André Roeltgen aimerait un syndicat unique. Mais il sait que cela risque de rester encore longtemps un vœu pieux. (Photo: Matic Zorman / Archives)

André Roeltgen aimerait un syndicat unique. Mais il sait que cela risque de rester encore longtemps un vœu pieux. (Photo: Matic Zorman / Archives)

À quelques semaines des élections sociales, l’OGBL semble avoir fait le plein de confiance. André Roeltgen sait que les combats à venir seront nombreux, face à un patronat qui se constitue de plus en plus en front commun.

Le dépôt des listes des candidats aux délégations du personnel se clôturait lundi. Quel est votre bilan maintenant que cette première étape est franchie?

. – «Je suis très satisfait du nombre de nos candidats, plus nombreux qu’en 2013. Mardi matin, ils étaient 5.073, alors que quelques vérifications devaient encore avoir lieu. On augmente en fait dans tous les secteurs, sauf la sidérurgie. Ce qui s’explique par le fait qu’il y a moins de délégués à y élire. Cela montre que l’OGBL reste la première force syndicale du pays aussi en ce qui concerne les syndicats.

Le nombre de membres du syndicat LCGB est en augmentation. Qu’en est-il dans vos rangs?

«Nous sommes aussi en croissance et comptons 70.000 membres. Mais je reconnais que l’augmentation du nombre de nos membres ne se fait pas au même rythme que celle de l’emploi. Cela tient à l’évolution économique du Luxembourg en général, c’est-à-dire à l’arrivée de nouveaux secteurs et de nouveaux services au sein desquels il n’y a pas de tradition syndicale. Il faut un certain temps pour qu’on s’y implante, c’est historique.

Les salariés luxembourgeois ne peuvent plus se permettre le luxe de la division syndicale.

André Roeltgenprésident de l’OGBL

Et cette évolution est de plus en plus rapide...

«Oui, et c’est pour cela que je dis depuis un certain temps que les salariés luxembourgeois ne peuvent plus se permettre le luxe de la division syndicale. Face à l’accroissement inouï des nouvelles entreprises, la division est une perte d’efficacité. On pourrait avancer de manière beaucoup plus rapide et efficace sur tous les plans, tant au niveau des dossiers de politique générale que des conventions. Et justement, une de nos revendications est de dire que chaque salarié luxembourgeois doit bénéficier d’une convention collective de travail. Or, 50% n’en ont pas.

Pourquoi?

«C’est lié à la structure de plus en plus complexe des entreprises, mais aussi cette loi qui n’est plus adaptée à ce que l’on connaît maintenant. Je suis donc heureux que le gouvernement ait mis dans son programme sa volonté d’en discuter. Et puis il y a aussi la division syndicale. Tout serait plus facile avec un syndicat unique, si on n’avait pas cette situation de concurrence.

La fracture entre les syndicats est forte?

«Hélas, oui. Mais par rapport aux salariés et à leurs attentes, quelle est la logique d’avoir une concurrence entre des syndicats?

Les raisons sont historiques?

Oui, évidemment. Mais, aujourd’hui, en voyant qu’on a un patronat de plus en plus unifié, un gouvernement par définition unifié, on ne peut se permettre une division. Pour nous, c’est clair, il faudrait un seul syndicat. Dès lors, il faut espérer que les élections vont renforcer le premier syndicat que nous sommes pour pouvoir relancer des discussions sérieuses autour de ce syndicat unique. D’ailleurs, c’est un objectif qui a été fixé dans les statuts . Mais le LCGB n’était pas prêt à venir avec nous, et cela n’a pas changé. Mais ce qui s’est passé, c’est que l’OGBL s’est renforcé et est devenu, comme l’a dit l’historien Denis Scuto, une success-story. Mais, success-story ou pas, je reste critique par rapport à cela, car il y a encore bien du chemin à faire, et des défis énormes face à nous.

Le patronat est, pour sa part, de plus en plus uni...

«Cela s’est déjà vu lors des très difficiles négociations de la loi sur le temps de travail. Et on risque de connaître encore cela dans les années à venir. Cela se voit dès que l’on veut discuter d’une convention collective. Et cela se verra quand on discutera de questions fondamentales, comme les types de contrats, on sera face à un patronat bien campé sur ses positions, c’est clair.

Nous sommes pour un État social fort, qui doit donc avoir des moyens financiers forts.

André Roeltgenprésident de l’OGBL

Dans quel état est la société luxembourgeoise?

«Il y a une augmentation des inégalités au niveau de la première répartition, c’est-à-dire des entreprises, avec des différences entre le salaire par rapport à la productivité. Il y a aussi des inégalités qui se creusent entre ceux qui sont au bas de l’échelle et les autres, d’où notre demande d’une hausse de 10% du salaire minimum. On a obtenu une petite victoire avec le 0,9% du gouvernement, mais ce n’est pas assez. Mais il y a aussi la seconde répartition. L’OGBL est pour un État social fort au niveau de la santé, de l’éducation... Mais pour avoir un État social fort, il a besoin de moyens financiers forts. Or, on a de plus en plus d’inégalités au niveau de la fiscalité.

