Le grand patron de PwC, Bob Moritz, était au Luxembourg cette semaine dans le cadre de l’ICT Spring. (Photo: Matic Zorman)

Le grand patron de PwC, Bob Moritz, était au Luxembourg cette semaine dans le cadre de l’ICT Spring. (Photo: Matic Zorman)

Le global chairman de PwC, l’Américain Bob Moritz, était au Luxembourg cette semaine dans le cadre de l’ICT Spring et pour rencontrer les équipes luxembourgeoises de PwC. Dans un long entretien, il confie à Paperjam sa vision des affaires dans un monde en évolution très rapide.

La vague mondiale de digitalisation est-elle en train de révolutionner les métiers de PwC?

Bob Moritz. – «Je parlerais plutôt d’évolution. Le travail reste en grande partie le même. Ce qu’il faut apprendre désormais, c’est à combiner les nouvelles technologies avec les aspects humains de nos métiers. Après avoir pris la décision, il y a quatre ans, d’être une entreprise orientée technologies, nous sommes occupés à revoir nos processus en fonction.

Cette démarche demande trois actions: former l’ensemble de notre personnel aux évolutions technologiques; apprendre à tirer le meilleur profit des données dont nous disposons en introduisant, notamment, l’intelligence artificielle au sein de l’entreprise; voir comment améliorer les analyses de nos experts grâce aux technologies. Au final, c’est encore l’humain qui va continuer à primer.

Développez-vous les technologies en interne ou bien procédez-vous par acquisitions?

«Les deux en fait. Nous avons développé de la propriété intellectuelle en interne en nous basant sur les connaissances et les expériences de nos équipes. Mais nous achetons ou louons également des brevets auprès de diverses entreprises. Certaines des technologies que nous avons développées ne sont d’ailleurs pas si éloignées d’autres innovations réalisées dans des domaines tout à fait différents.

Nous devons rester un allié précieux pour nos clients.
Bob Moritz

Bob Moritzglobal chairmanPwC International 

Aujourd’hui, par exemple, nous essayons de développer des méthodologies pour mieux détecter la fraude à partir de l’intelligence artificielle. Or, ces méthodes peuvent aussi être utilisées en médecine pour essayer de détecter le cancer, mieux et plus rapidement.

Au-delà de la digitalisation, quels sont les autres grands défis qu'un réseau comme PwC doit pouvoir relever actuellement?

«J’en vois surtout deux. Premièrement, nous devons rester un allié précieux pour nos clients. Beaucoup de CEO nous disent que, vu le rythme du changement actuellement, ils ressentent de plus en plus de difficultés à mener à bien leur stratégie. Et ils éprouvent des difficultés à accéder aux compétences nécessaires pour assurer leurs missions. De notre côté, nous devons donc nous assurer de disposer des bonnes ressources et des technologies adéquates pour leur apporter notre expertise.

Le second défi est de s’assurer que la profession continue à être correctement respectée. Dans certains pays, la perception publique de ce que nous faisons n’est pas adéquate. C’est notamment le cas au Royaume-Uni où les médias, le public, les politiciens et le régulateur formulent des recommandations sur une amélioration de notre profession. Certaines sont appropriées et permettront d’améliorer la qualité, alors que d’autres pourraient avoir l’effet inverse. Mais nous gardons en permanence en tête le souci de l’amélioration et nous visons la perfection.

Nous gardons en permanence en tête le souci de l’amélioration et nous visons la perfection.
Bob Moritz

Bob Moritzglobal chairmanPwC International 

Certains partis politiques, au Royaume-Uni justement, réclament la séparation des activités des Big 4. Quelle est votre réaction par rapport à cette idée? Pensez-vous que d’autres pays risquent d’embrayer sur cette revendication?

«Les enquêtes menées au Royaume-Uni par rapport à notre profession n’ont pas vraiment d’écho dans le reste du monde. Je pense surtout qu’elles sont liées à l’environnement politique actuel dans le pays. Cette séparation des métiers risquerait de s’avérer contre-productive. L’expérience que nous accumulons dans les différents métiers est essentielle pour nous permettre de formuler la meilleure réponse à nos clients.

Notre panoplie de métiers nous permet aussi de traverser les différents cycles économiques. Je ne suis donc pas d’accord avec la recommandation de démanteler les entreprises. Je pense surtout que nous devons rester concentrés sur les grands problèmes et tenter d’y apporter des solutions. Le rôle d’un régulateur puissant me semble plutôt être de s’assurer que nous réalisons les bons investissements pour minimiser les risques de qualité.

Il y a vingt ans, on parlait des Big 5, voire des Big 6. Pensez-vous qu’il y ait encore de la marge pour des fusions dans le monde des Big 4?

«Je ne pense pas que les Big 4 puissent encore devenir moins nombreux qu’ils ne le sont aujourd’hui. Il faut pouvoir permettre un choix suffisant, les autorités de la concurrence dans de nombreux pays se penchent sur ces questions afin d’éviter des abus. Je pense surtout que nos challengers doivent continuer à investir pour obtenir l’envergure, l’expertise et les capitaux nécessaires afin de pouvoir élargir leurs services.

