La première priorité de la ministre c'est l'éducation qu'elle veut utiliser comme arme contre les clichés et inégalités. (Photo: Anthony Dehez)

La première priorité de la ministre c'est l'éducation qu'elle veut utiliser comme arme contre les clichés et inégalités. (Photo: Anthony Dehez)

Ils vous ont peut-être échappé pendant l’année. Retrouvez tous les jours de l’été un grand entretien paru dans le magazine Paperjam. Aujourd’hui, une interview avec Taina Bofferding, la ministre de l’Égalité entre les femmes et les hommes du gouvernement Gambia 2.

Cette interview est parue dans l’édition mars 2019 du , un numéro spécial consacré au Female Leadership, en prélude à la Journée internationale du droit des femmes de ce 8 mars.

C’est dur d’être une femme en politique?

. - «Ce n’est toujours pas évident d’être engagée, mais si on est motivée, ça marche.

Pourquoi ce n’est «pas évident»?

«Parce qu’il faut investir beaucoup de son temps, pouvoir compter sur des proches, une famille, des amis qui vous soutiennent et qui acceptent que vous soyez toujours en retard ou jamais là... Les réunions dans les partis politiques se tiennent souvent le soir. Donc, je ne sais pas si c’est plus dur pour les femmes, mais c’est évidemment plus difficile pour les jeunes mères de s’organiser pour s’occuper des enfants. Nous ne sommes pas encore sur un pied d’égalité avec les hommes à ce sujet. On voit encore la différence.

Il y a des femmes au gouvernement, mais très peu à la Chambre des députés. La politique reste-t-elle une affaire d’hommes?

«J’espère bien que non! Et je suis la preuve, avec d’autres, que les choses sont en train de changer. Mais cela a été pour moi une énorme déception, c’est vrai, de voir si peu de femmes faire leur entrée au Parlement. Dans mon parti, le LSAP, aucune n’a été élue...

Comment l’expliquez-vous?

«Nous n’avons pas l’habitude de mettre les femmes en évidence. Il y a eu un gros problème de visibilité des femmes durant la campagne. Des efforts ont été faits, mais trop tard. Nous devons absolument prendre le temps d’élaborer en amont une stratégie pour aller chercher des candidates, les former, les soutenir afin qu’elles puissent s’engager pleinement et avancer.

D’autres pays, comme la France, ont fait le choix de mesures plus radicales pour imposer la parité...

«Au Luxembourg, nous avons le quota de 40% du sexe sous-représenté pour les élections législatives.

Ce n’est pas très chouette, les quotas, c’est vrai. C’est une obligation.
Taina Bofferding

Taina BofferdingMinistre de  l’Égalité entre les femmes et les hommes

Mais 40%, ce n’est pas la parité...

«Non, mais c’est déjà ça. Le sujet a provoqué beaucoup de discussions, y compris au sein du gouvernement où certains n’y sont toujours pas favorables. Ce n’est pas très chouette, les quotas, c’est vrai. C’est une obligation. Mais je pense quand même que c’est un instrument efficace qui a fait ses preuves ailleurs à l’étranger. Et puis, ça a le mérite de pousser l’ensemble des partis, et même la société, à s’interroger.

Pourquoi ne pas se fixer l’objectif de 50% à la fin de la mandature?

«Encore une fois, ce sujet ne fait pas l’unanimité au sein du gouvernement et il ne figure d’ailleurs pas dans l’accord de coalition. Mais j’espère bien qu’un jour on y arrivera, et surtout qu’on n’aura plus besoin de quotas.

Que répondre à ceux qui pointent le risque d’aller chercher des femmes pour faire nombre, sans tenir compte des compétences ou des qualités?

«Ce risque existe si on s’y prend seulement deux semaines avant le dépôt des candidatures, bien sûr. Mais si on se dote d’une vraie stratégie, on doit largement pouvoir y arriver.

Avez-vous été personnellement confrontée au machisme en politique?

«Non, mis à part quelques remarques... Lorsque j’étais candidate pour un précédent mandat, j’ai entendu des discussions sur le fait que normalement, à mon âge, les jeunes femmes choisissaient plutôt de devenir mères ou avaient d’autres priorités. Certains se demandaient s’il était bien nécessaire ou raisonnable d’investir en moi alors que je devais, selon eux, être amenée à tomber rapidement enceinte... Mais les mentalités évoluent. J’espère que la présence de plusieurs jeunes femmes dans ce gouvernement en motivera d’autres à prendre la suite et à s’engager en politique.

Je suis aussi ministre de l’Intérieur, et d’ailleurs la première femme à occuper ce poste...
Taina Bofferding

Taina BofferdingMinistre de l’Égalité entre les femmes et les hommes

N’avez-vous pas l’impression que les femmes occupent des postes de second plan au gouvernement?

«Non. Regardez-moi, je suis aussi ministre de l’Intérieur, et d’ailleurs la première femme à occuper ce poste...

Mais les portefeuilles de l’Économie, de la Justice ou des Affaires étrangères restent très masculins...

«Je vous répondrais en observant qu’on n’a jamais vu non plus un homme occuper celui de l’Égalité entre les femmes et les hommes... [rires]

Quelles sont vos priorités pour cette mandature?

