Dans la vidéo «Slip of the Line» (2018) d’Anri Sala, un magicien vient perturber une chaîne de production de verres. (Photo: Courtesy de l’artiste et Galerie Chantal Crousel, Paris)

Dans la vidéo «Slip of the Line» (2018) d’Anri Sala, un magicien vient perturber une chaîne de production de verres. (Photo: Courtesy de l’artiste et Galerie Chantal Crousel, Paris)

L’artiste Anri Sala explore depuis plus de 20 ans les glissements qui existent entre arts plastiques et musique, ainsi que leur relation à l’espace d’exposition, tout en prenant en compte l’histoire, le temps. «Le Temps coudé» rassemble plusieurs œuvres récentes à découvrir au Mudam.

C’est une star internationale de l’art contemporain qu’accueille actuellement le Mudam. Anri Sala a déjà réalisé de nombreuses expositions à travers le monde et représenté la France à la Biennale de Venise en 2013. Cet artiste, né en 1974 à Tirana, n’a de cesse d’explorer les glissements entre différents médiums.

La notion de motif, tant visuel que musical, traverse l’exposition «Le Temps coudé», présentée au Mudam. Il est aussi question de distorsion dans l’espace et le temps. Autant dire que l’œuvre d’Anri Sala ne peut se découvrir autrement qu’in situ, car sa présentation est intimement liée à l’espace architectural de son lieu de présentation.

Au Mudam, où les grands volumes des salles se prêtent à merveille à l’exposition de ces œuvres, plusieurs installations et vidéos sont proposées, ainsi qu’une série de dessins. 

L’artiste explique lui-même le titre de son exposition ainsi:

«C’est une œuvre de l’expérience», précise , directrice du Mudam. «Une expérience physique, corporelle de l’œuvre puisqu’elle suscite notre ouïe et notre vue, mais aussi une expérience esthétique, émotionnelle et intellectuelle. C’est aussi une invitation à porter une réflexion sur le temps, sur notre propre interprétation des choses, et à penser autrement.»

Dans le grand hall, les visiteurs sont accueillis par «All of a Tremble (Delusion/Devolution)» (2017), une installation qui transforme un motif visuel de papier peint en son puisque le rouleau du motif à peindre devient le support d’une boîte à musique. L’image devient musique, nos sens se troublent.

Dans le pavillon Leir, «The Last Resort» (2017) met en scène 38 caisses claires suspendues «tête en bas» qui s’animent sur un «Concerto pour clarinette» de Mozart dont le tempo a été altéré, entre autres modifications, selon la description des variations de vent faite lors d’un voyage en bateau entre l’Europe et l’Australie au 19e siècle. Ici, histoire et musique sont entremêlées pour mieux mettre en exergue les processus de la colonisation.

À l’étage, les vidéos sont à l’honneur. Le motif de la courbe est littéralement lisible dans l’œuvre «Slip of the Line» (2018), où l’intervention d’un magicien dans la chaîne de production de verres provoque volontairement un faux pas, une courbure à cette chaîne si bien organisée habituellement. «Take Over» (2017) confronte deux hymnes célèbres, la Marseillaise et l’Internationale, dont les histoires politique et culturelle s’entremêlent. Projetée sur deux écrans courbes, la vidéo dévoile un pianiste qui «lutte» avec un piano mécanique, chacun interprétant une des hymnes et essayant de se faire entendre.

Le motif de la courbe se retrouve aussi dans une série de dessins qui introduisent la notion de distorsion dans l’espace, de manipulation de nos terres, la contrainte et l’altération imposées à des territoires pour répondre à de nouvelles formes inspirées par des gravures représentant des espèces de poissons. Une dénonciation des tentatives européennes de rationaliser les contours du monde.

«Untitled (Giant Ray/Myanmar)», 2019 (Photo: Courtesy de l’artiste et Marian Goodman Gallery)

«Untitled (Giant Ray/Myanmar)», 2019 (Photo: Courtesy de l’artiste et Marian Goodman Gallery)

Il faudra prendre un peu plus de temps pour appréhender l’œuvre «The Present Moment» (2014), pour laquelle les visiteurs sont invités à écouter «La Nuit transfigurée» d’Arnold Schönberg, mais selon une partition transformée, puisque Anri Sala y a introduit le principe de la musique dodécaphonique inventé par Schönberg lui-même, mais 20 ans plus tard par rapport à la date de composition de l’œuvre ici choisie. Cette œuvre est donc une interrogation sur la notion de présent en musique, mais aussi d’interprétation.

Enfin, «If and Only If» (2018) ne manque pas de faire sourire, puisqu’un violoniste doit ralentir le tempo de son interprétation de l’«Élégie pour alto seul» d’Igor Stravinsky afin de correspondre à la course lente d’un escargot positionné de manière hasardeuse sur l’archet du musicien.