Pour le manager du Luxembourg Wood Cluster, le bois représente de nombreux avanteges qu’il faut mettre en valeur. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Pour le manager du Luxembourg Wood Cluster, le bois représente de nombreux avanteges qu’il faut mettre en valeur. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Aujourd’hui, une maison sur dix au Luxembourg est une construction en bois. À l’horizon 2025-2030, ce chiffre devrait même atteindre 15%. Pour faire face à cette demande croissante et aux nombreux défis qui l’attendent, la filière s’organise. On fait le point avec Philippe Genot, manager du Luxembourg Wood Cluster au sein de Luxinnovation.

Comment se porte la construction en bois au Luxembourg?

Philippe Genot. – «La filière se porte très bien, nous pouvons le dire. Selon les derniers chiffres recensés par le Statec, aujourd’hui, 10% des constructions sont réalisées en bois, contre 6% en 2016. Selon les prévisions, au regard de ce qui est actuellement en train de sortir de terre, nous devrions atteindre les 15% à l’horizon 2025-2030. On note donc une véritable croissance du marché.

Comment expliquez-vous le succès que rencontre ce genre de construction au Luxembourg, mais également en Europe?

«Il y a plusieurs raisons pour expliquer ce phénomène. Premièrement, le problème du changement climatique et les enjeux de durabilité qu’il soulève suscitent un intérêt grandissant auprès du grand public. Le bois a des propriétés très intéressantes pour répondre à ces défis. On considère par exemple qu’un mètre cube de bois fixe une tonne de CO2. La construction d’une maison unifamiliale traditionnelle luxembourgeoise nécessite environ 25 m3 de bois. 25 tonnes de CO2 sont donc captées sur toute la durée de vie de la construction, ce qui est important. À titre de comparaison, un mètre cube de béton émet une demi-tonne de CO2. Le bois, de son côté, s’inscrit également dans une démarche d’économie circulaire.

Une deuxième explication du succès de la construction en bois au Luxembourg réside dans le fait que les forêts sont à peu près la seule ressource qu’il nous reste au Luxembourg. Notre rôle, dans le cadre du Wood Cluster de Luxinnovation, est de trouver des pistes pour valoriser ce matériau noble dans des constructions locales.

L’un des avantages souvent mis en avant par les acteurs de la construction en bois, c’est également la réduction du temps de construction par rapport au béton…

«En effet, grâce à la préfabrication et le fait que de nombreux aspects peuvent être planifiés, une maison en bois traditionnelle peut sortir de terre en une semaine. Pour un bâtiment plus important, il ne faudra qu’un mois pour pouvoir y poser ses valises. D’un point de vue financier, c’est un énorme avantage par rapport à d’autres matériaux, car si vous gagnez six à neuf mois de chantier, vous gagnez également six à neuf mois de loyers.

Au-delà de tous ces avantages, au sein du Wood Cluster, nous insistons souvent sur le fait qu’il ne faut pas mettre du bois partout et tout le temps. Nous sommes bien conscients qu’il n’est pas possible de tout construire en bois, notamment dans les zones humides. Il faut simplement utiliser les matériaux là où cela a du sens. Le bois n’est qu’un matériau de plus, une option supplémentaire, dans la palette des constructeurs immobiliers.

Preuve du succès de la filière bois, on assiste à la naissance de quelques projets remarquables au Grand-Duché…

«En effet, nous pouvons notamment citer le projet «Wooden», réalisé par Iko Real Estate et BPI Real Estate à Leudelange, qui sera, avec ses six niveaux, le plus grand immeuble à ossature en bois du Grand-Duché. On peut également parler du bâtiment de l’Administration de la nature et des forêts à Diekirch, ou plus récemment du Lycée technique pour professions de santé à Ettelbruck. Depuis une dizaine d’années, on voit émerger des projets de plus en plus complexes et élaborés. C’est la preuve que le Luxembourg a acquis une certaine expérience en la matière.

Des projets qui sont notamment poussés par les nombreuses innovations qui ont vu le jour dans le secteur de la construction en bois ces dernières années, mais aussi des start-up qui sont de plus en plus nombreuses à s’y intéresser…

«De ce côté-là aussi, on note effectivement un réel engouement autour de la filière bois. On pense que le bois est un matériau traditionnel, immuable. Pourtant, c’est l’un des produits qui offrent les plus belles possibilités en matière d’innovation. On voit par exemple des tours en bois éclore un peu partout dans le monde grâce à des prouesses technologiques toujours plus impressionnantes. On trouve notamment une tour en bois de plus de 80 mètres de haut en Norvège.

Chez nous, les deux derniers Prix de l’innovation remis par la Chambre des métiers ont été décernés à des constructeurs spécialisés dans le bois (Annen en 2017 et Steffen Holzbau en 2019, ndlr). C’est la preuve que le marché de la construction en bois est un terrain propice à l’innovation. Du côté de Luxinnovation et du Wood Cluster, nous suivons ces sociétés innovantes de très près et nous les soutenons au maximum dans leur développement.

Qu’est-ce qu’il manque encore au Luxembourg pour devenir une véritable référence en matière de construction en bois?