«La première priorité, c’est l’éducation. Je suis en train de monter une collaboration avec le ministère concerné pour travailler sur le sujet et réfléchir à des ateliers ou des workshops avec la communauté éducative. Comment mieux intégrer l’égalité dans les programmes scolaires? Comment sensibiliser les enfants, mais aussi les enseignants et les éducateurs? Comment intégrer cette thématique à leur formation? Voilà les questions auxquelles nous devrons répondre.

Il y a encore beaucoup de clichés à l’école?

«Oui, et il est temps d’en finir! Nous menons, avec l’Université de Luxembourg, une étude sur les stéréotypes sexistes chez les ados. Cette grande analyse est très importante, car pour la première fois nous aurons des chiffres et des données sur le sujet.

Vous voulez aussi nommer davantage de professeurs femmes à l’Université...

«J’envisage de travailler avec le ministre de l’Enseignement supérieur ( du DP, ndlr) sur ce sujet parce qu’il n’y a pas assez de femmes. Mais plus largement, nous devons changer les mentalités, y compris chez les étudiantes, pour qu’elles s’intéressent plus aux sciences par exemple. Nous sommes ainsi en train de lancer un programme avec des jeunes femmes pour qu’elles s’inscrivent davantage en mathématiques. Beaucoup considèrent ces filières comme masculines... C’est à l’école puis au lycée ou à l’université que tout se joue pour la suite, en matière d’orientation professionnelle.

Les entreprises ne sont pas non plus toujours bien conscientes de ce problème.
Taina Bofferding

Taina BofferdingMinistre de l’Égalité entre les femmes et les hommes

Et au-delà de l’éducation?

«Il y a bien sûr des dossiers transversaux, comme la conciliation de la vie privée et de la vie professionnelle. La discussion qui va bientôt démarrer avec les partenaires sociaux sur le droit à temps partiel s’inscrit dans la droite ligne de la réforme du congé parental. Elle ne sera sans doute pas facile, mais elle est essentielle. Car aujourd’hui, lorsqu’on regarde toutes les analyses sur le congé parental, on voit bien que cela répond à une demande profonde des parents et de la société.

La question de l’égalité se joue aussi sur les rémunérations...

«L’égalité salariale est inscrite dans le Code du travail. Cela ne suffit pas bien sûr, puisqu’à poste égal, on constate encore un écart de plus de 5% sur le salaire horaire moyen entre un homme et une femme. Mais cette inégalité se réduit au fil des années. Il faut vraiment que les femmes se manifestent et s’approprient ce sujet. Les entreprises ne sont pas non plus toujours bien conscientes de ce problème, même si les mentalités ont commencé à changer. Nous allons discuter avec elles et les aider à évoluer.

Faut-il imposer la parité dans les conseils d’administration?

«Le gouvernement a commencé avec les établissements publics et les sociétés au sein desquelles l’État est représenté. Pour la première fois, nous avons dépassé le seuil des 40% du sexe sous-représenté. C’était important de montrer que le gouvernement est un bon élève, que la mixité est possible, et surtout que cela marche! Car nous sommes souvent confrontés à un préjugé selon lequel les entreprises ne trouveraient pas de femmes pour occuper ces postes. Or, il existe des outils, comme le Female Board Pool par exemple. C’est une base de données qui recense près de 600 femmes aux profils très différents, mais toutes sont intéressées et disponibles pour siéger dans un conseil d’administration. Les femmes sont là, il suffit juste de regarder et d’aller les chercher!

À 36 ans, cette Eschoise, membre du LSAP, incarne la jeunesse du gouvernement avec son collègue Lex Delles. (Photo: Anthony Dehez)

À 36 ans, cette Eschoise, membre du LSAP, incarne la jeunesse du gouvernement avec son collègue Lex Delles. (Photo: Anthony Dehez)

D’une façon générale, faut-il inciter ou contraindre les entreprises à accepter la parité?

«C’est toujours mieux de discuter et de les amener à conduire leur propre réflexion et à prendre des mesures par elles-mêmes. Au ministère, nous encourageons toujours les entreprises à participer aux actions positives, plutôt que d’envisager dès le début des contraintes législatives ou réglementaires.

L’image des femmes dans les médias vous préoccupe. Que comptez-vous faire à ce sujet?

«Je ne veux pas prendre des mesures de façon unilatérale. Je vais donc d’abord prendre contact avec le Conseil de la publicité et les grandes entreprises médias pour voir comment nous pouvons mettre en place une stratégie. C’est important de discuter avec le secteur.

Vous trouvez que les femmes y sont sous-représentées?

«Il y a encore de grandes différences oui. Prenez le sport par exemple: on accorde encore souvent davantage d’articles à un homme arrivé troisième dans une compétition plutôt qu’à une femme qui l’a remportée. C’est dommage.

Y a-t-il des images qui vous choquent?

«Oui, quand je vois par exemple une femme presque nue dans une publicité pour vendre du carrelage... Cela ne me paraît ni convenant ni acceptable.

Et une femme presque nue dans une publicité pour un bar de strip-tease?

«Je n’aime pas les bars de strip-tease...»

Retrouvez la deuxième partie de cette interview .