Frédérique Buck a mené 15 interviews pour réaliser le film. (Photo: Sven  Becker)

Frédérique Buck a mené 15 interviews pour réaliser le film. (Photo: Sven Becker)

Madame Buck, pourquoi avoir voulu réaliser ce film et comment?

«Depuis plusieurs années, je suis impliquée et engagée dans le soutien des réfugiés et demandeurs d’asile, notamment avec l’initiative Open Home – Oppent Haus. Au fur et à mesure du temps, je me pose forcément des questions d’ordre moral et en particulier la question de l’humanité du système et du traitement des personnes en attente d’obtention de la protection internationale. En décembre 2017, il y a eu une manifestation d’Irakiens qui s’inquiétaient de leur sort parce que le taux d’acceptation de leurs dossiers est plus bas que des ressortissants d’autres pays.

Ça faisait beaucoup de choses, trop de choses. Il fallait que je prenne le sujet à bras-le-corps.

Frédérique Buck, réalisatrice

Il y a eu une lettre d’une enseignante, désemparée quand elle voit des élèves enlevés des classes pour être renvoyés. Il y a eu un article d’un psychiatre qui pointe la violence insidieuse et les dégâts psychologiques causés par l’attente et l’incertitude… Ça faisait beaucoup de choses, trop de choses. Il fallait que je prenne le sujet à bras-le-corps. J’ai monté un Kickstarter qui m’a permis de récolter 6.700 euros et j’ai obtenu l’aide ‘Carte Blanche’ du Film Fund de 15.000 euros. Avec ça, il y avait moyen de payer une équipe professionnelle pour faire le film.

Comment avez-vous choisi vos témoins?

«Je constate depuis deux ans que la société civile joue un rôle énorme. Ce sont les résidents qui apportent de l’humanité à ceux qui vivent ces drames. J’ai voulu donner la parole à ceux qu’on n’entend généralement pas: la société civile, les citoyens, ceux qui travaillent directement avec les réfugiés.

Car, le plus souvent, on entend les politiques, et en particulier ceux qui ne veulent pas de migrants. Aussi, j’ai interviewé un demandeur de protection internationale irakien, une enseignante en classe d’accueil, un avocat spécialisé en droit d’asile, un psychiatre, cinq citoyennes engagées à titre privé, un chef d’entreprise et des responsables d’associations (Oppent Haus, Passerell asbl, Catch a Smile asbl et Sportunity asbl). J’ai aussi ajouté les réflexions plus contextuelles de mise en perspective par un anthropologue, une journaliste, un avocat. Et… le ministre des Affaires étrangères, parce qu’il est central dans le processus.

Chacun livre sa colère, son indignation, ses peurs, ses limites, ses espoirs, ses échecs, ses fulgurances, mais aussi son émerveillement.

Frédérique Buck, réalisatrice

En tout, ce sont 15 témoignages qui s’entrecroisent et se répondent, comme dans un dialogue fictif. Chacun livre sa colère, son indignation, ses peurs, ses limites, ses espoirs, ses échecs, ses fulgurances, mais aussi son émerveillement. Chacun a un rôle à jouer dans ce qui se passe et les discours des uns et des autres doivent converger.

Quel constat tirez-vous de ces rencontres et interviews?

«Il y a un décalage entre ce que dit le cadre légal, les conventions de Genève, les règles du système qui semblent claires et cadrées, et ce que vivent les gens eux-mêmes, les demandeurs de protection internationale et ceux qui s’en occupent. Quand on parle de personnes et pas de dossiers, on entre dans un conflit moral difficilement soutenable.

Le plus douloureux, c’est pour les gens qui sont en attente d’une réponse. La durée des procédures d’obtention du statut de réfugié mine l’individu qui vit dans l’incertitude et la précarité. Bien souvent, ce sont des pères de famille dont la femme et les enfants sont dans des camps dans leur pays ou le pays voisin et ils n’ont rien à répondre aux questions de leur famille.

Au bout du compte, il ne s’agit pas d’idéologie ou de solutions toutes faites, mais de poser les bonnes questions et d’agir.

Frédérique Buck, réalisatrice

Ces difficultés rejaillissent sur ceux qui s’occupent d’eux, que ce soit des citoyens engagés qui ont fait le geste de solidarité d’accueillir des réfugiés chez eux ou les membres des associations. Eux aussi souffrent de l’attente et de l’indécision. 

Au bout du compte, il ne s’agit pas d’idéologie ou de solutions toutes faites, mais de poser les bonnes questions et d’agir. Les situations sont de plus en plus critiques et le film rejoint une actualité de plus en plus tragique. Quand j’ai commencé le film, je ne pensais pas qu’on arriverait à un moment où on laisse dériver un bateau plein d’hommes et de femmes sans leur trouver un port d’attache. Ce sont des questions qui appartiennent aux 510 millions d’Européens.»

«Grand H» (62 minutes) est disponible pour des projections scolaires, associatives, tables rondes et discussions.

Il sortira en salle en octobre.

www.grandh.net