vont peut-être enfin sortir du climat conflictuel latent né des dernières élections législatives pour aboutir à un compromis constitutionnel dont ils sont d’ailleurs les coproducteurs depuis 2009. Le gouvernement n’améliorera pas à court terme sa popularité, mais les électeurs jugeront le moment venu de son action essentiellement sur la réussite ou non de sa politique économique et non des questions constitutionnelles comme dans toutes les élections depuis 2004.

Le principal parti d’opposition, le CSV, sera obligé de repenser son positionnement politique général pour assurer une nouvelle cohérence, car une partie de ses électeurs et de ses relais ont clairement adopté une attitude différente, montrant une nouvelle fois l’une de ses tensions créatrices internes: Parti de l’État/Parti de l’Europe. La société civile, particulièrement les milieux économiques, ne devraient pas 'relâcher' leurs pressions pour que le Luxembourg continue son adaptation et l’amélioration de sa gouvernance.»