Mais notre business se fait à une échelle tellement large qu’ils doivent rapidement s’assurer qu’ils ont l’expertise et les moyens financiers pour opérer à un niveau global. Nous dépensons par exemple des millions de dollars pour protéger nos données et celles de nos clients contre d’éventuelles cyberattaques. Un challenger a-t-il les moyens d’en faire autant?

Bob Moritz et John Parkhouse, CEO de PwC Luxembourg. (Photo: Matic Zorman)

Bob Moritz et John Parkhouse, CEO de PwC Luxembourg. (Photo: Matic Zorman)

Au Luxembourg, avec environ 2.800 employés, vous êtes un des plus grands employeurs du pays. Est-ce une situation exceptionnelle par rapport à votre position dans d’autres pays?

«En tant que numéro un ou deux de notre secteur dans la plupart des pays où nous sommes présents, nous nous situons parmi les plus grandes entreprises du pays en termes d’emplois. C’est un grand privilège, mais aussi une grande responsabilité. Nous estimons donc nécessaire, en plus des services que nous fournissons à nos clients, de rendre aussi des services envers le pays qui nous accueille.

En Inde, par exemple, nous ne sommes pas la plus grande entreprise, mais nous sommes une de celles qui offrent la plus grande contribution au pays. Et, ceci dit, dans un monde qui bouge à la vitesse que l’on connaît aujourd’hui, ce n’est pas toujours le plus grand qui survit. C’est celui qui sait réagir le plus rapidement, le plus agile à saisir les opportunités et réduire les menaces.

Dans le langage business, le terme «agilité» est devenu un véritable buzzword. Vous considérez-vous également comme une entreprise «agile»?

«Absolument. Nous n’aurions jamais pu survivre et prospérer pendant 170 ans si nous n’avions pas appris à réagir aux exigences du marché qui nous sont imposées. Être agile signifie être capable de réagir à des environnements changeants, tout en restant efficient en vous transformant autant qu’il est nécessaire. C’est ce que l’on remarque dans les entreprises aujourd’hui. Si l’on regarde notre portefeuille de clients, on voit que ceux qui ont le plus de succès sont ceux qui peuvent se transformer le plus rapidement et se disrupter eux-mêmes avant de l’être par l’environnement changeant des affaires.

Chez PwC, nous procédons de cette manière. Nous investissons des centaines de millions de dollars dans l’amélioration des compétences de nos propres effectifs parce que nous savons que les anciennes méthodes pour faire du business seront rapidement obsolètes.

Bob Moritz s’adressant aux équipes de PwC Luxembourg mercredi. (Photo: Matic Zorman)

Bob Moritz s’adressant aux équipes de PwC Luxembourg mercredi. (Photo: Matic Zorman)

Votre récente enquête mondiale sur les CEO, qui date du début de cette année, montre qu’ils affichent un plus grand pessimisme qu’il y a deux ans. Estimez-vous qu’il est justifié?

«Nous constatons en effet un pessimisme croissant. Il existe plus d’inquiétudes qu’auparavant quant à la capacité des organisations à s’adapter à l’environnement économique actuel. Les grands patrons sont moins confiants dans l’environnement économique et dans leurs propres capacités. À la fin de l’année 2018, ils ont ressenti beaucoup d’inquiétude sur les marchés et cela s’est reflété dans l’enquête.

Je pense effectivement que nous assistons à un ralentissement de l’économie. Mais, même dans ce contexte, il reste des opportunités pour ceux qui travaillent extrêmement bien. Ceux qui sont capables d’apporter une expérience client différenciée et qui peuvent tirer parti de la technologie pour plus d’efficacité et d’efficience.

Il reste des opportunités pour ceux qui travaillent extrêmement bien.
Bob Moritz

Bob Moritzglobal chairmanPwC International

Pensez-vous, comme on l’entend souvent en ce moment, que l’économie globale se dirige vers une nouvelle récession?

«Les économies ralentissent, mais actuellement, je ne vois pas de risques réels d’une récession. Au niveau de l’économie mondiale, on perçoit encore de nombreux signaux positifs. Bien sûr, certains pays, comme le Venezuela par exemple, vivent des moments compliqués, mais de manière générale l’environnement reste favorable.

Le défi sera de pouvoir faire face à une plus grande volatilité, à un environnement plus concurrentiel et plus compliqué, avec des pressions sur les marges et le coût pour les talents qui s’accroît. En même temps, vous devez investir de manière plus conséquente pour transformer votre organisation. Les grands leaders devront donc faire face à de réels challenges.

Et de votre côté, quel est votre secret pour gérer un réseau d’une telle envergure?

«Premièrement, il faut être bien connecté afin de comprendre les intérêts de toutes les parties prenantes. Je dois également être bien au courant de ce qui se passe dans de nombreux pays. Il ne s’agit pas seulement de maîtriser le contexte des quatre plus grands marchés. Il faut donc être branché en permanence, disposer d’yeux et d’oreilles qui vous rapportent de l’information.

Et vous ne pouvez pas non plus imaginer faire votre travail depuis votre bureau. Je voyage 85% de mon temps, je ne rentrerai probablement pas à New York avant trois ou quatre semaines. En plus, et ce n’est pas la moindre difficulté, vous devez chaque fois pouvoir vous adapter à des publics différents, leur délivrer des messages qui résonnent intellectuellement et émotionnellement à leurs oreilles. Les gens que vous voulez convaincre de changer ont tous leur propre mode de pensée.»