L’investissement durable semble ne pas être touché par les différentes crises que traverse le monde. (Illustration: Shutterstock)

L’investissement durable semble ne pas être touché par les différentes crises que traverse le monde. (Illustration: Shutterstock)

L’investissement responsable ne connaît pas la crise. L’an dernier, ce type de placement a offert des rendements supérieurs à la moyenne, alors que l’Europe contribue à sa pérennisation en lui offrant un cadre réglementaire plus clair.

La tendance est indéniable. Aujourd’hui, pour être dans l’air du temps, il faut s’intéresser aux investissements responsables. Plusieurs facteurs contribuent à cet élan vers une finance plus durable, où les seuls critères financiers ne suffisent plus à satisfaire l’appétit des investisseurs. «On assiste à une réelle prise de conscience de l’importance d’intégrer des critères plus durables dans la sélection des investissements, et la banque privée a un rôle important à jouer dans ce domaine, constate Anne-Sophie Minaldo, partner au sein du département Consulting & Regulatory Services et head of corporate citizenship de KPMG Luxembourg. La nouvelle génération, composée de ces high net worth millennials dont la fortune est le résultat de leurs 20 premières années de travail, a une conscience accrue des enjeux écologiques et sociaux. Ces personnes, qui sont souvent des entrepreneurs, des cadres dirigeants, ont un fort appétit pour des produits financiers qui leur donnent une certaine satisfaction, qui correspondent à leurs valeurs et qui permettent d’avoir un impact sur l’économie réelle.»

L’effet accélérateur de la crise

Cette prise de conscience s’est d’autant plus accélérée ces derniers mois que la crise sanitaire a mis en lumière l’importance de repenser les priorités et de donner davantage de sens aux investissements pour reconstruire un monde plus durable, plus résilient, plus inclusif. «Auparavant, nos clients cherchaient la performance et ne s’intéressaient pas aux produits dits ‘sustainable’, mais on assiste à un changement de paradigme. La tendance se dessinait progressivement, mais la crise actuelle a clairement mis en exergue l’urgence climatique et l’impact sociétal, mais aussi économique, de nos comportements et de nos choix passés», relève Laurent Simeoni, head of portfolio management au sein d’ING Luxembourg. Surtout, l’excuse selon laquelle ces investis­sements n’auront d’intérêt que lorsqu’ils deviendront rentables ne tient plus la route. «On a souvent entendu ce discours de la part de gestionnaires d’actifs. Mais le monde entier s’est rendu compte qu’au plus fort de la crise, les produits durables intégrant des critères ESG ont bien mieux tenu le choc, précise Anne-Sophie Minaldo. Peut-être affichent-ils un niveau de performance moins rapide. Peut-être ne permettent-ils pas des entrées et des sorties sur une période courte, mais si l’on se place dans un cycle d’investissement plus noble de cinq à sept ans, la performance est très souvent au rendez-vous.»

L’Union européenne donne le ton

Les chiffres sont là pour attester de cette performance. «Selon Morningstar, au mois de mars 2020, lors de la chute brutale des marchés en lien avec la situation sanitaire du Covid-19,­ 62% des fonds respectant les critères ESG ont enregistré de meilleures performances que l’indice boursier MSCI World, qui agglomère les plus grandes sociétés mondiales, détaille Vincent Villebesseix, directeur BGL BNP Paribas Banque Privée. Au sein de notre établissement, les gestions discrétionnaires intégrant le plus fortement les critères ESG ont généré une surperformance par rapport aux gestions traditionnelles depuis leur mise en place. Sur ces trois dernières années, l’écart de performance s’est accentué, en partie sous l’effet de la crise du Covid-19. En moyenne annuelle, ces mandats dans les profils conservateurs, équilibrés et dynamiques ont surperformé par rapport à leurs équivalents traditionnels, de respectivement 0,5%, 1,7% et 2% depuis trois ans.»

Au-delà de la performance, l’analyse ESG amène un éclairage différent et complémentaire dans l’analyse du risque des solutions d’investissement, en identifiant les risques de non-conformité avec des normes sanitaires et les risques environnementaux ayant potentiellement un impact sur les opérations et la réputation des entreprises. Promou­voir une gouvernance d’entreprise solide, protéger l’environnement et encourager la mise en place de normes sociales élevées sont donc des questions qui occupent l’esprit de nombreux investisseurs à travers le monde entier.

Ce mouvement est fortement soutenu par l’Union européenne. Dans le prolongement du Green Deal, la Commission a posé l’an dernier les premiers jalons de son plan d’action en faveur d’une finance plus durable. Environ 180 milliards d’euros d’investissement supplémentaires par an seront nécessaires pour que l’UE puisse atteindre les objectifs 2030 fixés lors du sommet de Paris, comprenant une réduction de 40% des émissions de gaz à effet de serre. Le Green Deal va encore plus loin, puisqu’il veut faire de l’Europe le premier continent climatiquement neutre à l’horizon 2050. C’est pourquoi, sur la base des recommandations formulées par le groupe d’experts à haut niveau sur la finance durable, la Commission a présenté une feuille de route destinée à dynamiser le rôle de la finance dans la mise en place d’une économie qui, tout en étant performante, servirait les objectifs environnementaux et sociaux.

