Peter Hinssen met en garde à l’égard du fossé qui pourrait se creuser davantage entre le système éducatif et le monde de l’entreprise. (Photo: Matic Zorman)

Peter Hinssen met en garde à l’égard du fossé qui pourrait se creuser davantage entre le système éducatif et le monde de l’entreprise. (Photo: Matic Zorman)

Le Belge Peter Hinssen sillonne le monde pour sensibiliser les entreprises à l’impact du changement technologique. Il veut surtout éveiller les consciences sur l’urgence de s’adapter. Rencontre avant son passage sur la scène de Luxexpo, ce mercredi soir, lors de la réception de la Fedil.

Après une décennie de licornes, place à la décennie des phénix? L’auteur et professeur invité à la London Business School et au MIT de Boston  veut croire au potentiel des industries européennes et en leur capacité à se renouveler. Tels des phénix qui renaitraient de leurs cendres. À condition d’oser. Et de miser sur les talents.

Il sera l’orateur invité de la Fedil mercredi soir pour la traditionnelle réception de Nouvel An organisée à Luxexpo par la fédération représentant les secteurs industriels.

Pour paraphraser un de vos ouvrages «The Day after Tomorrow: How to Survive in Times of Radical Innovation», demain sera-t-il meilleur?

Peter Hinssen – «Je suis un optimiste de nature, je pense toujours que demain sera meilleur. Demain sera certainement plus ‘challenging’, plus complexe, mais demain représente de nouvelles opportunités et une source de progrès potentiel.

L’Europe a manqué la dernière décennie quant à sa capacité à être une puissance digitale.

Peter Hinssen

Quel sera votre message à tous les entrepreneurs et chefs d’entreprise auxquels vous allez vous adresser ce soir? Quel est-il à tous les entrepreneurs et chefs d’entreprise qui nous lisent?

«Beaucoup de personnes débattent encore pour savoir si nous sommes véritablement entrés dans une nouvelle décennie. Dans tous les cas, je pense que l’Europe a manqué la dernière décennie quant à sa capacité à être une puissance digitale. Beaucoup de personnes partagent ce constat avec un certain pessimisme. Je considère plutôt que ce que nous avons connu durant les dernières décennies n’était juste qu’une phase de ‘warm up’.

De nombreuses industries vont se transformer durant la décennie qui s’ouvre. Nous allons voir la ‘disruption’ se répandre à travers un large spectre de marchés et d’industries, générant de nouvelles opportunités. De l’énergie à l’industrie manufacturière, en passant par les soins de santé, ou encore l’agriculture. Dans ce contexte, l’Europe peut miser sur ses atouts pour se positionner. Mais pour y parvenir, nous devons d’abord comprendre ce que nous avons mal fait durant la décennie qui vient de se refermer.

Nous devons investir dans les talents et dans l’éducation, beaucoup plus que par le passé.

Peter Hinssen

Qu’avons-nous mal fait au niveau européen?

«Nous avons négligé l’arrivée de nouveaux acteurs. Je parle de ce phénomène dans mon prochain ouvrage à paraître en mars et intitulé ‘The Phoenix and the Unicorn’. Les licornes nous ont en quelque sorte aveuglés par leurs histoires durant la dernière décennie. Et je suis certain que la plupart des entreprises représentées ce soir ne sont pas des licornes. Mais elles peuvent être des phénix. Un phénix peut se réinventer lui-même, devenir plus fort, même après être passé à travers une phase très difficile. Cette réinvention passera indubitablement par les talents. Nous devons tout d’abord réaliser que nous devons investir dans les talents et dans l’éducation, beaucoup plus que par le passé.

Mais les systèmes éducatifs révèlent une certaine inertie et une lenteur au changement…

«C’est la raison pour laquelle les industries et les entreprises doivent prendre leurs responsabilités pour devenir aussi des acteurs des nouveaux systèmes éducatifs. J’ajoute que si nous voulons retenir les talents et avoir une culture d’entreprise qui séduise les plus jeunes d’entre eux, nous devons revoir la manière dont les entreprises sont organisées et faire évoluer leur culture. Et enfin le leadership. En tant qu’Européens, nous sommes culturellement frileux à l’égard du risque. Nous devons être moins modestes, nous devons montrer davantage une forme de leadership proactif. Ce qui requiert une autre mentalité de la part des CEO.

Comment percevez-vous le système éducatif de demain?

«Dans beaucoup de pays, le système éducatif est devenu la partie la plus lente de la société. C’est inquiétant en tant que citoyen et parent. Lors de mes voyages à travers le monde, la question récurrente qui m’est posée au sujet du changement concerne les conséquences pour les enfants. Or, l’écart entre le système éducatif et la réalité est devenu encore plus grand. Sans coopération plus intense entre les secteurs industriels et l’éducation, ce fossé va continuer à se creuser. Nous devons passer outre les questions politiques, d’égo… au risque de ne pas pouvoir disposer des talents techniques nécessaires aux entreprises.

Dans quels domaines pourrait-on construire ces innovations européennes à l’avenir? Et encourager les jeunes à s’orienter vers des études plus techniques…

«Il est encore possible d’agir sur l’état d’esprit de la nouvelle génération, qui ne veut pas uniquement un travail, mais au moins sentir qu’elle a un impact sur la société. Ils veulent comprendre que ce qu’ils font compte. Nous n’avons pas bâti Facebook en Europe. Et alors? Pensez à l’industrie agroalimentaire. Comment nourrir autant de personnes en respectant la planète. Cet exemple montre les opportunités importantes qui s’ouvrent pour beaucoup d’industries pour bâtir sur base de nos connaissances et de notre expérience. Pour faire quelque chose qui ne soit pas uniquement bénéfique en termes d’emplois, mais aussi pour la société dans son ensemble.

Il est nécessaire de développer une vision claire, ce qui passe par une nouvelle manière de voir le futur.

Peter Hinssen

Quels types d’organisations seront capables de devenir des phénix?

«Le sens de l’urgence est important. Je suis régulièrement invité à m’adresser à des responsables d’entreprises à qui je parle pour les effrayer en quelque sorte face à l’impact du changement. Et ils retournent ensuite reprendre leur ‘business as usual’. S’il n’y a pas de réelle prise en compte de l’urgence, rien ne se passera, et votre organisation n’aura pas la chance d’entamer un processus de renouveau. Il est aussi nécessaire de développer une vision claire, ce qui passe par une nouvelle manière de voir le futur. Beaucoup d’entreprises envisagent encore l’avenir au travers de leur prisme traditionnel. Elles doivent élargir leur point de vue et comprendre en profondeur comment le changement pourrait les affecter.

Le troisième élément est la capacité à faire preuve d’une ouverture d’esprit pour essayer de nouvelles choses. Ce qui renvoie au problème culturel des entreprises européennes qui sont frileuses à l’égard du risque.

J’ajoute enfin que les organisations qui réussiront sont celles qui adoptent un style de leadership différent. Nous venons d’une ère, le 20e siècle, durant laquelle le leader ne devait montrer aucune peur ni aucun doute sur ce qu’il voulait faire. Ça ne fonctionne plus. Un de mes phénix favoris en ce moment est Microsoft. Leur transformation depuis 10 ans est passée par ces différents éléments.»