Bruno Allain, co-gestionnaire du fonds QCFL – Accessible Clean Energy évoque pour Paperjam les effets de la guerre en Ukraine sur le développement et les investissements dans le secteur des énergies propres. (Photo: Quaero Capital)

Bruno Allain, co-gestionnaire du fonds QCFL – Accessible Clean Energy évoque pour Paperjam les effets de la guerre en Ukraine sur le développement et les investissements dans le secteur des énergies propres. (Photo: Quaero Capital)

Le secteur des énergies propres affiche sur 3 et 5 ans une performance double de celle de l’indice MSCI World. Selon Bruno Allain, la sous-performance du marché entre la fin de 2021 et la guerre russe en Ukraine créé des opportunités d’achat. Des opportunités renforcées par une impulsion politique inédite en Europe.

«Ce qui nous a surpris, c’est la réponse commune et rapide de l’Union européenne. Ce qui n’était pas évident surtout si on considère que face à la dépendance au gaz russe, il y a deux Europe. Il y a une Europe de l’Est qui est ultra dépendante du gaz russe, parfois jusqu’à 100% de ses importations. Et puis il y a une Europe plus occidentale qui est moins concernée par le sujet.» Pour Bruno Allain, la réponse «forte» avec des objectifs «ambitieux» apportée par l’UE, le 8 mars, avec le plan REPowerEU marque une rupture dans l’histoire de la transition énergétique en Europe. «C’est la première fois que l’on a un signal politique aussi fort avec des objectifs à court terme. En général, on est sur des échéances horizon 2050 qui n’obligent pas beaucoup les décideurs politiques en place. D’où d’ailleurs le doute sur la parole politique dans ces domaines-là.»

Selon Bruno Allain, le monde a changé avec cette guerre et sa conséquence qui est la volonté d’indépendance des pays occidentaux pour une autonomie énergétique. Autonomie qui ne pourra se faire selon le gérant «qu’au travers des énergies propres».

Une volonté politique inédite qui produit déjà des résultats

Beaucoup de pays ont annoncé de nouvelles mesures dont les effets se font sentir déjà sur le terrain. C’est par exemple le cas en Allemagne qui vient à atteindre une proportion de 80% de sources d’énergies renouvelables dans son mix électrique en 2030. «On voit que des sociétés actives dans le secteur solaire en Allemagne font état de commandes records pour le premier trimestre! Cette volonté politique est vraiment en train de se traduire sur le terrain partout en Europe par une accélération de la demande de solaire et d’éolien.» Les dépenses d’investissement dans les énergies renouvelables devraient tripler d’ici 2030 et les capacités solaires et éoliennes devraient être multipliées par quatre, estime-t-il.

L’offre pourra-t-elle suivre la demande? Oui estime le gérant. «Le principal frein aujourd’hui sur toutes les chaines de valeurs est toujours sur la partie composant, principalement sur les puces. Le sujet n’est pas nouveau. Un problème qui ne concerne pas le secteur de l’éolien où les freins sont plus liés à des questions de transports. Mais il se trouve que dans beaucoup de cas, face à cette contrainte de transports la production d’éolienne est quelque chose de local. Le gros frein, c’est le temps nécessaire à l’obtention de tous les permis nécessaires. Mais avec l’actuelle volonté politique, ce frein pourrait être vite résorbé.» Et ce d’autant plus vite souligne le gérant que l’on commence à maitriser la technologie de l’éolien flottant qui permettra d’installer des parcs de production d’énergie en mer, loin des côtes dans des endroits où cela ne gêne personne.

Sur la partie solaire, 80% à 90% de la chaine de production sont contrôlées par la Chine. «Le frein n’est pas dans la production, mais dans le transport. On sait qu’il peut y avoir des délais de quelques semaines. Mais c’est un simple décalage dans le temps. Il n’y a pas un manque de capacité de production.»

Jouer l’éolien et le solaire

Cette nouvelle impulsion politique aura-t-elle un impact sur la taxonomie? Et plus particulièrement sur le recours au gaz – qui n’est plus en odeur de sainteté depuis qu’il est utilisé comme arme de guerre par la Russie – et au nucléaire? «Après beaucoup de discussions, la taxonomie a validé le gaz et le nucléaire comme énergies de transition. Ce qui ne veut pas dire grand-chose. Du coup, on ne sait plus si on en veut ou pas.»

Le but de la taxonomie, c’est d’orienter l’épargne des particuliers vers ce qui va nous permettre de réussir la transition vers une économie décarbonée. «Avec la taxonomie, va-t-il y avoir beaucoup de capitaux privés qui vont s’orienter vers le financement du nucléaire? Je ne suis pas persuadé. Le financement du nucléaire en Europe passera par des fonds publics et semi-publics et pas par des investisseurs institutionnels classiques», analyse Bruno Allain qui reconnait que le nucléaire est indispensable pour arriver à une économie décarbonate en 2050. Pour lui, l’avenir de la filière passe par le développement de petits réacteurs modulaires (les SMR pour Small Modular Reactors). Mais à l’horizon 2035. Et pour ce qui est du financement des infrastructures gazières, malgré la taxonomie, beaucoup d’investisseurs institutionnels se retirent de ce secteur.

Pour les investisseurs, ce sont les cartes de l’éolien et du solaire qu’il faut jouer. «Des secteurs où l’on sait que l’on va vraiment avoir un impact immédiat en termes de demande et de perspectives de développement.» Si à court terme les facteurs de risques sont nombreux – le manque de composants électroniques, la désorganisation de la chaîne logistique, hausse des coûts des matières premières et volatilité des coûts de l’énergie –, les perspectives à long terme, notamment eu Europe, se sont améliorées. «Le thème de la transition énergétique est le seul à offrir autant de visibilité sur les 30 prochaines années.»

Des risques bien identifiés

Tous les facteurs de risques cités existaient en 2021. «Et si la guerre en Ukraine et les confinements en Chine les ont rendus plus importants, nous pensons que les sociétés qui ont été très performantes l’an passé – c’est-à-dire celles qui maitrisent leur approvisionnement et disposent du et peuvent donc répercuter toute hausse du prix des matières premières à leurs clients – le seront encore en 2022 parce que les défis sont les mêmes.»

Le portefeuille du fonds QCFL – Accessible Clean Energy est d’ailleurs resté stable par rapport à 2021 explique Bruno Allain. «Dans le détail, nous sommes sortis de l’éolien où les fabricants de turbines n’ont pas démontré leur capacité à répercuter les hausses de leurs coûts à leurs clients au profit du secteur de l’efficacité énergétique. Un secteur qui bénéficie des subventions et des politiques d’incitations étatiques, et qui permet pour les clients des retours sur investissement très rapide grâce à des économies immédiates. Et entre 30% et 40% de notre portefeuille sont investis dans la production d’énergie renouvelable et des entreprises qui se retournent au cœur de la réflexion sur le modèle énergétique que l’on veut construire.»

Cet article a été rédigé pour la newsletter Paperjam Green, le rendez-vous mensuel pour suivre l’actualité en matière d’environnement, de climat, de mobilité, de RSE et de green finance.