L’impact du règlement SFDR

Pour être considérée comme durable et alignée avec la taxonomie européenne, une activité doit désormais contribuer substantiellement à au moins un des six objectifs environnementaux fixés et ne nuire à aucun d’eux. On le voit, pour l’heure, l’investissement durable est essentiellement axé sur l’aspect climatique, au détriment de la gouvernance et du social. «Les priorités diffèrent selon les continents. En Europe, les questions liées au changement climatique sont au cœur de l’actualité. Aux États-Unis, les discussions vont tourner autour de l’accès à une énergie plus propre à des coûts acceptables. En Asie, c’est la promotion d’une croissance inclusive, au profit de tous, qui est sur la table. On touche ici à des valeurs fondamentales, qui varient en fonction de nos cultures et de l’éducation reçue», constate Anne-Sophie Minaldo.

La réglementation SFDR oblige les banques privées à revoir complètement les produits proposés sur le marché.
Laurent Simeoni

Laurent SimeoniHead of portfolio managementING Luxembourg

Aujourd’hui, l’intégration des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) au sein de toutes les formes de gestion, que l’on parle de gestion conseillée ou de gestion sous mandat, ne peut pas être considérée comme une option pour une banque privée, mais bien comme un élément central de l’offre financière proposée. Et là encore, l’Union européenne trace le cadre. «Certaines dispositions du règlement européen (UE) 2019/2088 dit ‘Sustainable Finance Disclosure Regulation’ (SFDR) sont entrées en application ce 10 mars 2021, note Laurent Simeoni. Cette réglementation est une bonne chose, mais elle vient changer la donne et oblige les banques privées à revoir complètement les produits qu’elles proposent sur le marché. Les critères ESG ne peuvent pas être un argument marketing, mais une réalité dans les processus d’investissement des gérants d’actifs.»

L’une des premières mesures réglementaires est de décrire et d’expliquer dans les documents précontractuels la stratégie d’investissement durable et la façon dont les gérants d’actifs intègrent les risques de durabilité dans leurs décisions d’investissement. «Ces informations en matière de durabilité demandées par le règlement SFDR doivent être prises en compte, tout d’abord au niveau des sociétés de gestion, par une publication sur leur site internet d’informations portant notamment sur la politique relative au risque de durabilité, de rémunération et de déclaration de performance extrafinancière, en distinguant celles qui emploient plus de 500 salariés et les autres, précise Laurent Simeoni. Ensuite, au niveau des produits financiers, les prospectus doivent décrire le risque de durabilité, les incidences négatives des décisions d’investissement en matière de durabilité, et donner des explications sur le respect de l’objectif de durabilité. Toutes les sociétés de gestion et les banques privées qui commercialisent les produits sont concernées par le règlement SFDR, même celles qui n’ont pas de stratégie durable. Elles devront expliquer leur position et la préciser dans la publication des informations.»

Pour une meilleure information du client

Aujourd’hui, la Commission européenne est clairement en train de donner une définition précise de ce que l’on peut appeler ISR. «Cette réglementation vient ‘normer’ et, par conséquent, accroître la professionnalisation de l’industrie, avec un strict cahier des charges. Elle impose également un certain nombre de règles de transparence, d’informations concernant notamment la façon dont les risques ESG sont intégrés dans les offres, ainsi que la mise en place de nouvelles politiques internes et des reportings spécifiques, ajoute Vincent Villebesseix. Nous travaillons actuellement sur le sujet, en lien avec le groupe BNP Paribas, qui a vocation à être à la pointe sur cette thématique afin d’intégrer les différents éléments réglementaires.»

Chez ING aussi, le domaine de la finance durable n’est pas subitement apparu sur les radars. «Jusqu’ici, chaque banque développait sa propre approche de l’investissement ISR et des critères ESG à prendre en compte, analyse Laurent Simeoni. Nous avons développé une expertise importante. Nous avons notamment travaillé au niveau macroéconomique pour dégager de grandes tendances du développement durable et sélectionner des univers d’investissement qui excluent certains secteurs ou sous-secteurs économiques. Par ailleurs, à travers notre système de scoring interne (système de notation, ndlr), plus de 8.000 sociétés ont par exemple reçu une cote en matière de durabilité. Pour nos mandats sustainable, nous constituons nos portefeuilles en privilégiant les sociétés les mieux notées dans leurs secteurs respectifs. L’ensemble de notre gamme actuelle va intégrer, à terme, des critères de durabilité. À horizon de cinq ans, il va devenir quasi impossible d’avoir du non-durable en portefeuille.»

