Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg. (Photo: Maison moderne / archives)

Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg. (Photo: Maison moderne / archives)

Lors d’épisodes de volatilité accrue sur les marchés financiers, les investisseurs privilégient les devises qualifiées de «valeurs refuges» au détriment de monnaies plus risquées. Parmi celles-ci, sont souvent évoquées le yen japonais, le franc suisse ainsi que le dollar américain. Quelles sont les caractéristiques de ces devises qui leur confèrent le statut de valeurs refuges?

Le dollar américain jouit d’un statut inégalable dans le système monétaire international actuel. En plus d’être la devise la plus utilisée dans les transactions marchandes internationales, le dollar dispose également du statut de réserve de change. La qualité de crédit de l’État américain ainsi que la profondeur et la liquidité des marchés financiers américains sont des qualités indispensables pour pouvoir bénéficier de ce statut particulier. La demande pour des actifs peu risqués libellés en dollars reste soutenue. Par exemple, les pays exportateurs de pétrole dégageant une balance commerciale positive recyclent une grande partie de leurs réserves de change dans des actifs cotés en dollars. La Chine n’a que peu d’alternatives pour investir ses réserves de change de plus de 3.000 milliards de dollars. 

Deux autres devises moins utilisées que le dollar dans le commerce mondial peuvent être qualifiées de valeurs refuges: il s’agit du franc suisse et du yen japonais. La première caractéristique commune des économies japonaise et suisse est une inflation faible qui garantit le maintien du pouvoir d’achat de la monnaie. L’inflation érode en effet la valeur d’une devise, si bien que la monnaie d’un pays où la hausse des prix est importante ne peut pas s’apprécier durablement face à d’autres monnaies de pays à faible inflation. Au cours des 20 dernières années, la variation annuelle des prix au Japon et en Suisse a affiché en moyenne une progression largement inférieure à 1%.

Un investisseur qui prête à ces pays a une probabilité élevée que son capital soit remboursé à l’échéance de l’obligation.

Alexandre Gauthy

Un deuxième élément qui caractérise les devises jugées sûres est la position nette d’investissement du pays. En dégageant des surplus commerciaux importants dans les années 80 et 90 pour le Japon et depuis les années 2000 en ce qui concerne la Suisse, ces deux pays ont investi ces surplus d’épargne à l’étranger. Ils sont donc devenus d’importants créditeurs vis-à-vis du reste du monde. La somme de la balance commerciale et des revenus générés par ces actifs nets détenus à l’étranger est dénommée solde de balance courante.

En somme, il s’agit de flux rentrant naturellement dans le pays qui supporte la devise. Les Japonais et les Suisses détiennent des actifs importants investis à l’étranger. Lorsque la volatilité augmente sur les marchés mondiaux, les acteurs locaux japonais et suisses, en liquidant leurs positions en devises étrangères, rapatrient des capitaux dans leur pays, ce qui se traduit par une appréciation du cours du yen et du franc suisse.

Le troisième élément primordial qui définit ces monnaies sûres est la qualité de crédit du pays en question. Les agences de notation assignent aux États-Unis, à la Suisse et au Japon une note de crédit de grande qualité. Autrement dit, un investisseur qui prête à ces pays a une probabilité élevée que son capital soit remboursé à l’échéance de l’obligation.

Quant au dollar américain, il ne partage pas le deuxième point. Les États-Unis ont, au cours des dernières décennies, accumulé des déficits commerciaux significatifs, en important plus que ce qu’ils n’exportent. Les Américains ont donc eu recours à la production étrangère pour satisfaire leur besoin de consommation, ce qui s’est traduit par une balance commerciale chroniquement déficitaire et par une dette croissante vis-à-vis du reste du monde.