Eric Centi, associé fiscaliste et leader du département fiscal dans le secteur financier, et Carole Hein, directrice fiscale. (Photo: Deloitte Luxembourg)

Eric Centi, associé fiscaliste et leader du département fiscal dans le secteur financier, et Carole Hein, directrice fiscale. (Photo: Deloitte Luxembourg)

En mars 2018, une refonte du texte de la convention fiscale entre le Luxembourg et la France a été effectuée. Cette convention entrera en vigueur après la ratification de celle-ci par les deux États concernés. Ce qui est déjà fait par la France. Le Luxembourg avance doucement, mais sûrement.

Dès mars 2018, la nouvelle convention fiscale entre le Luxembourg et la France a immédiatement entraîné de nombreux commentaires.

À commencer par les nouvelles règles d’imposition des fonds d’investissement immobiliers. Puis, sur la condition des résidents français travaillant au Luxembourg, entraînant un risque accru pour les frontaliers d’une imposition en France. De plus, cette mesure a été couplée à la modification des règles visant à éviter une double imposition, puisque la France appliquera désormais, avec la nouvelle convention fiscale, le système de crédit d’impôt.

Une modification pourtant substantielle de la convention, l’élargissement de la définition de la notion d’établissement stable, était passée relativement inaperçue, ce qui est d’autant plus étonnant au regard de son impact potentiel pour les acteurs de la Place, toutes industries confondues. En cas de reconnaissance d’un établissement stable dans un autre État, les profits générés par cet établissement stable sont déclarés, et donc taxés par l’État dans lequel est situé cet établissement stable, et donc au taux applicable dans cet État (33,33% pour la France, vs 24,94% au Luxembourg). Les critères de reconnaissance d’un établissement stable sont donc clé pour les acteurs luxembourgeois ayant des activités en France.

Une partie qui agit dans un pays exclusivement, ou presque, pour le compte d’une partie liée ne sera plus autorisée à utiliser le terme d’‘agent indépendant’.

Eric Centiassocié fiscaliste et leader du département fiscal dans le secteur financierDeloitte Luxembourg

Jusqu’à présent, ces critères étaient plutôt classiques, puisqu’ils consistent en une installation fixe d’affaires par laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité dans un autre État et/ou une personne qui a, et exerce habituellement le pouvoir de conclure des contrats au nom de l’entreprise dans cet autre État.

La définition d’établissement stable s’élargit fortement avec la nouvelle convention, puisque le seul concept formel de la signature d’un contrat à l’étranger est remplacé par un concept plus économique corroboré par un faisceau d’indices lié aux responsabilités réelles de commerciaux/d’employés basés à Luxembourg qui distribuent des produits en France via la libre prestation de services.

En outre, une partie qui agit dans un pays exclusivement, ou presque, pour le compte d’une partie liée ne sera plus autorisée à utiliser le terme d’«agent indépendant», auparavant exclu de la définition d’un établissement stable. Si, aujourd’hui, un commercial d’une entreprise luxembourgeoise censé exercer une activité de prospection en France, corroboré par un contrat signé au Luxembourg, ne constitue pas un établissement stable en France, il pourra l’être demain si l’on considère qu’économiquement, ce commercial joue habituellement un rôle principal et de manière routinière dans la conclusion d’un contrat sans modification importante apportée par l’entreprise luxembourgeoise.

La France est une zone géographique clé pour la distribution des produits luxembourgeois.

Carole Heindirectrice fiscaleDeloitte Luxembourg

On peut raisonnablement s’attendre à une attention particulière des autorités fiscales françaises sur le modèle opérationnel utilisé par les acteurs luxembourgeois afin de faire reconnaître un établissement stable en France, et permettre donc une imposition en France des profits (à 33,33%) réalisés par ce dernier. Elles pourront vérifier des données pratiques en plus de la documentation formelle disponible au Luxembourg, comme des notes de frais en France, le nombre de cartes de démarchage permettant à des commerciaux luxembourgeois d’approcher de la clientèle française, ou encore des informations relayées par les commerciaux sur les réseaux sociaux.

La France est une zone géographique clé pour la distribution des produits luxembourgeois. De ce fait, afin d’être préparés, les acteurs luxembourgeois, qu’ils soient assureurs, banquiers ou gestionnaires de fonds, doivent dès à présent confronter leur modèle opérationnel actuel aux exigences formulées par le nouveau traité pour en évaluer le risque existant et son impact financier.

De plus, cette analyse leur permettra d’identifier les actions requises afin d’être en ligne avec les nouvelles exigences du traité et d’appréhender en connaissance de cause les éventuelles demandes d’information/positions fiscales provenant des autorités fiscales françaises qui pourront intervenir dès janvier 2020, soit dans moins de six mois…