Un exemple?

«Le gouvernement ne fait pas le bon choix politique en baissant à nouveau les taux d’affichage au niveau des entreprises. On est aussi encore trop loin d’une équité entre fiscalité, revenus du travail et revenus du capital.

Les tensions sociales sont cependant moins fortes au Luxembourg que dans d’autres pays?

«On a sans doute une marge de manœuvre plus élevée et les tensions sont donc en effet sans doute moins fortes. Mais l’erreur serait d’ignorer les problèmes.

Une source d’inégalité, selon l’OGBL, tient aussi au logement...

«Le grand problème, c’est la spéculation. La répartition des terrains au Luxembourg est de plus en plus inégale. On sait tous qui a les moyens de spéculer... J’ai revendiqué il y a trois ans, ou quatre, que le gouvernement fasse une étude sérieuse par rapport aux directives et notre Constitution, afin de savoir ce qu’il est possible de faire pour bloquer la spéculation. Car il y a un intérêt général par rapport à un marché qui n’est pas libre, car les terrains sont limités.

L’acte de coalition prévoit cela...

«Cela ne va pas assez loin. Il y a des signes, mais trop modestes. Il faut s’attaquer à cela, notamment au niveau de l’impôt foncier qui devrait être progressif: plus on a de terrains, plus on a une progression de l’imposition.

Le mur des pensions? Il n’existe pas. Si un jour il y a un problème, il y aura un choix politique à faire et c’est cela qui compte.

André Roeltgenprésident de l’OGBL

Un autre sujet de préoccupation tient aux pensions. Quel est votre point de vue sur ce qu’on appelle «le mur des pensions» vers lequel certains disent que l’on fonce?

«Ce ‘mur des pensions’, on en parle depuis les années 80, et on en reparle régulièrement. Moi, je le dis, le problème ne se pose pas, car notre système se fait par répartition et est lié à des choix politiques. Les lobbies à l’œuvre cherchent quoi? Primo, à encourager une assurance de type privée, commerciale, aux dépens de l’assurance solidaire. Secundo, à empêcher toute augmentation des cotisations sociales.

Ils veulent même les baisser, alors qu’elles sont déjà très basses. Or, on a une très grande marge de manœuvre avec les cotisations. Pour l’OGBL, ne pas s’attaquer aux pensions est une ligne rouge. Par contre, d’accord pour trouver des moyens alternatifs de les financer. Si un jour, il y a un problème, cela tiendra à un choix politique: tout le monde doit-il avoir oui ou non une bonne pension? C’est cela qui compte. On est évidemment contre une baisse des pensions, contre des attaques fortes comme cela a eu lieu dans d’autres pays, comme en Allemagne. Cela ne peut pas être la logique d’une société progressiste.

La digitalisation est aussi un enjeu central de la campagne...

«Et durant cette campagne, on pourrait presque croire que c’est un syndicat concurrent qui l’a inventée cette digitalisation. Ce qui compte vraiment, c’est l’évolution du travail par rapport aux nouvelles technologies. Le mot ‘digitalisation’, je ne l’aime pas, car il cache plein de choses: la qualification, l’organisation des conditions de travail, la protection des données, le télétravail, la productivité générale, les salaires... Tout cela a un potentiel positif, mais qui peut aussi être un potentiel très négatif.

Je lance un appel au patronat pour que le dialogue se renforce entre nous.

André Roeltgenprésident de l’OGBL

Le dialogue social existe-t-il encore au Luxembourg?

«Oui, je le pense bien. Sans cela, on ne pourrait conclure 200 conventions collectives par an. Mais on peut avoir des conflits, cela s’est vu dans le domaine de la santé ou le secteur de la construction. Au niveau national, il y a peut-être plus de difficultés. De là mon appel au patronat: il faut, au niveau national, que le dialogue se renforce. La négociation doit fonctionner à nouveau, mais aussi il doit être prêt à négocier certaines choses et cesser certaines attaques. Par exemple, au niveau de l’indexation des salaires, certains l’ont compris côté patronal, d’autres pas.

Il faut de nouveaux accords, une autre manière de négocier?

«Il faut se récréer un nouveau modèle luxembourgeois. On l’avait dans le temps par rapport à certaines situations. Face aux nouveaux défis, dans l’intérêt de tous, il faut de nouvelles discussions sociales entre des parties qui se donnent pour objectif de trouver des accords. Le seul accord trouvé au cours de la dernière législature était le compte épargne-temps, le fruit d’un vrai compromis.

Les frontaliers semblent aussi au cœur de vos préoccupations?

«Pour l’OGBL, un salarié égale un salarié, peu importe sa nationalité et sa résidence. On a été à la pointe du combat pour les bourses d’études en leur temps. Maintenant, on travaille sur le transport. Il y a aussi l’abattement des frais de déplacement, qui va surtout concerner les frontaliers: pour nous, c’est un ‘no go’. L’OGBL se bat pour tous, y compris les frontaliers, en soulevant nombre de questions qui les concernent.»