L’espace et la santé ont le même besoin d’un revêtement qui ne permette pas aux bactéries de proliférer tout en étant respectueux de l’environnement. Un challenge que relève le laboratoire de chimie du département des matériaux. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

L’espace et la santé ont le même besoin d’un revêtement qui ne permette pas aux bactéries de proliférer tout en étant respectueux de l’environnement. Un challenge que relève le laboratoire de chimie du département des matériaux. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Un revêtement antibactérien qui aurait été utile pour lutter contre le Covid, une crème solaire plus efficace, des antennes transparentes qui rendent une vitre «parlante»: le département des matériaux du List travaille sur une dizaine de technologies de rupture. Son directeur, Damien Lenoble, nous a exceptionnellement ouvert les portes de ses laboratoires.

Il faut avoir les yeux émerveillés d’un enfant qui mène une expérience explosive, les mots d’un scientifique chevronné doublé d’un littéraire chirurgical et la naïveté de celui qui pose des questions idiotes sans même s’en apercevoir. Visiter les laboratoires du centre des matériaux du Luxembourg institute of science and technology (List), à raison de cinq à dix minutes d’explications par «stand», nécessite de cumuler ces trois traits de caractère. C’est un cours de rattrapage qui secoue plus que certaines attractions de Disneyland.

Quinze ans après l’annonce de la création d’une «Cité des sciences» à Belval, les 150 chercheurs d’élite en blouse blanche aux sourires bienveillants derrière les masques de rigueur travaillent toujours là, dans ces bâtiments provisoires partis pour durer encore. Même s’ils ne doivent pas avoir vraiment le temps de gamberger, la promesse de laboratoires au sommet de l’art ne tardera plus – au-delà des moyens financiers apportés aux projets de recherche– à devenir un élément clé de l’attractivité du Luxembourg: la compétition est mondiale.

Sous l’impulsion de Damien Lenoble, le département a pris le pari de ne pas trop regarder les technologies que d’autres présentent comment des innovations de premier plan, mais d’essayer de «deviner» lesquelles seront matures dans six à dix ans. Des technologies de rupture en phase avec le verdissement et la digitalisation de l’économie.

La lignine, or vert de demain

C’est avec l’hydrogène qu’il explique le mieux sa stratégie pour faire du centre de recherche public une référence tout en apportant des solutions à l’industrie locale et européenne.

«Nous nous sommes dit qu’il y a une lame de fond autour de l’économie de l’hydrogène. De toute manière, pour nous, cela ne sert à rien d’aller sur cette vague aujourd’hui parce que les technologies ont déjà été développées. C’est pour cela que nous avons parié sur l’hydrogène basé sur l’eau – on casse la molécule d’eau – avec une approche d’utilisation du solaire en direct au lieu de l’approche actuelle qui est le couplage de l’énergie renouvelable avec des électrolyseurs», explique celui qui a passé une belle partie de sa carrière chez le leader européen des puces électroniques, ST Microelectronics. «Nous avons ainsi identifié 10 technologies que nous souhaitons développer de manière à avoir un niveau de performance qui soit en rupture par rapport aux technologies prévues dans les cinq ans à venir. Nous avons, par exemple, identifié une technologie de pile à combustible, dans laquelle nous avons vu les verrous technologiques sur lesquels nous allons travailler pour amener une technologie éprouvée sur le marché qui soit très performante.»

Pour Damien Lenoble, le département des matériaux ne doit pas travailler sur les technologies actuelles, mais sur celles qui feront du sens dans dix ans. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Pour Damien Lenoble, le département des matériaux ne doit pas travailler sur les technologies actuelles, mais sur celles qui feront du sens dans dix ans. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Dans le premier labo de chimie du bloc G, les chercheurs «opèrent» le bois, pour en déconstruire les molécules pour les réassocier et obtenir des matériaux neufs, plus solides, plus résistants et développer la filière du recyclage. La lignine issue des plantes, présente en grande quantité, pourrait allègrement remplacer les produits issus du pétrole dans un marché à 240 milliards de dollars.

Depuis 2019, un contrat avec l’Agence spatiale européenne vise à développer de nouveaux traitements de surface non toxiques et antimicrobiens pour l’intérieur des engins spatiaux. Bye, bye l’argent et le cuivre, les solutions antimicrobiennes seront remplacées par des matériaux biosourcés non toxiques, tels que des molécules actives extraites de plantes ou des matériaux, là encore, à base de lignine et des peptides antimicrobiens présents dans les bactéries.


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Avoir cette solution à un stade industriel aurait probablement permis de lutter plus efficacement contre le Covid que nombre de stratégies, puisque les bactéries n’auraient pas pu passer d’une surface à une autre. Les débouchés sont aussi nombreux dans l’espace que dans les hôpitaux, les appareils médicaux et les implants alors que la résistance aux antibiotiques est de plus en plus forte.

Une gaufre stratégique et une bouée testée dans la piscine de Strassen

À côté, des essais visent à broyer certaines molécules pour diviser leur taille et rendre… les laits anti-bronzants plus efficaces plus longtemps et plus faciles à appliquer de manière homogène.

Dans le laboratoire d’à côté, le chercheur présente une de ces gaufres stratégiques, sur laquelle on peut graver des microprocesseurs. Un mems (pour microsystème électronique) qui renvoie les circuits intégrés au rang de dinosaures et qui préfigure ce qui se trouvera dans nos smartphones, voitures connectées et autres objets de la future vie de tous les jours. La gravure à 500nm, très petite, intéresse des entreprises installées au Luxembourg comme IEE ou Rotarex et est déjà l’objet de sept brevets.

