Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg. (Photo: Maison Moderne)

Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg. (Photo: Maison Moderne)

C’est devenu une réalité: la croissance économique ralentit cette année en zone euro et les risques à court et moyen terme persistent.

Lors de sa dernière conférence de presse, le président de la Banque centrale européenne semblait relativement confiant quant à la pérennité de la reprise économique actuelle. Il citait entre autres la vigueur de la demande interne.

Celle-ci reste soutenue, mais montre indéniablement des signes de fatigue. Dans ce contexte de ralentissement de la croissance, il est opportun d’étudier les outils à disposition des autorités publiques pour redynamiser l’activité économique. 

Lorsqu’une économie s’essouffle, les pouvoirs publics peuvent utiliser le levier fiscal en creusant les déficits budgétaires pour relancer l’économie. Or, les pays européens doivent respecter le pacte de croissance et de stabilité qui assigne une limite en termes de déficit annuel et qui préconise une trajectoire soutenable de la dette publique à moyen terme.

Il serait illusoire de penser que la politique fiscale en zone euro pourrait venir à la rescousse en cas de fort ralentissement économique.

Alexandre Gauthy, Degroof Petercam Luxembourg

L’Italie, en instaurant des politiques sociales comme un «revenu universel» et un abaissement de l’âge de départ à la retraite, va probablement voir son déficit budgétaire augmenter l’année prochaine. Même si son déficit public de 2019 ne devrait pas dépasser la limite de 3%, dans un contexte de faible croissance économique, la trajectoire future de l’endettement public pose problème.

Les mesures prises récemment par le gouvernement français afin de satisfaire les demandes des protestataires vont aussi dans le sens d’un déficit public plus important qu’initialement budgété. Cependant, il serait illusoire de penser que la politique fiscale en zone euro pourrait venir à la rescousse en cas de fort ralentissement économique.

Les taux d’endettement publics se trouvent déjà à des niveaux élevés et la Commission européenne scrute d’un mauvais œil tout accroissement des déficits. Une expansion des déficits budgétaires de ces deux pays ne sera pas perçue favorablement par les pays du nord tels que l’Allemagne et les Pays-Bas. Ces pays prônent la neutralité budgétaire et le désendettement public coûte que coûte. Dans ce sens, le relâchement des finances publiques en Italie et en France n’est pas de bon augure pour l’intégration européenne.

Dans un contexte de faible croissance économique, la trajectoire future de l’endettement public pose problème.

Alexandre Gauthy, Degroof Petercam Luxembourg

Sans allègement des contraintes fiscales par les pays peu endettés, la croissance économique de la zone euro devient fortement dépendante de la politique menée par la Banque Centrale européenne. Le cauchemar de la BCE serait que l’économie tombe en récession dans les prochaines années, à un moment où ses taux directeurs seraient toujours probablement à des niveaux très bas.

Lors des trois dernières récessions qui ont frappé la zone euro, l’institution a abaissé ses taux directeurs en moyenne d’à peu près 3%. Il n’est donc pas impossible que lorsque le prochain ralentissement sérieux se manifeste, la banque centrale recoure à des outils non conventionnels tels que des achats d’actifs ainsi qu’à des opérations de refinancement à bas coût pour les banques commerciales afin de maintenir le flux du crédit.

Il n’est pas anodin que le président de la banque centrale ait déclaré ce mois-ci que le programme d’achat de la BCE a contribué significativement à la reprise économique observée en zone euro depuis sa mise en place. Bien que sa décision puisse aller à l’encontre de la doctrine de certains pays, la Cour de justice de l’Union européenne a récemment jugé légal le recours de la banque centrale à cette politique de création monétaire visant à acheter des dettes publiques et d’entreprises, légalisant ainsi cet outil monétaire non conventionnel.

Dans un environnement où les taux d’endettement public sont préoccupants et où la banque centrale s’oriente petit à petit vers une sortie de sa politique monétaire expansionniste, les autorités publiques ne disposeraient sans doute suffisamment pas d’assez de marge de manœuvre contra-cyclique pour faire face à la prochaine récession.

Le destin de la région risque de devenir de plus en plus tributaire des décisions des banquiers centraux.

Alexandre Gauthy, Degroof Petercam

D’où l’importance de travailler sur les réformes structurelles ayant comme objectif de solidifier la résistance de la région face aux chocs économiques. Il s’agirait d’augmenter la compétitivité de certains pays membres à travers la recherche, la modernisation des équipements de production et la flexibilité du marché du travail, de renforcer la cohésion et l’intégration européenne, de mettre en place un budget de la zone euro digne de ce nom, etc.

Alors que l’année 2018 aurait dû être l’année d’avancement de ces réformes sous l’impulsion positive du président français et dans un contexte de croissance économique convenable, le sommet des ministres des Finances de la zone euro de juin dernier a dévoilé la divergence des points de vue entre les pays membres.

De plus, des évènements politiques comme le Brexit, la crise migratoire et les élections italiennes ont occupé le devant de la scène politique. À défaut d’une implémentation plus rapide des réformes structurelles nécessaires à la zone euro et du strict respect des règles en matière fiscale, le destin de la région risque de devenir de plus en plus tributaire des décisions des banquiers centraux.