Claire Leonelli et Claire Denoual Photo : /c law

Claire Leonelli et Claire Denoual Photo : /c law

Le législateur européen vient d’adopter une série de règles destinées à protéger les professionnels qui utilisent des plateformes en ligne conçues sur le modèle des marketplaces ou de l’uberisation pour trouver leurs clients.

Popularisé il y a quelques années par Maurice Lévy et entré dans le dictionnaire en 2017, le terme «uberisation» désigne, de manière générale, les nouveaux modèles de l’économie numérique consistant essentiellement à mettre en relation des particuliers avec des particuliers (CtoC) ou des professionnels avec des consommateurs (BtoC). Si le principe de pareille intermédiation n’est pas nouveau – rappelons-nous des petites annonces publiées par tout un chacun dans les journaux, leur effet disruptif sur les canaux classiques de l’économie inhérent à leur dimension numérique l’est.

D’aucuns saluent ces nouveaux modèles comme permettant un mouvement de libération des salariés et une augmentation du pouvoir d’achat des consommateurs, d’autres y voient un risque de dilution des acquis sociaux et une menace déloyale à l’encontre des commerces traditionnels.

Le législateur européen n’a pas entendu s’immiscer dans ce débat et préféré un autre angle d’attaque: celui de la relation Platform to Business (PtoB).

On connaissait le BtoC (Business to Consumer), le BtoB (Business to Business), on découvre maintenant le PtoB (Platform to Business)

Le nouveau règlement européen n°2019/1150, adopté le 20 juin 2019, part du constat que les professionnels qui recourent à des plateformes en ligne de mise en relation avec des clients potentiels sont en situation de faiblesse face à des conditions générales qui leur sont imposées sans possibilité de négociation. La logique suivie est alors similaire à celle en place en matière de droit de la consommation, tout comme l’objectif poursuivi: rééquilibrer le rapport de force.

Les GAFA ne sont toutefois pas les seules concernées par ce nouveau règlement. Toute plateforme mettant en relation les professionnels et les consommateurs, quel que soit son objet, sa taille ou sa part de marché, devra s’y conformer.

Cela vise tout aussi bien les marketplaces, c’est-à-dire les sites eCommerce agissant pour le compte de tiers (Amazon, eBay, Rakuten, Letzshop, etc.), les sites de comparaison de prix ou de réservation (Tripadvisor, Kayak, Booking, etc.), les boutiques d’applications (Google Play, App Store, Galaxy Store, etc.) ou encore les médias sociaux réservés aux professionnels. Les nouveaux entrants sur ce type de modèle PtoB devront donc prendre en compte ces nouveaux paramètres. A contrario, les plateformes de mise en relation de particuliers (ex.: Blablacar, Airbnb, LeBoncoin, etc.) ou les sites eCommerce pour compte propre ne sont pas touchés.

Plus de 7.000 plateformes en ligne ou places de marché exerçant des activités dans l’Union européenne sont impactées par ces nouvelles règles qui entreront en vigueur le 12 juillet 2020.

Concrètement, en quoi consiste la protection offerte par ce nouveau règlement? Principalement, par plus de transparence.

La plateforme doit ainsi se doter de conditions générales claires, compréhensibles et facilement accessibles. Toute modification devra être notifiée au minimum 15 jours à l’avance afin de permettre aux vendeurs d’adapter leurs activités aux changements apportés, ou, le cas échéant, de résilier leur contrat.

Les principaux paramètres utilisés pour classer les biens et les services devront être communiqués aux vendeurs pour les aider à comprendre comment influer positivement sur leur classement.

Les places de marché qui agissent également comme vendeurs et non uniquement comme intermédiaires devront rendre publics les avantages éventuels qu’elles accordent à leurs propres produits par rapport à ceux d’autres vendeurs.

Le règlement vise également à mettre fin à certaines pratiques déloyales des plateformes en ligne, telles que la suspension soudaine des comptes utilisateurs ou le déréférencement.

Dorénavant, les plateformes en ligne devront très clairement définir les motifs de suspension ou de résiliation de leurs services au sein de leurs conditions générales d’utilisation. Elles ne pourront suspendre ou fermer le compte d’un vendeur sans raison claire lui ayant été notifiée précédemment ni possibilité de recours.

Enfin, partant du constat qu’à l’heure actuelle les vendeurs se retrouvent souvent bloqués sans pouvoir intenter de recours ou trouver de solution efficace et immédiate à leurs réclamations, le règlement prévoit que, sauf exception, les plateformes devront mettre en place un système interne et gratuit de règlement des litiges susceptibles de survenir entre la plateforme et les vendeurs professionnels (liés par exemple à un non-respect, par la plateforme, de ses conditions générales d’utilisation).

Le règlement entrera en vigueur à compter du 12 juillet 2020, ce qui laisse aux plateformes et à leurs juristes le temps de s’adapter. À compter de cette date, toute disposition des conditions générales d’utilisation qui ne serait pas conforme sera réputée nulle et non avenue. De quoi dissuader les éventuels récalcitrants!