Là, une bouée est équipée d’une technologie testée… dans la piscine de Strassen, «où la direction nous avait réservé un ou deux couloirs pour que nous puissions opérer», se souvient le chercheur. Le mécanisme permet de récupérer l’énergie sur une fréquence très large à partir d’un balancier atypique. Intégrée dans la bouée, en pleine mer, elle permet aux capteurs d’être complètement autonome.

À côté, un chercheur exhibe sa tablette pour montrer comment une vitre lui «parle». Sa mission consiste à créer des antennes transparentes, capables non seulement d’être alimentées par la lumière, mais aussi de transmettre des informations sur le temps, les vibrations ou les alarmes. Mis à l’échelle, le dispositif pourrait avoir des débouchés pour les panneaux solaires.

Le dernier stand répond à une autre problématique: comment vérifier qu’un contenant de gaz n’est pas en train de se déformer? La futilité de la question disparaît quand on pense à de futures voitures à l’hydrogène. L’idée est ici de graver un capteur intelligent grâce à l’impression 3D, directement sur le contenant. Quand celui-ci bouge, il va déformer le capteur qui peut aussitôt prévenir qu’un danger guette.

 Le capteur intelligent est directement «tatoué» dans la bonbonne. Si elle se déforme, le capteur sonne l’alarme. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

 Le capteur intelligent est directement «tatoué» dans la bonbonne. Si elle se déforme, le capteur sonne l’alarme. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Des déchets d’hier devenus matériaux révolutionnaires de demain

Dans le laboratoire de prototypage, pas de chimie, mais, par exemple, ce procédé de «presse chauffante» qui permet, à partir de matériaux innovants issus de déchets de l’agriculture et de l’industrie du papier, de créer des matériaux aux mêmes propriétés, capables de s’autoguérir et complètement recyclables en fin de course. S’ils intéressent, eux aussi, l’espace en raison de leurs caractéristiques – et surtout de leur poids – ils font des envieux dans l’industrie automobile et dans l’aéronautique. Gradel et Thales sont deux des entreprises qui suivent ces travaux avec intérêt.

Thales s’intéresse aussi aux travaux de Naoufal Bahlawane qui développe un revêtement ultra-noir pour l’Agence spatiale européenne. L’idée est que ce revêtement élimine ou réduise autant que possible toutes les lumières parasites, sans que les équipements de l’espace aient besoin d’être peints avec des matériaux spéciaux ou d’être complétés par des plaques métalliques. Car chaque gramme en plus lors d’un lancement a un impact sur le coût du lancement. Le revêtement, qui a fait l’objet de deux brevets, doit être aussi efficace sur des surfaces planes que pour des formes convexes ou concaves.

À ses côtés, un chercheur a mis au point une torche pour imprimante 3D qui permet de remédier aux défauts structurels des pièces qui prennent forme, couche après couche, en ajoutant régulièrement une sorte de colle à chaque étape. Les blocs deviennent donc vraiment des blocs.

Et de l’autre côté, un capteur plus petit qu’un timbre-poste est capable de détecter les odeurs dans une pièce, quelle que soit sa taille. C’est aussi utile pour éviter les asphyxies au monoxyde de carbone des chaudières mal entretenues que pour mettre le doigt sur tous les polluants dans l’air.

La salle blanche, comme une salle d’opération

Forcément, comme ces chercheurs travaillent dans l’infiniment petit, la moindre poussière peut avoir un impact sur leurs résultats. Une salle blanche équipée de 25 appareils spéciaux, le plus souvent achetés chez des fournisseurs, permet à une vingtaine de chercheurs de travailler.

L’expertise du département dope les activités de la salle voisine, la plateforme de caractérisation serait précieuse aux experts scientifiques des séries policières: elle permet, avec ses équipements qui vont de l’échelle macroscopique à l’échelle nanoscopique, d’établir les propriétés d’une molécule ou d’un produit. Elle est à disposition de l’industrie, surtout dans le secteur des medtech et de la cosmétique. Les groupes Pierre Fabre ou L’Oréal ont recours aux services de ses experts régulièrement. Comme Goodyear pour la fabrication de ses pneus.

Dans l’unité sur le matériel, les chercheurs sont occupés à améliorer les outils que l’industrie veut lancer. Une autre manière d’être aux avant-postes. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Dans l’unité sur le matériel, les chercheurs sont occupés à améliorer les outils que l’industrie veut lancer. Une autre manière d’être aux avant-postes. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Enfin, la dernière unité du département se regarde derrière une vitre. Au «nano-analytics», comme on l’appelle, les chercheurs planchent… sur les outils de leurs futures recherches. Les collaborations avec de grands groupes industriels leur donnent accès à des machines qui vont être commercialisées et qui pourraient encore être améliorées. L’unité peut multiplier la valeur ajoutée du produit par deux ou par trois. Ce jour-là, une sorte de microscope futuriste de Zeiss était entre leurs mains. Pour des semaines.

La recherche à ce niveau-là doit être capable d’«encaisser» le temps long. Dix à 15 ans pour être aux avant-postes, sans avoir la certitude qu’on y a sera au bout du compte, est un marathon.

Cet article est issu de la newsletter hebdomadaire Paperjam Trendin’, le rendez-vous pour suivre l’actualité de l’innovation et des nouvelles technologies. Vous pouvez vous y abonner