Muriel Bouchet et Michel-Edouard Ruben ont rendu visite à la rédaction de Paperjam. (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Muriel Bouchet et Michel-Edouard Ruben ont rendu visite à la rédaction de Paperjam. (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Née voici quelques années, la Fondation Idea mène des réflexions en faveur du développement du Luxembourg et de l’intérêt économique du pays. Logique, puisque cette asbl est une émanation de la puissante Chambre de commerce.

«C’est vrai, mais je pense que la Fondation s’est tout de même émancipée», note Muriel Bouchet, le nouveau directeur d’Idea, invité jeudi de la rédaction de Paperjam pour un petit-déjeuner, accompagné de Michel-Edouard Ruben, senior economist. «Ainsi, dans le cadre de nos réflexions avant les dernières élections, nous avons synthétisé 33 propositions à destination des futurs élus. Beaucoup étaient des mesures sociales, en lien avec les petites pensions ou l’aide au logement.»

Le férié du 9 mai proposé par Idea

Autre exemple, plus parlant encore: le nouveau jour férié, décrété en date du 9 mai, pour fêter l’Europe. «Je suis d’accord sur le principe... puisque c’est moi qui ai eu cette idée», s’amuse Michel-Edouard Ruben. Qui aimerait que cette initiative se diffuse hors du Luxembourg «via, aussi, les partenaires sociaux, que la CSL en parle à son homologue française, que la Chambre de commerce le fasse à BusinessEurope...»

On met trop de passion dans le débat sur le logement.

Michel-Edouard Ruben, senior economist

Idea insuffle des idées aux partis politiques, à défaut d’en être un. «Nous sommes là pour animer le débat, être la mouche du coche», relève Muriel Bouchet. Et un des sujets importants des prochaines années sera certainement le logement. «C’est en effet un point important et déterminant pour la compétitivité du pays», relève Muriel Bouchet.

Michel-Edouard Ruben estime que pour la ministre de tutelle, Sam Tanson (Déi Gréng), ce sera la quadrature du cercle: «Les taux d’intérêt sont bas. Qu’est-ce qui ferait dès lors baisser les prix dans l’immobilier? Une baisse de l’activité économique. Or, je ne pense pas que cela soit souhaité. Des prix élevés dans le domaine du logement reflètent aussi le dynamisme du pays. Je ne pense pas que le pays va prendre des mesures pour dissuader les Britanniques de venir au Luxembourg suite au Brexit.»

«Une crise immobilière, c’est dangereux»

L’économiste pointe aussi «cette mode de dire qu’il faut construire autant de milliers de logements. Mais pour cela, il faut plus de terrains, donc les prix de ceux-là vont augmenter. De plus, il faut des gens pour construire ces logements, qu’il faut aussi loger.» Il estime finalement que la situation au Luxembourg n’est sans doute pas aussi catastrophique que ce qui est souvent dit: «Il y a 70% de propriétaires, des taux bas... L’augmentation de la population a dépassé les prévisions, sur base desquelles on a estimé le nombre de logements à construire. Mais les gens se logent. Dans le cas contraire, la taille des ménages devrait augmenter, or ce n’est pas le cas, ou on devrait en voir dormir un peu partout dans des voitures, et ce n’est pas le cas non plus.»

Et si la colocation reste encore marginale, «il y a d’autres pistes à explorer que la construction pour proposer du logement». Muriel Bouchet souligne pour sa part que «normalement, le problème du logement constitue un goulet d’étranglement pour l’immigration. Ce n’est pas le cas au Luxembourg.»

Il faut, selon la Fondation Idea, dépassionnaliser le débat. «On dirait que la volonté de certains est que les prix du logement baissent», conclut Michel-Edouard Ruben. «Mais avec 70% de propriétaires, c’est courir un risque terrible de crise. Et une crise immobilière, c’est dangereux...»

Michel-Edouard plaide pour moins passionnaliser le débat sur le logement.

(Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Michel-Edouard Ruben jette aussi un regard sans concession sur la gratuité des transports publics. «Je ne suis pas sûr qu’il y avait une demande pour cela. De plus, on se prive de 40 millions de recettes qui auraient pu servir à d’autres choses. Si la mesure connaît un énorme succès, cela mettra une pression terrible en plus, car il faudra financer du matériel supplémentaire», détaille-t-il.

La gratuité, mauvaise pour la santé publique?

Et les usagers pourraient aussi le regretter: «Que va penser celui qui payait un petit peu et était à l’aise dans son transport, mais qui maintenant ne paie plus, mais se retrouve serré comme dans le métro à Paris? Il y a aussi des avantages comme le mPass. Pour certains, c’était là le seul avantage en nature offert par leur patron. Les syndicats ne vont-ils pas réclamer une compensation qui coûtera plus cher aux patrons?» Cerise sur le gâteau? «Des études montrent que les nouveaux usagers des transports publics gratuits sont ceux qui se déplaçaient avant à pied. Bref, c’est presque une mesure en défaveur de la santé publique.»

Difficile de faire des prévisions macro-économiques précises dans le contexte actuel.

Muriel Bouchet, directeur de la Fondation Idea

La situation du pays est «à court terme très bonne», mais son «talon d’Achille est le financement des pensions et l’assurance-dépendance». «Les cotisations sociales les plus importantes viennent des frontaliers. Ils constituent 25,5% des dépenses de pension. Mais ce sera 45% en 2040», notent les deux membres d’Idea.

Or, le phénomène frontalier s’est largement développé ces dernières années. L’impact sur les pensions va donc seulement commencer à se faire sentir. «Cela doit être tenu à l’œil. Le gouvernement s’y est engagé, c’est une bonne chose», souligne encore Muriel Bouchet.

Muriel Bouchet est le directeur de la Fondation Idea depuis le 1er février.

(Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Pour cette année 2019, un des mots-clés sera «incertitude». «Il y en a partout: la France et les gilets jaunes, le Royaume-Uni et le Brexit, l’Allemagne et une croissance moins élevée que prévu, l’Italie et sa situation délicate... Faire des prévisions dans ce contexte est délicat», confie encore Muriel Bouchet.

Tandis que Michel-Edouard Ruben conclut sur une note optimiste: «Beaucoup de choses que l’on craignait ne sont soit pas arrivées, soit n’ont pas eu les effets dévastateurs annoncés. Le meilleur exemple, c’est l’élection de Trump. La guerre économique avec la Chine? Oui, mais leur performance de croissance est moins élevée que ce qu’on veut bien dire. Le shutdown a bloqué les USA, mais la croissance des emplois a explosé. Il faut donc relativiser tout ce qui est annoncé par les uns et les autres.»