Au-delà de cet aspect réglementaire, qui pousse à «verdir» les placements existants et à créer de nouvelles solutions, les banques privées doivent aujourd’hui s’adapter aux attentes de leurs clients, trouver les bonnes recettes et accompagner au mieux l’investisseur dans ses recherches. Le premier défi est ainsi d’aller chercher les bonnes informations auprès de prestataires externes qui réalisent des screenings réguliers et s’assurent que les sociétés émettrices répondent aux critères ESG. «Au-delà des aspects réglementaires, le défi pour les banques privées est d’être plus que jamais à l’écoute des investisseurs et de se donner les capacités de trouver les solutions d’investissement adéquates. Les sociétés de gestion vont elles-mêmes être attentives aux évolutions afin de répondre aux besoins exprimés. La banque privée a un rôle de garant à jouer dans cette aventure. En tant que banquier privé, il est désormais de son devoir d’éduquer et d’accompagner ses clients, de s’assurer que les produits proposés sont en cohérence avec les attentes du marché, précise Anne-Sophie Minaldo. La banque doit être capable de prendre du recul par rapport à ces différents enjeux, remettre les trois lettres d’ESG en perspective. Bien entendu, une société qui fait beaucoup de bien à l’environnement doit être soutenue, mais une entreprise moins verte ne doit pas être laissée de côté. Il faut, là aussi, l’accompagner dans sa transformation, en prenant conscience qu’à un horizon de moins de sept ans, il est difficile de s’inscrire dans une démarche durable.»

Place à la transparence

Depuis plusieurs années, le changement est en marche, et il s’accélère à un rythme soutenu. «Nous notons un poids croissant de ce type d’investissement dans le monde de la banque privée, ajoute Vincent Villebesseix. Les offres proposées et, parallèlement à cela, l’appétence et les souhaits des clients se sont fortement amplifiés sur cette thématique et rencontrent un franc succès. De plus en plus, les clients souhaitent avoir une transparence dans les investissements réalisés, une compréhension du contenu et un choix dans les thématiques d’investissement qui, a minima, excluent certains secteurs. Globalement, c’est toute l’industrie financière, des asset managers aux distributeurs – dont les banques privées –, qui a travaillé profondément ces dernières années pour se professionnaliser et enrichir l’offre.»

Chaque banque privée doit désormais construire sa propre stratégie en proposant des produits composés d’ingrédients plus ou moins durables. Au bout de cette chaîne de l’investissement responsable, on retrouve la notion d’impact investing, degré le plus élevé en matière de durabilité, qui s’accompagne d’une volonté explicite d’avoir un impact positif sur l’environnement et la société. «Cela reste un secteur de niche, explique Anne-Sophie Minaldo. Ce type d’investissement nécessite en effet d’aller au plus près du projet que l’on sou­haite financer, de l’accompagner pour en évaluer l’impact réel. On se situe davantage dans l’univers du private equity, qui nécessite un engagement fort de la part de l’investisseur ou du gestionnaire du fonds.»

Un geste fort, un impact avéré

À l’avenir, la notion d’impact pourrait toutefois prendre une dimension accrue dans les politiques d’investissement. «Pour notre activité de banque privée, nous avons développé une méthodologie éprouvée et robuste permettant de mesurer le degré de durabilité des investissements recommandés. Les critères utilisés sont propres à chaque classe d’actifs et ils permettent de positionner les produits sur une échelle unique de 0 à 10, que nous représentons par des trèfles, ajoute Vincent Villebesseix. Un investissement présente un niveau d’intégration de la durabilité satisfaisant lorsque les critères d’exigence obtiennent au moins 5 trèfles, et il est considéré comme produisant un impact réel et mesurable dans les domaines environnementaux ou sociaux lorsqu’il se classifie dans la zone la plus élevée de cette échelle. Selon notre méthodologie, une solution d’impact investing se verra attribuer les notes les plus élevées, à condition de réunir certains critères. L’intention d’impact doit porter sur des enjeux identifiés comme durables et répondant aux objectifs de développement durable de l’Onu. Ensuite, l’impact doit être mesurable, mesuré et faire l’objet d’un rapport.

Cette méthodologie a pour avantage de pouvoir comparer tous les instruments financiers entre eux (fonds, actions, obligations, etc.), de déterminer un score global et de proposer des alternatives pour, in fine, aligner le portefeuille avec les objectifs de durabilité de nos clients.»

L’investissement socialement responsable (ISR), intégrant le respect des valeurs éthiques, de protection de l’environnement, d’amélioration des conditions sociales et de bonne gouvernance, attire de plus en plus l’intérêt des investisseurs. Jusqu’ici, l’une des idées fortement ancrées dans les esprits était que l’investissement durable se faisait au détriment du rendement financier. Ce premier frein psychologique n’a plus lieu d’être aujourd’hui. Plusieurs études ont été menées sur le sujet, et la crise sanitaire est venue le confirmer, il n’existe pas de lien significatif entre ISR et performance réduite. Bien au contraire. Ainsi, le choix de l’éthique ne générerait ni coût ni bénéfice pour l’investisseur d’un point de vue global. Aussi, en réaction à la crise sanitaire et économique du Covid-19, l’intérêt des investisseurs pour les stratégies ESG et d’investissement d’impact s’est accéléré. Et ce n’est qu’en investissant davantage de capitaux dans des investis­sements responsables que les clients de la banque privée pourront contribuer positivement au financement de solutions aux problèmes du monde. Et les défis à relever sont innombrables…

Cet article a été rédigé pour  qui est paru le 25 mars 2021.

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