Le Mudam Luxembourg a demandé aux artistes Martine Feipel & Jean Bechameil de concevoir une nouvelle installation pour un lieu très spécifique du musée: le Jardin des sculptures. Cet espace est à la fois un espace de circulation et un lieu de contemplation, un jardin intérieur où la végétation n’est visible que depuis la verrière de Ieoh Ming Pei. La sculpture y a, depuis la création du musée, toute sa place. Pendant de nombreuses années, c’est ici qu’on pouvait admirer la fontaine d’encre noire de Su-Mei Tse, «Many Spoken Words», aujourd’hui démontée.
Désormais, c’est le paysage immersif de Martine Feipel et Jean Bechameil que les visiteurs sont invités à découvrir, un paysage composé de deux ensembles sculpturaux: «L’immortelle (arbre + cucurbitacée)» et une nouvelle commande réalisée pour l’occasion, «Garden of Resistance», qui prête son nom à l’exposition.
«Cette commande est une réponse à cet espace spécifique, un jardin composé d’une nature qui dialogue avec la modernité, le progrès et l’automatisation», explique Clément Minighetti, commissaire de l’exposition. «L’idée de résistance, formulée dans le titre, renvoie à la résilience de la nature, sa capacité à se régénérer et à prendre avec elle des corps étrangers, ici des mécanismes artificiels qui font corps avec les éléments naturels.»
En effet, les visiteurs découvrent un tronc d’arbre mort sur lequel ont poussé des champignons mécaniques qui bougent, des feuilles artificielles ou encore des épines menaçantes. Martine Feipel et Jean Bechameil poursuivent, avec cette nouvelle œuvre, leur questionnement sur notre rapport à notre environnement. Après s’être intéressés aux grands ensembles d’habitation, les artistes portent leur réflexion sur notre environnement naturel. Quelle est l’emprise du monde technique sur la nature? Quel peut être le fruit de cette hybridation, de cette rencontre heureuse formulée au détour d’une fiction?
En plus de cette sculpture animée, les artistes ont choisi d’ajouter une toile de fond sonore. Composé à la fois de bruits naturels (pépiements d’oiseaux, bruit du vent…) et de sons artificiels, l’enregistrement compose un paysage sonore qui souligne encore un peu plus cette relation naturel-artificiel, un peu inquiétante.
Beauté menaçante
Ce caractère étrange et un peu angoissant est aussi présent dans l’œuvre «L’immortelle». Cette sculpture en fonte d’aluminium représente une plante tropicale géante, suintante, à la fois belle et repoussante. Elle est accompagnée d’une sculpture en forme de citrouille dont la présence incongrue interpelle. Que font ces éléments ici? Sont-ils venus d’ailleurs? Cet ensemble a initialement été conçu pour être présenté sur la plage de la Chambre d’amour à Anglet, dans le sud-ouest de la France, une plage connue pour sa légende qui dit que deux amoureux, réfugiés dans une des grottes surplombant la plage, se sont fait emporter par la marée.
«C’est aussi une plage où se trouve un ancien bunker et où, pendant l’hiver, on trouve de nombreux végétaux et autres déchets déposés ici par la mer», explique Jean Bechameil. «La présence de la cucurbitacée s’explique par le fait que les bateaux importaient autrefois ici des plantes exotiques venues de l’autre côté de l’Atlantique, des végétaux qui n’avaient rien à voir avec cet environnement naturel de la plage», poursuit Martine Feipel. Ainsi, que ce soit dans un cas ou dans l’autre, ces deux sculptures évoquent la question de l’hybridation, de la place de l’homme dans son environnement et de son influence sur ce dernier, ainsi que la question du temps et la temporalité cyclique. Cette installation se lit donc en plusieurs étapes, mais les visiteurs ont le temps d’en appréhender toute la profondeur et complexité puisqu’elle est présentée jusqu’au 9 janvier 2023.