«La chaîne de valeur au Luxembourg manque encore d’acteurs pour créer un véritable écosystème de la filière bois. On manque par exemple de scieries, mais aussi de main-d’œuvre qualifiée: des charpentiers, des menuisiers, des ingénieurs ou des architectes spécialisés dans le bois, etc. Il faut ensuite travailler sur l’acceptation de la construction en bois auprès du grand public. Beaucoup de personnes s’imaginent que, forcément, le bois, ça brûle plus vite qu’un autre matériau, que ça pourrit ou que ce n’est pas stable. Or, ce n’est pas du tout le cas. De plus, on remarque que, dans les pays alpins, en France, en Suisse, en Autriche ou dans certaines régions d’Allemagne, travailler le bois est un véritable honneur. Au Luxembourg, l’artisanat n’est pas encore forcément reconnu comme il devrait l’être… Il y a donc aussi un réel travail d’évangélisation à réaliser autour de ce matériau.

Pour devenir une référence en matière de constructuion de bois, le pays doit se doter d’un cadre législatif plus clair et de main-d’œuvre plus qualifiée.
Philippe Genot

Philippe Genotmanager du Luxembourg Wood ClusterLuxinnovation

En matière de législation, il reste aussi quelques zones d’ombre à éclaircir…

«En effet, certains pays ont des cadres législatifs plus clairs que le Luxembourg en matière de normes imposées pour la protection contre les incendies. On note également des disparités entre les différentes communes sur les règles à respecter pour les constructions en bois. Mais je sais que certains ministères travaillent actuellement pour apporter davantage de clarté et d’homogénéité à ce cadre légal.

Signe que la filière arrive à un certain niveau de maturité?

«La construction en bois a longtemps été un secteur de niche, mais elle a effectivement acquis une certaine maturité ces dernières années. Je dirais que la filière est au stade de l’adolescence, qu’elle s’émancipe quelque peu et qu’elle a besoin de quelques ajustements pour poursuivre sa croissance.

Pour construire des bâtiments en bois, il est évidemment nécessaire de soigner sa matière première. Comment se portent les 90.000 hectares de forêts que compte notre pays?

«Il y a un grand paradoxe: le bois est un matériau durable qui est une réelle solution pour les défis liés au changement climatique, mais ce même changement climatique a un impact très négatif sur la forêt. Les vagues de sécheresse de ces dernières années font en effet dépérir nos forêts, notamment celles d’épicéas. Il y a de réelles raisons de s’inquiéter pour cette essence si l’on continue à avoir des étés aussi secs. L’un de nos rôles au Wood Cluster est justement de trouver des alternatives à cet épicéa en perdition. Il est capital d’innover sur de nouvelles essences, car le risque de le voir disparaître de nos forêts à moyen terme est réel.

Il faut 50-60 ans pour obtenir un épicéa qui pourra être récolté, plus de 100 ans pour un hêtre et peut-être plus de 200 ans pour un chêne. Or, le marché évolue très rapidement et le dépérissement peut se faire en quelques années seulement. Il est donc important d’y réfléchir dès aujourd’hui. En France, par exemple, certains chênes que l’on récolte aujourd’hui ont été plantés initialement pour construire… des navires de guerre.

Rappelons également que ces forêts ne sont pas inépuisables…

«On prélève au Luxembourg 500.000 m3 de bois chaque année (50% pour l’industrie, 25% pour le bois de chauffage et 25% pour le marché de la construction), ce qui n’est pas négligeable. Pour que ce matériau ait une véritable dimension durable, il est capital de combiner gestion forestière durable et utilisation raisonnée du bois. Sans cela, il n’y aurait aucun sens à cette approche.

Le bois connaît actuellement une flambée des prix. Comment expliquer ce phénomène?

«Il y a depuis le début de l’année une énorme demande en bois de la part des États-Unis. Cette explosion est due notamment au fait que les rapports entre les États-Unis et le Canada se sont ternis sous l’ère Trump, freinant l’importation de ce matériau depuis le Canada, un grand exportateur de bois. La relance post-Covid de l’autre côté de l’Atlantique est également très importante, ce qui engendre une plus forte demande sur le marché européen. Car, rappelons qu’aux États-Unis, près de huit maisons sur dix sont des constructions en bois. En Europe, la demande en bois est également toujours aussi importante malgré la crise. En raison de cette pression sur le marché du bois sur le Vieux Continent et le déséquilibre qu’elle engendre entre l’offre et la demande, les prix ont grimpé en flèche. Cette situation provoque en outre d’énormes retards de livraison.

La filière doit-elle s’inquiéter de la situation?

«Nous pensons que c’est un phénomène conjoncturel qui devrait s’atténuer à court terme. Si les frontières entre le Canada et les États-Unis venaient à rouvrir, la situation reviendrait par exemple rapidement à la normale. Toutefois, même si c’était le cas, il faut garder à l’esprit que, face à une demande accrue en matières premières, ce genre de situation devrait à nouveau se présenter dans le futur. La vigilance est donc de rigueur.»

Cet article a été rédigé pour  parue le 15 juillet 2021.

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